French Touch pour le D-Day : François Hollande a-t-il réussi sa journée diplomatique ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Dîner diplomatique à l'occasion du Jour J
Dîner diplomatique à l'occasion du Jour J
©REUTERS/Stephen Crowley/Pool

Cupidon

Après cette semaine diplomatique particulièrement chargée, le président de la République s'est montré pleinement satisfait de ses capacités de conciliateur, notamment concernant le conflit ukrainien, mais aussi les tensions entre Barack Obama et Vladimir Poutine.

Alexandre Melnik

Alexandre Melnik

Alexandre Melnik, né à Moscou, est professeur associé de géopolitique et responsable académique à l'ICN Business School Nancy - Metz. Ancien diplomate et speach writer à l'ambassade de Russie à Pairs, il est aussi conférencier international sur les enjeux clés de la globalisation au XXI siècle, et vient de publier sur Atlantico éditions son premier A-book : Reconnecter la France au monde - Globalisation, mode d'emploi. 

 

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Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Atlantico : Barack Obama et Vladimir Poutine se sont finalement vus lors d'un court aparté en marge des cérémonies du D-Day. L'Elysée a été le premier a confirmé l'information et n'a pas hésité à mettre en avant l'influence que François Hollande aurait pu avoir dans cet événement. Faut-il voir dans cet entretien le succès diplomatique que l'exécutif tente de s'attribuer ?

Alexandre Melnik : D’abord, je salue le volontarisme, dont la diplomatie française a fait preuve, en invitant aux commémorations du Débarquement le président Petro Porochenko, qui vient de gagner, à la régulière, une élection, ayant démontré la vitalité de la jeune démocratie ukrainienne, sortie de Maïdan.

Sa présence, dans ce contexte, a été d’autant plus légitime que l’Ukraine, en tant qu’ancienne république fédérée de l’ex-URSS, a subi, après la Biélorussie, les plus lourdes pertes, en proportion de sa population, pendant la Deuxième Guerre mondiale (16,3% de sa population totale contre 13% pour la Russie). Ne pas inviter l’Ukraine en Normandie reviendrait à persister dans l’erreur géopolitique, en faisant l’amalgame entre l’Union Soviétique et la Russie, alors que cette dernière ne doit pas être considérée, au détriment des autres pays - membres de l’ancienne URSS, comme l’unique héritière de l’Armée rouge, qui a, incontestablement, apporté sa puissante contribution à la victoire contre l’Allemagne nazie.

Vu sous cet angle, la rencontre, organisée par la France entre Vladimir Poutine et son homologue ukrainien, constitue, à mon avis, la plus grande réussite de la diplomatie française, dans le cadre des commémorations, car elle signifie, en substance, la reconnaissance par le Kremlin de la légitimité du nouveau président ukrainien. Cette légitimité – la pierre angulaire de tout dialogue qui vaille - que Moscou s’obstinait, auparavant, à dénier aux nouvelles autorités de Kiev, peintes par la propagande russe en « junte fasciste ».

Quant à l’aparté entre Obama et Poutine, l’Elysée, partant de l’idée que la meilleure improvisation est celle qui est préparée à l’avance, a échafaudé, à cet effet, un scénario vaudevillesque, digne des meilleures pièces de Feydeau (agitation des acteurs qui s’éclipsent au dernier moment, des clins d’oeil complices, intelligibles aux seuls initiés, chamboulement du plan de table quand les convives arrivent…), et ce, pour organiser, à tout prix, un fugace rapprochement physique entre les présidents américain et russe, les filmer, presque en catimini, côte à côte pendant quelques secondes, mettre cette image sur You Tube après la fin des cérémonies et, surtout, attribuer, à grand renfort de communiqués officiels, la parenté exclusive de ce "scoop" à un François Hollande, présenté comme le "facilitateur" idéal, appelé à sauver la planète au bord du gouffre. Très franchement, je trouve que la ficelle est un peu grosse…

Avec un peu plus de recul, s’agit-il, en l’occurrence, d’un succès de la diplomatie française ? Je dirais - plutôt oui, car il faut encourager toutes les avancées, si modestes soient-elles, qui concourent à la recherche de solutions pour décrisper la situation et éviter le pire en Ukraine, mais un succès à portée limitée, dont la véritable valeur géopolitique aurait du mal à dépasser le cadre du zapping télévisé.

Alexandre del Valle : C'est un succès diplomatique au point de vue des apparences car c'est très bien mis en scène, il faut le dire. En tout cas il a très bien communiqué surtout sur les discussions entre Obama et Poutine qui n'étaient pas forcément prévues. Ce qui lui permet peut-être de faire oublier son énorme impopularité et ses problèmes politiques intérieurs. Même si ce n'est pas Hollande qui a créé la réconciliation en cours, mais il est apparu comme un facilitateur. Donc incontestablement on peut parler de succès.

L'Elysée n'a-t-il pas tendance à surinvestir la portée de cet aparté ? De ce qu'on sait de l'état des relations entre Obama et Poutine, quelques minutes de conversion peuvent-elles vraiment tout changer ?

Alexandre Melnik : Le surinvestissement de cet épisode par l’Elysée est, à mon avis, évident. Evitons donc tout triomphalisme de mauvais aloi et gardons-nous des jugements hâtifs. Autrement dit, ne confondons jamais la forme et le fond. A savoir, la diplomatie des acrobaties protocolaires, génératrice de fugaces et éphémères images à sensation, au diapason des appétits des chaînes TV d’information en continu, et les réelles actions, susceptibles de changer radicalement la donne sur le terrain.

Alexandre del Valle : Quand on est aux abois, comme Hollande en ce moment, on essaie de communiquer un maximum et même d'exagérer. Mais on peut s'attendre à des conséquences, parce que les Russes aussi sont spécialistes de la tactique "on fait un pas en avant, et un pas en arrière". Mais par rapport à ces dernières semaines, la situation est quand même améliorée par cette rencontre. Il est intéressant de voir que les Américains et les Russes se parlent, que Porochenko a dialogué avec Poutine. C'est toujours bon de dialoguer, car beaucoup de conflits viennent du manque de dialogue.

Bien évidemment, ce ne sont pas quelques minutes de conversation qui vont changer les choses. Mais quand les électorats des pays respectifs vont voir leurs dirigeants se serrer la main, discuter et participer à des repas, cela va incontestablement provoquer une désescalade médiatique et populaire. En diplomatie, quand des gens qui ont été considérés comme des ennemis publics au bord de la Troisième Guerre mondiale (en tout cas selon certains géopolitologues soi-disant sérieux) montrent qu'un accord est possible et se parlent entre eux, l'opinion se dit que ce n'est pas si grave que ça, finalement. Mais c'est du théâtre, il ne faut pas se laisser impressionner, ce n'est pas la première fois que les Russes menacent de couper le gaz, et que les Occidentaux menacent d'exclure la Russie de tout, mais depuis la Guerre Froide on a quand même vu de nombreuses coopérations comme le G8 ou le G20, et finalement les mesures prises contre la Russie ne sont pas si extraordinairement sévères qu'on le croit.

Ce "résultat" tranche avec la passivité flagrante de la France dans le dossier ukrainien. Comment imaginer dans ce contexte que la diplomatie française soit parvenue à forcer la main de deux dirigeants qui n'auraient vraiment pas eu l'intention de se parler ?

Alexandre del Valle : Tout le monde avait intérêt à ce qu'on trouve un prétexte bien médiatisé pour que la vente des Mistrals de la France à la Russie puisse se faire sous couvert d'une réconciliation. Obama n'a pas vraiment voulu empêcher leur vente, en disant qu'il ne pouvait pas bloquer, ni intervenir en faveur. Hollande avait donc un intérêt énorme à s'investir personnellement. Les Russes ont de leur côté intérêt à se faire livrer des matériaux stratégiques. Finalement tout le monde a un intérêt  à trouver une belle porte de sortie bien théâtralisée.

Alexandre Melnik : Au fond, aucune main n’a été forcée par l’Elysée ! Celui-ci n’a fait qu’orchestrer un bref croisement, entre deux portes, des dirigeants américain et russe qui, de toute façon, ne pouvaient pas s’ignorer et s’éviter complètement en raison des contraintes du protocole, quitte à friser le ridicule, au vu et au su de centaines de millions de spectateurs à travers la planète, ayant les yeux braqués sur chacun de leurs gestes.

Je répète : après des mois de passivité et d’atermoiements sur le dossier ukrainien, et au sortir d’une opération de communication, plutôt réussie, le plus dur reste à faire pour la France, si elle souhaite, bien entendu, devenir - en réalité et non en termes d'images télévisées, diffusées en prime time - un médiateur de premier plan entre la Russie et les Etats-Unis, qui continuent à s’opposer dans leurs visions, fondamentalement différentes, de la situation en Ukraine. Pour réussir cette percée diplomatique, il faudra donner de la substance à ce zoom sur une image volée et "vendue", avec une dramatisation médiatique à outrance, comme si le destin du monde du XXIe siècle – monde global, transparent, interdépendant, d’une complexité inédite, en totale rupture avec les stéréotypes du passé - était suspendu à un échange de quelques mots entre Obama et Poutine, à l’instar des anecdotes de la guerre froide qui relataient un tragi-comique dialogue de sourds entre les gérontes soviétiques et les fringants présidents américains. Ne nous trompons pas de siècle !

Quels leviers la diplomatie française aurait-elle pu activer qui soit à ce point efficace ?

Alexandre del Valle : Elle n'a pas activé une grande diplomatie, mais la loi de la géopolitique, c'est "le moment juste". Il faut toujours des prétextes pour créer des situations. Et donc quand il y a un évènement international qui commémore une guerre, c'est le bon prétexte pour tout le monde pour dire à leur propre opinion publique que même si on a un problème avec certains, c'est quand même la grande guerre patriotique que la Russie a gagné contre les forces nazies. C'est l'occasion de se rencontrer sans que personne n'ait à s'agenouiller ou faire le premier pas. Hollande n'est qu'un petit maillon de ce système, mais il a de la chance d'être sur le territoire du haut lieu symbolique qu'est le débarquement.

Alexandre Melnik : Même si l’effort français qui va dans le sens d’une désescalade en Ukraine est parfaitement louable, la capacité du vrai impact de la France sur l’évolution de la situation en Ukraine (surtout si Paris joue en solo, en dehors d’une démarche européenne commune) reste, à mes yeux, sujet à caution. La France seule et isolée, qui ne prend pas soin de s’assurer, en amont, du soutien de ses alliés naturels au sein de l’UE, la France qui rejoue le remake d’un "petit télégraphiste" (expression utilisée par François Mitterrand à l’égard de Valéry Giscard d’Estaing qui s’est rendu à Varsovie, en mai 1980, pour tenter de convaincre Léonid Brejnev de mettre un terme à l’intervention soviétique en Afghanistan), ne pèsera pas dans la balance.

Car l’unique "feuille de route" qui permettrait, à long terme, de sortir par le haut de cet imbroglio, serait l’épanouissement de la démocratie ukrainienne, d’inspiration européenne, et le rapide, spectaculaire redémarrage de l’économie de ce pays, artificiellement assujetti à la Russie après la chute du communisme et gangrenée, pendant des années, par la corruption endémique.

La nouvelle Ukraine, née de la merveilleuse aspiration à la liberté sur la place Maïdan et renforcée par les urnes le 25 mai dernier, doit rompre avec cet héritage néfaste qui la tire vers le bas, couper son cordon ombilical avec les années de soviétisme qui la plombent, diversifier son économie, en misant sur l’innovation et la créativité (les seules matières premières qui ne s’épuisent pas, mais s’enrichissent à l’usage) et, in fine, construire, en toute indépendance, son avenir, son "soft power", en adéquation avec les réalités du monde contemporain, et ouvrant ainsi un nouvel horizon pour la Russie de demain. Autant de facteurs endogènes, propres à l’Ukraine elle-même que tout acteur extérieur, qu’il s’agisse de l’Europe ou des Etats-Unis, ne saurait qu’accompagner.

Dans cette perspective, la stratégie française vis-à-vis d’une Ukraine qui gagne, d’une Ukraine qui partage avec la France les valeurs de la démocratie, de la loi, des droits de l’homme et de l’économie de marché, doit être inscrite dans un large contexte européen, en symbiose avec l’ensemble des pays – membres de l’Union européenne, parmi lesquels la Pologne et les pays baltes, dotés de leur précieuse et douloureuse expérience de la sortie du totalitarisme de type soviétique, ont vocation à jouer un rôle pilote.

La crise en Ukraine nous rappelle, avant toute autre chose, l’impératif urgent d’une nouvelle diplomatie européenne commune, connectée au monde du XXIe siècle. Une diplomatie qui, à l’heure où nous sommes, n’existe même pas pas à l’état d’ébauche, et qui doit être par conséquent réinventée, ou plutôt inventée ex-nihilo, avec l’implication innovante et décisive de la France !

L’Elysée a très rapidement communiqué sur les images de l’aparté Obama Poutine (voir la vidéo). La diplomatie française est-elle à ce point en difficultés qu'elle soit obligée de vendre à outrance cet événement ?

Alexandre Melnik : Je pense avoir déjà largement répondu à cette question.

Hormis les plans de marketing plus ou moins astucieux et les éléments de langage concoctés par les "spin doctors", la diplomatie française a besoin de nouveaux concepts disruptifs, de nouvelles idées forces, bref - d’un nouveau souffle géostratégique, sans un lien direct avec le passé et tourné vers l’avenir, comme ce fut déjà le cas, à plusieurs reprises, dans l’histoire glorieuse de la France, notamment grâce au génie de Talleyrand, qui s’est montré à la hauteur des bouleversements auxquels l’Europe a été soumise il y a deux siècles.

Pour renouer avec le réel rayonnement international de la France, il est urgent que les élites françaises, au-delà de leur cercle diplomatique, somme toute, étroite et hermétique, comprennent – enfin ! - le changement de monde que vit, en ce début du nouveau millénaire, l’ensemble de l’Humanité, au lieu de s’accrocher à une lecture archaïque de la France qui tend, en vain, à la transformer en un îlot de sécurité, miraculeusement protégé au milieu des tempêtes de la globalisation en marche.  

Alexandre del Valle : La diplomatie française est en difficulté mais moins que l'Etat français. Au niveau extérieur la France a plutôt marqué des points ces dernières années. Hollande est très étonnant parce qu'en politique intérieur c'est un échec total, mais en politique extérieure il a réussi une guerre du Mali très bien menée par exemple. Il rattrape les erreurs de l'intérieur par l'extérieur.

Globalement que penser de la prestation de François Hollande à l'occasion de cette commémoration ?

Alexandre del Valle : Il a joué son rôle. Son but étant de vendre ses Mistrals à la Russie, sous peine de passer pour un pays qui n'honore pas ses contrats.

Alexandre Melnik : François Hollande a représenté, à cette occasion et à sa façon, la France qui a globalement réussi un beau et émouvant spectacle des commémorations du D-Day, devant les caméras du monde entier. Sur le plan personnel, il est resté égal à lui-même, un personnage fondamentalement sympathique, avec un solide potentiel de l’empathie humaine (ce qui est toujours non négligeable dans la diplomatie), mais incapable de se transcender pour générer de nouvelles idées qui bousculent les codes et les conformismes, faute d’une vision géostratégique ambitieuse, calibrée par rapport aux nouvelles réalités du monde actuel et résolument ancrée dans l’avenir.

Peut-on dire que la France a une politique russe ?

Alexandre del Valle : La France, oui, mais pas François Hollande, qui était plutôt anti-russe ces dernières années. La France a toujours été un grand allié de la Russie, particulièrement depuis De Gaulle. Sarkozy, au début de son mandat, était plutôt anti-russe, il est devenu rapidement très proche de Poutine, pareil pour Hollande qui commence à être un négociateur pour faciliter les liens avec la Russie. La France a un tel intérêt d'être proche des Russes que sous des présidents plutôt atlantistes, le naturel revient : la géopolitique l'emporte sur l'idéologie. Et la France reste, comme l'Allemagne pour des raisons différentes, un pays qui ne peut pas se passer de la coopération avec la Russie. Donc il y a une politique russe de la France, renforcée par De Gaulle, et qui n'a jamais vraiment été démentie.

Alexandre Melnik : Tout reste à inventer en la matière, au vu des derniers développements de la Russie, dont la fierté nationale retrouvée, accouplée de son retour en force sur le devant de la scène internationale, va de pair avec son arrogance, voire son agressivité accrue, surtout dans son "étranger proche" (l’espace post-soviétique).

Comment favoriser l’entrée de cette Russie dans le monde global du XXIe siècle ? Comment transformer la capacité de nuisance de la Russie actuelle en une plateforme d’interactions créatives, sur la base du modèle "gagnant-gagnant" ?  Comment aider les jeunes générations russes, déjà globalisées par les nouvelles technologies qui aplatissent notre monde interconnecté, à réinitialiser la vocation européenne de la Russie, aujourd’hui occultée ?

Autant de repères conceptuels (cette liste est loin d’être exhaustive) qui doivent baliser l’élaboration d’une nouvelle stratégie française, lucide, pragmatique et ambitieuse, à l’égard d’un pays qui suscite, traditionnellement, en France une curiosité toute particulière, quasi-irrationnelle, sur fond d’innombrables clichés et fantasmes.

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