Frédéric Encel : « Le retour à un processus de paix entre Israël et les Palestiniens pourrait être moins loin qu’il n’y paraît »<!-- --> | Atlantico.fr
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Le drapeau d'Israël, photo d'illustration AFP
Le drapeau d'Israël, photo d'illustration AFP
©JACK GUEZ / AFP

Solution à deux Etats

Les conditions de sécurités d'Israël reposent, selon Frédéric Encel, sur la conjugaison de trois conditions menant, in fine, à la solution à deux Etats. Une situation parfaitement susceptible d'advenir dans les prochains mois, estime-t-il.

Frédéric Encel

Frédéric Encel

Frédéric Encel est Docteur HDR en géopolitique, maître de conférences à Sciences-Po Paris, Grand prix de la Société de Géographie et membre du Comité de rédaction d'Hérodote. Il a fondé et anime chaque année les Rencontres internationales géopolitiques de Trouville-sur-Mer. Frédéric Encel est l'auteur des Voies de la puissance chez Odile Jacob pour lequel il reçoit le prix du livre géopolitique 2022 et le Prix Histoire-Géographie de l’Académie des Sciences morales et politiques en 2023.

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Atlantico : Emmanuel Macron devait rencontrer Mohammed ben Salmane à l’occasion de la COP 28, à Dubaï, qui n’est finalement pas venu. Cette rencontre est ainsi tombée à l’eau. Faut-il penser aujourd’hui que les dirigeants arabes font preuve de plus de clairvoyance que les dirigeants français sur la question des enjeux du conflit israélo-palestinien ?

Frédéric Encel : D’abord, il faut bien comprendre que la notion de “les dirigeants arabes” n’a pas de réalité géopolitique concrète. La Ligue arabe compte 21 États membres, en plus de l’Autorité palestinienne. Sur ces 21 États membres, un petit tiers n’existe géopolitiquement que sur le papier. Un deuxième tiers, peu ou prou, demeure très attaché à la vieille posture qu’est le front du refus, comme cela peut être le cas de l’Algérie ou de l’Irak. Ces nations-là, pour l’essentiel, n’ont pas beaucoup de moyens leur permettant d’intervenir sur le terrain. Enfin, le reste de ces pays est soit en paix depuis longtemps avec Israël (c’est le cas de l’Egypte ou de la Jordanie, par exemple) soit a signé les accords d’Abraham, comme ont pu le faire les Emirats arabes unis et le Maroc. Sans oublier, bien sûr, quelques autres États modérés comme l’Arabie saoudite ou le Koweït. Nous avons bien vu, lors de l’organisation de la dernière Conférence Islamique, qui intègre 57 Etats musulmans, des dissensions telles qu’il n’est pas possible de parler d’une seule politique arabe ou musulmane vis-à-vis du conflit israélo-palestinien.

Revenons-en maintenant à la question du positionnement de la France. Contrairement à ce que peuvent affirmer un certain nombre d’observateurs assez paresseux, je considère que la position de l’Hexagone est restée inchangée depuis la Guerre des Six Jours de 1967. Ce qui a pu changer, c’est la tonalité et la fréquence avec laquelle la France a demandé le respect des frontières sûres et reconnues pour l’État d’Israël d’une part, et d’autre part la reconnaissance d’un Etat palestinien. Ce n’est pas parce que la diplomatie française a peut-être parlé moins fort, du fait notamment de l’émergence d’autres crises (Ukraine, Indo-pacifique…) ou de l’affaiblissement géopolitique du monde arabe, qu’elle a des positions différentes. Elle les a gardées à raison : ce sont globalement les bonnes.

Bien sûr, depuis le gigantesque pogrom du 7 octobre 2023, Emmanuel Macron a parfois formulé des propositions qui semblent difficilement réalisables, comme une coalition contre le Hamas. Pour autant, il ne s’agissait pas d’une proposition dommageable ou néfaste, au contraire le Hamas est bien une force terroriste.

Est-ce suffisant pour affirmer qu’Emmanuel Macron a perdu de l’influence parce que Mohammed ben Salmane n’est finalement pas venu à la COP 28 ? Il est, me semble-t-il, trop tôt pour le dire.

Emmanuel Macron et Dominique de Villepin, dans leurs récentes prises de positions, ont fait du conflit israélo-palestinien une question de politique d’équilibrage entre deux causes nationales légitimes. Est-ce effectivement le cas ? N’est-ce pas se tromper sur la nature même de ces enjeux, qui opposent une démocratie (certes imparfaite) et un totalitarisme religieux ? 

Je crois, en effet, que le conflit correspond très profondément à une rivalité entre deux nationalismes concurrents sur un même territoire. Il faut bien évidemment tenir compte de l’instrumentalisation du religieux au profit du politique… tout en réalisant que cela n’a rien de neuf NI ne constitue l’apanage du Moyen-Orient.

Ceci étant dit, je m’élève en faux contre M. De Villepin quand il affirme que la communauté internationale n’a jamais accordé d’Etat aux Palestiniens. C’est une erreur historique grossière. Le 29 novembre 1947, l’Assemblée générale des Nations Unies décide, à la majorité requise des deux tiers, d’une solution consistant à partager la Palestine entre un Etat juif, un Etat arabe et un corpus separatum. Qui l’accepte ? L’organisation sioniste. Qui le refuse ? Le Haut-comité arabe de Palestine ainsi que tous les Etats arabes… Lesquels déclenchent la guerre. Pire : la Cisjordanie sera occupée vingt ans durant par la Jordanie et… la bande de Gaza par l’Egypte. Ce sont là des faits historiques avérés. Ce qui n’empêche pas la nécessité qu’advienne un État palestinien aux côtés d’Israël. J’ai toujours prôné cette solution.

Bien sûr, on ne peut pas mettre les régimes palestiniens et israéliens sur le même plan. Ce que l’Elysée n’a pas fait une seule fois depuis le 7 octobre. Emmanuel Macron, ne le perdons pas de vue, a rappelé à plusieurs reprises que le Hamas est un mouvement terroriste. Ce n’est pas seulement la position officielle de la France : c’est aussi celle de l’Union européenne et d’autres pays occidentaux. 

Le chef du Hamas affirmait récemment que les attentats du 7 octobre ne constituaient qu’une “répétition”. Le journal Le Monde, lui, estime que la “fuite en avant” dans la guerre est le fruit de la politique de B. Netanyahou. N’y a-t-il pas un certain deux poids deux mesures ? Ne faudrait-il pas prêter plus attention aux menaces du Hamas ?

Il y a, en effet, une erreur de perception (sinon une réelle complaisance) de certains observateurs vis-à-vis de ce groupe islamisme radical. J’ai deux hypothèses pour l’expliquer. La première nous renvoie au XXème siècle. Déjà à l’époque, les progressistes, les pragmatiques et les humanistes tentèrent – par générosité ou par naïveté – de faire des régimes extrémistes des acteurs pragmatiques instrumentalisant leur discours, et qui finiraient par s'apaiser.

Or, ils n’avaient pas assez écouté les discours de Mussolini, pas suffisamment lu Mein Kampf, pas assez prêté attention aux Khmers Rouges puis au Hutu Power au Rwanda. Plus récemment, nous n’avons pas assez écouté ou lu ce qu’a pu dire Vladimir Poutine de l’Ukraine. S’il ne s’agit pas de mettre tous ces personnages et régimes sur un pied d’égalité, force est de constater que la nature de notre erreur est la même à chaque fois. Or, l'islamisme radical est un totalitarisme d’une toxicité et d’une violence manifeste contre toutes les valeurs humanistes. Le Hamas l’a toujours montré, y compris le 7 octobre 2023.

Ce premier point évoqué, nous pouvons passer à la deuxième hypothèse. Depuis les années 1970, il existe dans certains milieux politiques occidentaux une forme de naïveté consistant à faire de tout conflit le théâtre d’un affrontement dichotomique entre un faible et un fort. Le fort est mécaniquement perçu comme le “méchant”, le faible comme le “gentil”. Or, rappelons-le, le 7 octobre dernier dans les kibboutzim, ce furent les hommes du Hamas les forts, et en l’espèce les barbares. N’oublions pas non plus que, dans les années 1990, à l’époque du processus de paix d’Oslo, le gouvernement israélien du tandem Rabin/Pères n’était pas d’extrême droite (loin s’en faut) et négociait avec l’OLP de Yasser Arafat. Qui perpétrait déjà des attentats monstres à la bombe dans les quartiers juifs d’Israël ? Le Hamas…

Emmanuel Macron a récemment affirmé qu’il n’y avait pas de sécurité durable pour Israël au détriment des vies palestiniennes. Pourtant, l’histoire montre que c’est souvent à l’issue des accords de paix qu’ont eu lieu les pires campagnes d’attentats suicide. Faut-il croire que l’idée du président n’a que l’apparence du bon sens ?

C’est une question difficile. Contrairement à la posture, très négative, pessimiste et paresseuse qu’ont pu adopter certains observateurs, je pense que de cette crise peut sortir le retour à un vrai processus de paix. Cela a été le cas après la guerre du Kippour, il y a pratiquement 50 ans jour pour jour, même si le contexte et les circonstances étaient très différents. 

La possibilité d’un tel processus repose sur la conjugaison de trois conditions, toutes parfaitement susceptibles d’advenir dans les prochains mois.

- D’abord, il faudra passer par la démilitarisation du Hamas. Tant que le Hamas persiste, il ne pourra y avoir de paix, et pas seulement pour Israël. De nombreux régimes arabes modérés craignent comme la peste une victoire du Hamas, c’est-à-dire des Frères musulmans, qui pourrait faire tâche d’huile chez eux. Je pense, de mon côté, que l’armée israélienne ira jusqu’au bout.

- Deuxième condition : le retour à Gaza de l’Autorité palestinienne, qui en a été violemment délogée en 2007 par un putsch du Hamas. Personne d’autre ne peut légalement et légitimement investir et diriger la bande de Gaza.

- Troisième condition : la chute de l’actuel gouvernement israélien. C’est déjà virtuellement le cas, tant il paraît discrédité par le désastre non anticipé du 7 Octobre. Une commission d’enquête devrait bientôt s’ouvrir, du moins lorsqu’interviendra un cessez-le-feu. En Israël, des commissions ont déjà fait chuter des gouvernements autrement prestigieux et pour moins que ça ! Si une coalition centriste se mettait en place, nous aurions notre troisième condition et cette conjonction de facteurs pourrait permettre le retour à un processus de paix soutenu par les Etats-Unis, l’UE et les Etats arabes modérés, avec, pour perspective finale, la solution à deux États. La seule crédible et souhaitable à mon sens.

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