Francois Hollande VRP : l'Inde est-elle prête à prendre la relève de la Chine dans le rôle de la locomotive de la croissance mondiale ?<!-- --> | Atlantico.fr
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François Hollande se rend en Inde pour un voyage qui se pare d'enjeux économiques.
François Hollande se rend en Inde pour un voyage qui se pare d'enjeux économiques.
©Reuters

Passation de pouvoir ?

Alors que François Hollande est actuellement en Inde pour une visite diplomatique, les relations historiques entre la France et ce pays émergent demeurent très partielles. L'ancienne colonie britannique prend par ailleurs une place de plus en grande, économiquement parlant, dans un continent où l'hégémonie de la Chine est remise en question.

Michaël Begorre

Michaël Begorre

Michaël Begorre est économiste, ancien de l’OCDE, enseignant à Sciences-Po, créateur et dirigeant de Partitus, cabinet de conseil en investissement spécialisé dans les marchés émergents.

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Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Atlantico : François Hollande se rend en Inde en début de semaine pour un voyage qui se pare d'enjeux économiques. Pouvez-vous nous éclairer sur les relations qui unissent la France à l'Inde ?

Cyrille Bret : Les relations franco-indiennes sont traditionnellement étroites mais partielles, comme le soulignent de nombreux indianistes, comme Christophe Jaffrelot. la France et l’Union indienne sont toutes deux soucieuses de défendre une diplomatie et une action militaire autonome appuyée sur des forces de frappe nucléaire indépendantes.

Les Français sont présents dans plusieurs domaines. Par exemple, le cimentier Lafarge est omniprésent dans les rues de toute l’Inde. En revanche, c’est vers le Japon que l’Inde se tourne massivement pour produire des automobiles. A la différence de la Russie et des Etats-Unis, la France n’est pas considérée en Inde comme un partenaire stratégique de façon générale mais seulement dans certains domaines. Ainsi, l’attention se focalise sur les négociations concernant la trentaine de chasseurs bombardiers Rafale et de la construction de centrales nucléaires. Cela montre que la France constitue, pour le moment, aux yeux des Indiens, un fournisseur alternatif dans les domaines d’excellence anciens de l’industrie française mais reste un outsider. Il est, de fait, malaisé d’identifier des objectifs et des menaces stratégiques communes susceptibles de cimenter une véritable alliance entre les deux pays? Bien sûr, l’Inde et la France sont toutes deux touchées par des vagues d’attentats islamistes. Mais les deux pays ont encore un long dialogue à nourrir pour se rapprocher.

L'Inde et la Chine sont deux puissances en compétition pour l'hégémonie sur le continent asiatique. Comment se matérialise cette compétition et l'Inde a t-elle réellement une chance de concurrencer la Chine en Asie et au-delà ?

Cyrille Bret :L’Inde et la Chine sont engagées dans une concurrence d’influence depuis plusieurs siècles, sur de nombreux plans, culturels, économiques, politiques et militaires. Durant l’époque de la Guerre Froide, ces deux géants démographiques et l’épisode militaire autour des provinces du nord est de l’Union indienne, longtemps contestées, notamment l’Arunashal Pradesh, les deux puissances anciennement non alignées ont développé des stratégies et des réseaux d’alliance concurrents. Par exemple, la Chine a longtemps soutenu le Pakistan, alors que l’URSS avait noué avec l’Union indienne un partenariat militaire et industriel puissant. A l’heure actuelle, les données de la compétition entre les deux géants asiatiques ont changé du fait de l’émergence ou de la réémergence des économies respectives des deux Etats. Comme l’a montré Jean-Joseph Boillot dans Chindiafrique, l’Union indienne aspire à devenir le back office du monde alors que la Chine est, d’ores et déjà l’usine du monde. Autrement dit, aux Indiens les call centers, les services de comptabilité, les services d’ingénierie informatique en outsourcing, et à la Chine les implantations industrielles géantes.

D’un point de vue militaire, les deux Etats sont lancés dans une modernisation des forces armées et notamment de la composante aéronavale pour la maîtrise de leurs espaces océaniques historiques respectifs. La marine chinoise, en voie d’expansion considérable dans la Mer de Chine, déploie la stratégie du collier de perle pour étendre sa sphère d’influence à toute l’Asie du Nord et de l’Est. Quant à l’Inde, outre son objectif stratégique cardinal, la défense contre le Pakistan, elle déploie des efforts pour marquer sa présence dans toute l’Asie du Sud. Des pays comme la Birmanie (ou le Népal) sont au confluent de ces deux stratégies d’influence. Ainsi, la volonté de Pékin de gagner les rives de l’océan indien peut relancer les rivalités. Toutefois, différents facteurs tempèrent les rivalités, comme les échanges commerciaux et la participation à l’organisation de la coopération de Shanghai, où la lutte contre le terrorisme islamique constitue un enjeu partagé.

Sur le plan économique, l'Inde affiche désormais un taux de croissance supérieur à celui de la Chine. Comment expliquer ce renversement, alors que l'Inde reste un pays globalement plus pauvre que la Chine ?

Michaël Begorre : L’inde se redresse sans doute mieux que la Chine, mais on a surtout affaire à un jeu d’optique. La croissance chinoise était probablement passée sous l’indienne depuis quelques années déjà mais la Chine ne voulait pas l’admettre. Elle a fait baisser ses chiffres plus lentement que la réalité. On a des mesures indirectes de l’activité, comme la consommation d’énergie, qui racontent une histoire chinoise bien différente de celle des chiffres officiels de croissance. Lire et comparer les statistiques des deux pays ne peut qu’amener plus de questions que de réponses car on compare les chiffres d’une grande démocratie à ceux d’un état opaque qui craint avant tout pour sa stabilité politique. On compare des choux et des carottes, c’est à dire des instruments civiques certes imparfaits, avec des messages de propagande.

Techniquement, l’Inde effectivement est toujours moins riche que la Chine mais la “rattrape”. Elle croît plus vite car elle s’est mieux redressée que la Chine des effets de la crise sur son économie et ses flux d’investissement. Surtout, le dépassement était sans doute effectif depuis plusieurs années, mais cette inversion était restée silencieuse jusqu’à présent car les chiffres chinois sont tout sauf fiables : ils servent plus à remplir des agendas politiques qu’à décrire la réalité du pays. Et les agendas ne manquent pas : communication du gouvernement central envers le reste du monde pour envoyer un message géostratégique ou commercial (rester le plus longtemps possible “devant” l’Inde par exemple, quitte à truquer les chiffres, ou ne pas effrayer les investisseurs), concours de beauté des gouvernements régionaux pour montrer au gouvernement central qu’on remplit ou excède les objectifs de croissance, de dépense, de construction d’infrastructure etc. La différence entre les chiffres de Chine et Inde est non seulement que la réalité des deux pays est divergente, mais que la production des chiffres y obéit à des règles opposées. L’Inde quant à elle souffre certes des maux “statistiques” de tout pays émergent en difficulté, et donc également de la Chine : collecte d’information, méthodes d’agrégation pour construire des chiffres synthétiques illustrant une réalité très hétérogène suivant les régions, les secteurs ou les groupes sociaux, etc. Mais l’Inde fournit un effort considérable pour produire des chiffres de qualité, et le rôle de la démocratie ne saurait être sous-estimée en ce domaine. Les administrations ont pour mission d’aider les gouvernements à prendre les bonnes décisions sur la base d’une description fiable de la réalité. Et la qualité des instruments est débattue et critiquée sur la place publique au même titre que les décisions qui sont prises sur la base de ces informations. Cela prend des décennies pour mettre sur pied une machine aussi sophistiquée et utile que par exemple l’INSEE français ou le National Bureau of Statistics américain, dont ces pays peuvent être fiers à juste titre, et dont on a vu récemment qu’ils étaient perpétuellement à protéger et à perfectionner. Mais sans une pression démocratique, on voit mal comment une telle machine pourrait jamais être atteinte.

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