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Le grand flou : le livre 
de François Hollande reflète-t-il 
sa personnalité ou sa stratégie ?
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Tiède

Le candidat du PS a publié ce jeudi "Changer de destin". Un livre qui manque de "réponses courageuses à des questions qui regardent tous les Français". Fiche de lecture d'Eric Verhaeghe.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Contrairement à sa légende, François Hollande est un homme audacieux. Il vient de sortir un livre qui le prouve. Dans la tradition de la Ve République, il est en effet d’usage de jouer le clivage droite-gauche au premier tour, pour rassembler au-delà de son camp au second. C’est ainsi que Nicolas Sarkozy a gagné en 2007. François Hollande tente l’inverse : il publie bien avant le premier tour un livre qui peut contenter tout le monde, tant les constats qui y sont faits sont d’une généralité consensuelle, et les propositions d’un flou angélique tel que chacun y trouvera à manger.

Quelques exemples ?

«J’aime les gens plus que l’argent»(page 22),

«Faire de la France un exemple parmi les nations» (page 37),

«Je propose le redressement dans la justice: pour améliorer le sort de tous les Français» (page 66),

Vive la République «des citoyens qui cherchent le progrès, la justice et la dignité, des créateurs qui veulent libérer l’esprit, des militants obscurs qui défendent toutes les causes humaines et des entrepreneurs qui oeuvrent pour le bien commun» (page 78),

L’Europe, «ses responsables doivent s’en convaincre, ne se fera pas sans les Européens» (page 101), etc.

Personne ne peut être contre cette accumulation de bons sentiments.

Cela dit, le livre mérite aussi d’être lu entre les lignes, car, pour un auteur qui prône la vérité comme pilier de la politique et qui, si l’on se fie à la quatrième de couverture, veut nous «parler franchement de (son) parcours», on regrettera quelques oublis qui ressembleraient presque à des mensonges par omission.

Par exemple, François Hollande rappelle (page 46) que, face à la «révolution conservatrice» des années 80, la gauche a «alors fait le choix de la belle aventure européenne» (page 47), mais a «hésité à franchir l’étape fédérale qui aurait permis une nouvelle gouvernance économique et sociale». La précision n’est pas neutre : François Hollande est favorable à un fédéralisme européen, sans s’étendre sur le sujet. Il ajoute (page 62) : «Vouée aux dogmes d’un libre-échange excessif, appliqués de manière pour ainsi dire religieuse, l’Europe a fait preuve d’une candeur coupable sur le marché mondial.»

Ces quelques citations méritent d’être remises en perspective.

Le 17 novembre 2004, François Hollande participait à un colloque sur les délocalisations, où il déclarait ceci :


«Nous devons soutenir les stratégies des entreprises fondées sur une présence mondiale. Ce serait une considérable erreur, pour les socialistes, que de vouloir domestiquer les entreprises, de vouloir les retenir. Nous avons besoin, dans la mondialisation, d'être présents partout dans le monde. Et de ce point de vue, nous devons faire en sorte que nos entreprises soient implantées là où sont les marchés.»

Il proposait alors:


«Une politique de l'offre productive, car c'est ainsi que nous pourrons favoriser la formation de grands groupes français et européens, que nous pourrons faire en sorte d'avoir la plus haute valeur ajoutée possible, l'emploi le plus qualifié possible et donc la compétitivité la plus haute possible, sans rien remettre en cause de ce qu'est le fondement de notre modèle social».

Il concluait son discours en disant :

«Autant nous pouvons lutter contre les formes de délocalisation et les réalités qui existent parfois dans les comportements patronaux ; autant nous devons admettre qu'il y aura des mutations industrielles, des mutations économiques dans tous les domaines. Nous avons donc le devoir d'anticiper et donc de faire en sorte de reclasser, de réinsérer et de recréer de l'activité là où elle disparaît, notamment dans les zones de mono industrie.»

Ce petit rappel de discours passés, pleins de résignation, permet de vérifier l’ambiguïté complexe du personnage vis-à-vis d’une mondialisation et d’un libre-échange dont il cerne bien les limites aujourd’hui.

On aurait aimé que, dans sa franchise, il confesse son attachement constant à une certaine vision de l’Europe, celle de l’Acte Unique, celle de la gauche moderne, qui n’a jamais eu peur de faire le jeu des grands groupes et des délocalisations. Le lecteur lira donc avec circonspection les grandes déclarations généreuses de François Hollande, car personne ne sait ce qu’elles cachent réellement. L’envie d’une autre Europe? Ou la volonté de rendre simplement plus douce, par quelques mesures sociales, la potion acide de la construction communautaire?

Ce qui manque, dans ce livre, ce sont ces réponses courageuses à des questions qui regardent tous les Français. On en ressort avec le sentiment étrange que François Hollande ne nous dit pas tout sur l’étendue du mal qu’il se propose de soigner. Et cette discrétion de médecin inquiète.

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