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#FreeBritney : et en France, avons-nous fait les progrès nécessaires sur le front des tutelles abusives ?
©Emma McIntyre / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Libérations

Après 14 années de tutelle, la pop star américaine a obtenu d’un tribunal le droit de se choisir un avocat afin de la contester. Quid des abus identifiés depuis des années de côté-ci de l’Atlantique ?

Estelle  Maillancourt

Estelle Maillancourt

Avocate pluridisciplinaire, elle assiste ses clients tant en droit des contrats, droit immobilier, droit commercial, droit des affaires, droit du sport, droit spécial des activités de sécurité privée, droit du préjudice corporel et de la sécurité sociale, droit des régimes de protection des personnes, contentieux des activités de sécurité privée, droit de la famille, droit du travail, droit de la propriété intellectuelle. 
 

 

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Atlantico : En France, environ 800 000 sont sous tutelles. Que signifie concrètement la mise sous tutelle dans l’Hexagone ? 

Maître Estelle Maillancourt : Une mise sous tutelle en France survient lorsqu’on considère que des personnes ne sont plus à même de gérer leur et leurs biens. Elles ne sont plus capables de discernement car elles n’en ont plus les capacités physiques et intellectuelles. Donc on place la personne sous un régime de protection : on nomme un mandataire qui va la substituer complètement pour tout ce qui concerne la gestion de la personne et de ses biens. 

En 2016, un rapport de la cour des comptes soulignait des abus divers et variés. Actuellement quelle est la réalité de ces dérives ? Sont-elles nombreuses ? 

Il y a des abus, c’est notoire. Mais beaucoup sont dus à une négligence ou mauvaise gestion. Il y a très peu de magistrats qui ont l’office de juge des tutelles. Parfois, il n’y en a qu’un par juridiction. Et il va devoir gérer un nombre important de dossiers. C’est de l’abattage. Lors d’une audience, il n’a pas de temps pour bien prendre conscience des tenants et des aboutissements. Ce ne sont donc pas des actes malveillants, il n’y a pas de volonté de spoliation dans la grande majorité des cas. Il y a des cas d’abus de confiance, de vol, etc. dont la presse se fait écho, mais ce n’est pas la part prépondérante. Les abus sont surtout dus à un manque de vigilance et de moyens. Cas typique : une personne âgée entre en Ehpad. Normalement, le mandataire doit optimiser la gestion des biens, louer sa maison et lui transmettre les revenus. Mais souvent, ce qui arrive est que le bien est laissé en déshérence donc il perd de sa valeur, ce qui ne fait l’affaire ni du mandataire, ni de la personne sous tutelle. Cette négligence s’explique aussi par le fait que les mandataires existent surtout à titre associatif. Parfois, ils ont jusqu’à 50 mandats. Donc ils ne peuvent pas s’occuper quotidiennement de toutes les personnes à leur charge. D’où les abus et la négligence pointés par la cour des comptes. En tant qu’avocate, je fais régulièrement des démarches auprès du juge des tutelles. Elles sont parfois traitées plus d’un an après. La justice est déjà engorgée, mais pour les personnes âgées vulnérables c’est particulièrement prégnant. Cela fait partie des violences subies par ces dernières. Il y a un désintérêt de notre société à nos aïeux et par truchement, la justice ne met pas les moyens. 

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Faire évoluer la tutelle ou la tutelle, est-ce un processus compliqué en France ?

Oui, ça peut être compliqué par moment. Il y a plusieurs problématiques. Pour les personnes mises sous tutelle par un concours de circonstances qui veulent soit lever ou minorer cette dernière, il faut justifier la demande. Le juge fait parfois preuve d’un certain attentisme. Il va plutôt rester sur un schéma de fonctionnement et ne pas changer la tutelle. L’autre problématique est qu’un magistrat, lorsqu’il y a mésentente familiale, confie la tutelle à une tierce personne. C’est une façon de protéger la personne sous tutelle mais cela complexifie les choses. 

Dans le cas de dérives comme la spoliation de biens, l’abus est-il difficile à prouver et donc à réparer ? 

Oui. La véritable spoliation est très insidieuse. Normalement, le mandataire doit remettre un compte de gestion tous les ans au greffe. Le greffier doit le valider. Mais ce sont des centaines de dossiers qui arrivent chaque année. Par manque de moyens, le greffe n’exerce pas son rôle de contrôle et sert plutôt de chambre d’enregistrement. Ces escroqueries se font par petites sommes. Le cas typique va être celui d’une personne âgée en Ehpad qui, sur le compte-rendu, va trois fois par semaine chez le coiffeur ou multiplie les abonnements téléphoniques ou autre. Ce sont des petites sommes qui s’accumulent et font de gros montants. Et cela passe à la trappe, non parce que les magistrats sont connivents mais simplement par manque de ressources. Les étapes de contrôle et les verrous qui existent ne s’exercent plus.

Les choses ont-elles évoluées depuis quelques années ? 

Je traite un certain nombre de dossiers de tutelle dans mon cabinet. A mon niveau rien n’évolue. Je pense qu’on en fera peut-être un jour une cause nationale mais il n’y a pas de mise en avant pour s’atteler au problème et le résoudre actuellement. 

Que faudrait-il faire pour améliorer la situation ? Plus de magistrats et plus de greffiers ?

Il y a un manque endémique de moyens qui fait que la gestion des tutelles est mal aisée et médiocre. Donc, par ricochet, on porte atteinte aux personnes âgées. Il y a une part limitée de malveillance, certaines sont poursuivies, d’autres passent à la trappe. Les greffes n’ont pas les moyens d’exercer le contrôle. Avoir plus de magistrats et de greffiers peut potentiellement aider mais il faut surtout revoir la fonction du mandataire judiciaire en elle-même. D’une part dans sa formation, d’autre part pour l’agrément qui est donné. Il y a du ménage à faire. Il y a une part importante de mandataires qui sont dans une abnégation totale mais il y en a aussi beaucoup d’autres qui, à mon sens, doivent quitter ce métier. 

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