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G5 Sahel : les embarras de l’UE face aux défis de la sécurité en Afrique
©Daphné BENOIT / AFP

Là mais pas là (ou l’inverse ?)

Les cinq chefs d’Etat du Sahel ont répondu à l’invitation d’Emmanuel Macron et le G5 Sahel se tiendra ce mercredi à la Celle Saint-Cloud . Au total c’est une vingtaine de délégations qui seront présentes avec un objectif commun : renforcer la coopération internationale en matière de lutte contre le terrorisme.

Jean-Sylvestre Mongrenier

Jean-Sylvestre Mongrenier

Jean-Sylvestre Mongrenier est docteur en géopolitique, professeur agrégé d'Histoire-Géographie, et chercheur à l'Institut français de Géopolitique (Université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis).

Il est membre de l'Institut Thomas More.

Jean-Sylvestre Mongrenier a co-écrit, avec Françoise Thom, Géopolitique de la Russie (Puf, 2016). 

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Atlantico : Ce 13 décembre, Emmanuel Macron recevra à la Celle Saint-Cloud les chefs d'Etat des pays membres du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad), du président de la Commission de l'Union Africaine, mais également en présence d'Angela Mekel et du premier ministre belge, Charles Michel. Alors que la problématique touchant aux pays de la zone sahélienne concerne l'ensemble de l'Union européenne, aussi bien sur les questions de développement que de sécurité, comment expliquer une si faible présence des pays membres dans une telle réunion ? Comment expliquer ce qui ressemble à un désintérêt ?

Jean-Sylvestre Mongrenier : Ce n'est pas du désintérêt. L'Union européenne (UE) en tant que telle et ses Etats représentent la moitié du financement prévu pour le "G5 Sahel", cette coopération militaire entre cinq Etats de la région sahélo-saharienne (Burkina-Faso, Mali, Mauritanie, Niger, Tchad). Ce G5 est destiné à lutter contre les groupes djihadistes armés ainsi que le trafic de drogues et de migrants, activités qui contribuent à financer les groupes en question. Parallèlement, il existe depuis 2013 une Mission d'entraînement et de formation européenne, l'EUTM, qui a déjà formé 12.000 militaires maliens (sur un total de 30.000). L'EUTM compte 500 soldats européens, l'Allemagne, l'Espagne et la Belgique fournissant chacun une centaine d'hommes. Cette mission est sous les ordres d'un général belge. Il s'y ajoute l'EUCAP-Sahel-Mali, autre mission européenne qui forme les cadres de la police. Quant à l'ONU, elle a déployé au Mali la mission Minusma, forte de 11.000 hommes, qui est en charge de la stabilisation du Mali et de la réconciliation. Si la Minusma n'est pas une mission d'imposition de la paix, il reste qu'elle essuie des pertes relativement importantes. Son importance ne doit pas être sous-estimée. 

On se défiera donc du "blame game": plusieurs missions sont superposées, au Mali comme dans la région, et tout ne repose pas sur les Français  Il est vrai cependant que la France est en pointe sur ce théâtre. En 2014, l'opération "Barkhane" a succédé à "Serval", lancée en janvier 2013 pour empêcher les groupes djihadistes de "descendre" vers Bamako. "Barkhane" mobilise envrion 4.500 hommes et d'importants moyens. Ce n'est pas une opération européenne mais nationale, décidée, préparée et conduite depuis Paris, à l'extérieur des structures de l'UE. On ne saurait donc s'étonner de ne pas y voir incorporés d'autres soldats européens. C'est ensuite que la France s'est tournée vers ses partenaires, afin d'obtenir des moyens logistiques ou autres. Cela dit, l'aide militaire essentielle est fournie par les Etats-Unis (drones, ravitailleurs et avions de transport). Près de 800 soldats américains seraient présents dans la zone. Le fait est négligé, voire passé sous silence. Pudeur de jeune fille? L'Afrique et ses périls occupent une place grandissante dans la vision stratégique américaine (il y a loin du discours isolationniste aux réalités géopolitiques).

Faut-il y voir une forme de révélation de la structure de pouvoir européen sur ces questions, notamment autour de la sécurité, qui serait concentrée principalement sur la France et l'Allemagne ? Comment peut se justifier un tel axe européen vis à vis des autres états membres ? 

La situation met en évidence le fait que l'UE ne constitue  pas un acteur géostratégique unifié, avec ses propres troupes, capable de mener avec promptitude une opération de vive force: ce n'est pas une unité de pensée, de conception et d'action. Le découvre-t-on? L'UE constitue un Commonwealth qui rassemble vingt-huit Etats souverains, autant de centres de décision différents sur les plans politique, diplomatique et militaire. De même qu'il n'y a pas de réel pouvoir politique européen (le Conseil européen est l'émanation des Etats), il n'y pas d'armée européenne (il n'y a pas non plus d'armée de l'OTAN). Et il en est ainsi parce que les gouvernements nationaux et les opinions publiques le veulent bien. On ne saurait s'en étonner. Il est toujours surprenant de voir ceux qui refusent la perspective d'une Europe fédérale s'indigner du fait que l'UE en tant que telle ne soit pas engagée en première ligne dans ce type de situation. On ne saurait chérir la cause et déplorer les effets. Et puis, la France exerce des responsabilités historiques dans la zone et elle est membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU. Il lui appartient d'avoir des moyens en correspondance avec le statut mondial qu'elle revendique. D'autant plus que cette mission reste tout de même limitée dans son ampleur. 

La présence d'Angela Merkel manifeste bien l'appui de l'Allemagne à l'action de la France, mais cela ne signifie pas que les deux pays constituent un axe politico-militaire. Quand Paris privilégie un "noyau dur" de petits pays qui, sous sa direction, seraient prêts à aller de l'avant, Berlin a principalement la volonté de maintenir la cohésion d'ensemble de l'UE. La vision allemande est plus en phase avec la réalité politique de l'UE. Celle-ci n'est toujours pas parvenue au "moment cicéronien" (le point de bascule entre deux formes d'organisation politique), contrairement à ce qui a pu être dit après la crise des dettes souveraines et lors du renforcement de la zone euro qui a suivi. S'il existait un axe franco-allemand cherchant à imposer ses vues, on peut penser que les autres Etats européens se ligueraient pour s'y opposer.  Tel n'est pas le cas. Les modalités de la CSP (Coopération structurée permanente), cette coopération militaire renforcée au sein de l'UE, officialisée lundi dernier dans un silence assourdissant,montrent qu'il n'y a pas d'axe franco-allemand agissant au coeur de l'UE: cette CSP réunit non pas quatre ou cinq pays autour du "couple" franco-allemand mais coïncide avec la quasi-totalité des Etats membres de l'UE. A mon sens, c'est le choix le plus raisonnable: "le mieux est l'ennemi du bien". 

Quel serait le format diplomatique approprié au niveau européen pour traiter de telles questions, passant de la menace que représentent les organisations djihadistes de la région sahélienne aux questions relatives au développement, et donc à la migration vers l'Union ? 

Le format idéal serait un Commonwealth paneuropéen transformé en Commonwill, i.e. une unité de puissance capable d'agir par elle-même. Nous n'en sommes pas là, lon s'en faut. En dépit des accusations de diverses forces nationalistes, toujours promptes à dénoncer "Bruxelles", la réalité politique de l'UE est plus proche de la confédération que du fédéralisme. En d'autres termes, l'UE est une structure intergouvernementale et les décisions essentielles requièrent l'unanimité. Sur les questions de développement et de maîtrise des flux migratoires, le format européen (UE), avec la valeur ajoutée de la Commission européenne, semble s'imposer: voir par exemple le rôle de Frontex qui peut-être renforcé, ou encore l'aide au développement apportée par l'UE. Sur des programmes larges et de longue durée, dans des domaines où la tâche excède les capacités propres des Etats, l'échelon européen est le plus pertinent.Pour les questions de sécurité lato sensu,  le format européen est aussi le plus adéquat: voir les données des passagers d'avions, la coopération policière et judiciaire, etc.

Pour les opérations militaires, au coeur de la souveraineté, les Etats sont en première ligne: ce sont des question de guerre et de paix, qui engagent la vie de compatriotes. Dans ce type de situation, il faut une conjonction d'intérêts, de valeurs et de responsabilités pour qu'une décision politique intervienne: l'Etat le plus engagé, le plus exposé aussi, qui exerce des responsabilités dans la zone considérée (ancienne puissance coloniale, signataire d'accords de défense et de sécurité) peut être amené à prendre l'initiative, souvent après des consultations diplomatiques . A charge pour lui de convaincre ses alliés et partenaires du bien-fondé de la décision, de négocier une aide et divers soutiens. D'une manière générale, c'est ainsi que les choses se font. Les Etats sont souverains et maîtres des moyens militaires, la décision ultime leur appartient. Les institutions viennent ensuite, dans le cas de l'UE comme dans celui de l'OTAN. En cas de crise, les capitales se concertent et, si décision est pris d'intervenir, c'est ensuite que l'on  décide du cadre d'action: OTAN, UE, "coalition ad hoc",  intervention dans un cadre strictement national. Pour les interventions les plus exigeantes, un trio occidental est souvent en pointe: les Etats-Unis, la France, le Royaume-Uni. L'enjeu dans les années à venir est d'y associer plus étroitement l'Allemagne.

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