François Mitterrand, le président dont la France paye encore la facture (et pour longtemps)<!-- --> | Atlantico.fr
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Si François Mitterrand n'est pas le seul à qui l'on pourrait faire des reproches, les conséquences sur le pays de ses choix économiques ont été importantes. Au moment crucial où nous avons négocié le passage à l'euro, il y a eu un vrai manque de réflexion
Si François Mitterrand n'est pas le seul à qui l'on pourrait faire des reproches, les conséquences sur le pays de ses choix économiques ont été importantes. Au moment crucial où nous avons négocié le passage à l'euro, il y a eu un vrai manque de réflexion
©Christian Simonpietri

100ème anniversaire de sa naissance

François Mitterrand, qui s'est désintéressé des questions économiques au cours de ses deux mandats présidentiels, a fait des choix désastreux, notamment lors des négociations autour de la mise en place de l'euro. Des rendez-vous manqués que la France continue de payer aujourd'hui.

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Atlantico : Ce mercredi 26 octobre, François Mitterrand aurait eu 100 ans. La prise de pouvoir de François Mitterrand correspond à une phase de financiarisation de l'économie, ainsi qu'à l'accélération du processus de la mondialisation, notamment au travers de la construction européenne. Peut-on dire que la vision "omni" politique de François Mitterrand l'a empêché d'apporter à la France les réponses appropriées à ces nouveaux défis ? En quoi le manque de culture économique de François Mitterrand a-t-il été préjudiciable au pays, dans un tel contexte ?

Mathieu Mucherie :"Omni-politique" est un mot intéressant. Mitterrand était effectivement un animal politique. À cette époque, les enjeux économiques étaient souvent réduits à des enjeux politiques. François Mitterrand a représenté le summum de ce courant : tout est politique, ou tout doit le devenir. Pour autant, il a amorcé la bascule vers le mouvement inverse. Il a, paradoxalement, extrait tous les sujets hautement politiques de la sphère politique. Il était l'incarnation du politicien qui ne juge les situations, y compris économiques, qu'à l'aune de ce qu'elles peuvent rapporter politiquement. Dans le même temps, il a retiré des sujets éminemment politiques (monnaie, indépendance de la justice, etc.) de sphères à la fois régaliennes, souveraines et politiques au sens le plus noble du terme. Ces sphères ont été rendues autonomes ou alors ont été satellisées à Bruxelles, au Luxembourg ou à Francfort.

Sous François Mitterrand, au début, tout était archi-politique. Sur la fin, en revanche, on retrouve l'idée des autorités administratives indépendantes, de l'indépendance corporatiste de la justice, de l'indépendance corporatiste des banquiers centraux. L'homme qui est arrivé avec un programme basé essentiellement sur des séries de nationalisation à tout-va (banques, industries, etc.) s'en va finalement sur la pointe des pieds avec une européanisation, voire une mondialisation, totale de ces sujets. Il a même mis en place une vision caricaturale du libéralisme consistant à rendre indépendants des gens et des structures qui n'ont pas à l'être, même dans les visions les plus libérales de l'économie, comme ce fut le cas pour les banquiers centraux. Sur la fin de son règne, François Mitterrand privatise davantage la politique que ne l'aurait rêvé Friedrich Hayek ou Milton Friedman. Le tout en étant issu d'un courant idéologiquement à 180° de l'action politique qu'il a menée.

Est-ce que c'est parce qu'il a échoué a régenter ces différentes sphères, pour ensuite conclure qu'elles devaient se régenter elles-mêmes ? Plusieurs exemples attestent de ses échecs, comme son action sur la monnaie. Mitterrand a tenté une dévaluation, sans arriver à ses fins. Il a ensuite décidé de s'en séparer et, finalement, d'abandonner pratiquement tout contrôle dessus, comme c'est encore le cas aujourd'hui.

Ne jetons pas seulement la pierre à François Mitterrand. C'est toute une génération politique qui n'a pas été formée aux sciences économiques modernes, au moins jusqu'aux années 1980. Il est évident, en revanche, que François Mitterrand s'est très mal entouré. Quand il a dû choisir des économistes pour l'épauler, il a opté pour Jacques Attali. Il a bien sûr essayé de se rattraper ensuite en privilégiant les technocrates, mais il ne s'est jamais entouré de "vrais" économistes. Nos grands économistes ont eu le choix entre rester à Paris, rejoindre le privé ou partir aux États-Unis. Pendant les mandats de François Mitterrand, Olivier Blanchard était à Boston, Gérard Debreu et de nombreux autres grands économistes étaient ailleurs. 

Si François Mitterrand, comme expliqué précédemment, n'est pas le seul à qui l'on pourrait faire des reproches, les conséquences sur le pays de ses choix économiques ont été importantes. Au moment le plus crucial où nous avons négocié le passage à l'euro, il y a eu un vrai manque de réflexion. Les personnes en charge de ces négociations, toutes diplômées qu'elles pouvaient être, ne connaissaient pas les cercles monétaires. Elles ont fait montre de beaucoup de mépris à l'égard d'économistes de tous bords qui soulignaient les risques de l'euro. Ces économistes n'ont absolument pas été écoutés. L'administration gérait donc les questions économiques sans connaissance en la matière et de façon technocratique. A cela s'est ajouté le fait que les autorités politiques se concentraient uniquement sur des questions d'équilibrage des influences française et allemande. 

Quel est l'héritage qu'il aura globalement laissé en économie ? Quels sont les effets encore visibles aujourd’hui des décisions prises sous la présidence de François Mitterrand ? 

Plusieurs décisions prises à ce moment influencent encore la France d'aujourd'hui. Le ni-ni est l'une d'elle : il influence encore de nombreux décideurs à gauche en les poussant à ne pas renationaliser mais à ne pas privatiser non plus. Cela bloque encore de nombreuses libéralisations sectorielles, en agriculture, dans les transports ou dans l'énergie par exemple. La privatisation se fait, bien sûr, mais de façon douloureuse et sans le moindre plan stratégique. Alstom en est l'exemple le plus récent.

Autre pratique typiquement mitterrandienne : la soumission à l'Allemagne. Cette idée existait déjà sous Giscard d'Estaing, et elle apparaît ensuite sous Mitterrand à partir de 1983, après le départ de Chevènement notamment. C'est un héritage encore très prégnant à droite comme à gauche. La capitulation très nette de François Mitterrand face au modèle économique allemand a été essentielle pour le passage de toute la gauche de gouvernement vers le modèle économique allemand. Ce dernier est, rappelons-le, mercantiliste, basé sur une fausse économie de l'offre et une pseudo-stabilité monétaire. Ce modèle à la Delors devait être endossé par un élu – ce que Jacques Delors n'a jamais été. C'est donc Mitterrand qui a endossé le grand basculement définitif. Nous continuons à payer cela aujourd'hui : il n'y a plus personne, à droite comme à gauche, pour remettre en cause le fait qu'il faille suivre l'Allemagne de la façon la plus servile qui soit. De nombreuses autres idées préconçues en économie sont le fait de Mitterrand. Parmi lesquelles l'idée que la modernité économique est en Allemagne sans tenir compte des reproches que font les économistes au modèle allemand… Mais aussi celle qui veut que ce soit à l'Allemagne de gérer l'euro, au moins indirectement, ou encore le fait qu'exporter serait bien et qu'importer serait mal. 

François Hollande comme Lionel Jospin se sont, à plus d'une occasion, revendiqués de l'héritage de François Mitterrand. D'un point de vue économique, cette notion d'héritage est-elle pertinente ? Qu'est-ce que cela laisse éventuellement présager de la situation à venir en France ?

Il y a un aspect que je n'ai pas évoqué dans la question précédente, mais qui est très bien suivi par François Hollande et l'était par Lionel Jospin. Il s'agit d'essayer de dépenser autant que faire se peut. Il existe toujours des limites (contraintes lourdes, remarques de l'Allemagne qui viennent poser une barrière, par exemple), mais à l'intérieur même de celles-ci, Hollande, Jospin ou Mitterrand ont toujours cherché à pousser le bouchon le plus loin possible. Concrètement, cela signifie que dans la quasi-totalité des arbitrages qu'ils ont dû faire, ils ne se sont jamais positionnés en faveur d'une réduction des dépenses. C'est systématique. Cela entraîne des hausses d'impôts, des jeux avec les déficits : utiliser les bonnes années pour ne pas le baisser suffisamment ou les mauvaises pour le creuser davantage. L'objectif est politique : les services publics sont une base électorale importante de la gauche, il faut donc les préserver et ne pas les rénover autant que possible.

En revanche, et c'est typiquement mitterrandien, ces trois hommes politiques exigent du secteur privé qu'il se rénove, qu'il se modernise. C'est à lui d'avancer, de se mondialiser, de subir les coûts, d'être la variable d'ajustement et de contribuer au maximum. Il s'agit d'un discours très moralisant et très modernisateur, qui n'est valable que pour le secteur privé. Le secteur public est, lui, congelé et ne dispose pas toujours des moyens de se développer. Par conséquent, il peut, cahin-caha, continuer à avancer sans avoir à faire de gains de productivité. C'est un véritable fil rouge entre ces trois hommes politiques. S'il y a une réforme de l'État à faire, c'est dans l'armée qu'elle sera faite : elle n'a pas le droit de grève. Ailleurs, les réformes ne seront pas menées, ou alors localement et jamais celles qui font mal. Mais en parallèle, on demande au secteur privé de se hisser au niveau de l'Allemagne, ce qui est paradoxal puisque les conditions ne sont évidemment pas les mêmes, qu'il s'agisse de réglementation ou de présence étatique. On veut les résultats de l'Allemagne, sans s'en donner les moyens… tout en partageant la même monnaie, ce qui nous empêche donc de dévaluer pour y parvenir. C'est le nœud de la contradiction, et c'est une forme d'éthique déontologique : Mitterrand, Jospin ou Hollande apparaissent attachés à ne pas utiliser certains types de moyens – jugés trop libéraux – et ne vont jamais jusqu'au bout du processus de modernisation.

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