François Hollande pourra-t-il tenir une année supplémentaire sans s'attaquer à de vraies réformes ? <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
François Hollande peut-il encore se permettre d'attendre que la conjoncture économique s'améliore sans rien faire ?
François Hollande peut-il encore se permettre d'attendre que la conjoncture économique s'améliore sans rien faire ?
©Reuters

Autruche 2014

L'année 2013 vient de se conclure sur un bilan économique extrêmement faible pour François Hollande et le gouvernement. L'absence de véritables réformes au profit de l'utilisation du cycle économique comme seul facteur de croissance potentielle pourrait toutefois bien finir par avoir des conséquences économiques mais aussi et surtout politiques graves pour le pays.

Atlantico : Sur le front des réformes économiques, l'année 2013 présente un bilan maigre (voir ici). Quelles sont les réformes qui ne peuvent vraiment plus attendre ?

Jean-Marc Daniel : Le bilan est maigre parce que le gouvernement a des priorités qui sont à côté de la plaque. Il parle de l’emploi et de la réduction du chômage sans voir que cela passe par la croissance. Il favorise le maintien de l’emploi dans des secteurs régressifs (cf. le CICE qui bénéficie surtout à la Poste et à ses 90 000 facteurs, à l’heure d’Internet…) ou le développement de l’emploi public ( cf. les « emplois d’avenir »).

Une politique de croissance reposerait sur quatre types de décision :

1) Une baisse de la fiscalité des entreprises qui investissent (et non de celles qui embauchent) c'est-à-dire une baisse à 15% de l’impôt sur les sociétés (au lieu de se référer à Gerhard Schröder, les socialistes français feraient mieux de se référer à Helmut Schmidt : « les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après demain ».

2) Une baisse des dépenses publiques qui ne passe pas par les catalogues à la Prévert qui s’accumulent de-ci de-là sur les dépenses excessives de tel ou tel maire ou de telle ou telle administration mais qui redéfinisse le périmètre de l’action publique. Par exemple, il est absurde de vouloir baisser les charges sociales dans la mesure où elles financent la santé ou la vieillesse et que tout le monde a le droit de se soigner et de vieillir. En revanche, il faut s’interroger sur l’efficacité des dépenses sociales et se demander si elle ne serait pas plus grande si la sécurité sociale était privée et comment on peut mettre le système de santé en concurrence.

3) Une politique d’innovation en sérendipité et non en zemblanité. Cela signifie que ce n’est pas en subventionnant des centaines de laboratoires publics s’installant dans la rente et la bureaucratie des classements que l’on fait des progrès mais en laissant les entreprises tirer tous les profits des travaux de recherche menés au hasard par leurs équipes d’ingénieur.

4) La flexibilisation du marché du travail. Dire que les salaires sont trop élevés est politiquement odieux et économiquement sans fondement si on ne laisse pas le marché et la concurrence former librement ce prix qu’est le salaire. Plutôt que de parler d’une baisse du coût du travail (cf. là encore le bilan pathétique du CICE) il faut faire du marché du travail un véritable marché, c'est-à-dire alléger les contraintes juridiques sur son fonctionnement.

L'état de l'opinion française supportera-t-il une nouvelle année sans grandes réformes ou François Hollande sera-t-il contraint de d'envoyer des signaux d'une action concrète ?

Jérôme Sainte-Marie : La réforme est plus difficile pour un régime en crise, et le nôtre l’est aux yeux de l’opinion. Les Français ne croient pas par exemple que la démocratie fonctionne bien chez eux, ni que l’on peut faire confiance au personnel politique ou aux institutions représentatives. Dès lors, le risque d’une grande réforme est de cristalliser le mécontentement diffus et de coaliser les révoltes éparses. C’est bien ce qui a été entrevu par la majorité lorsque Jean-Marc Ayrault a évoqué une refonte générale de la fiscalité, réveillant chez certains parlementaires le souvenir des Etats-Généraux de 1789…

De plus, le mot réforme est devenu synonyme non plus d’une conquête pacifique de nouveaux droits mais de régression sociale. Voir ses avantages et ses conditions de vie reculer n’est jamais plaisant et chacun a l’impression qu’il paie pour les autres. C’est pourquoi le candidat François Hollande avait tant insisté sur l’idée de justice lors de sa campagne : pour creuser l’écart d’image à ce sujet avec Nicolas Sarkozy mais aussi pour faire une promesse minimale à l’électorat de gauche, celle d’un effort équitablement réparti. C’est je crois en ces termes qu’il faut poser le problème : peut-on suivre les demandes insistantes, voire comminatoires, de l’Europe et des institutions financières internationales en proposant des réformes qui ne soient pas perçues comme aggravant les inégalités sociales ?

Comment ces réformes pourraient-elles raisonnablement être menées ?

Jean-Marc Daniel : Je crois qu’il suffirait de tenir un discours clair à la population, sans dramatiser la situation - inutile d’évoquer Churchill ou la menace d’une situation grecque - mais marquant la cohérence. Que Pierre Moscovici écoute et lise les discours de George Osborne, le chancelier de l’Échiquier, et il comprendra ce que l’on doit attendre de lui. Il est trop facile de dire que les réformes à mener sont connues mais que la population s’y refuse.

De quel marge de manœuvre François Hollande dispose-t-il dans l'opinion ? Sa très faible popularité lui laisse-t-elle justement une grande liberté ?

Jérôme Sainte-Marie : Par goût du paradoxe, on pourrait avancer qu’avoir atteint le record d’impopularité de la Vème République donnerait à François Hollande une certaine liberté. C’est séduisant, mais c’est trompeur.

Etre considéré, selon un sondage PollingVox/Claméo.fr publié dans 20 Minutes, comme un président injuste, faible et partisan, un président dont l’action ne suscite pas la moindre mémorisation spontanée positive pour 60% des Français, un président enfin qui ne suscite que 2% de très bonnes opinions, révèle un discrédit profond et réel dans le pays qui ne se réduit pas à une courbe statistique. Derrière ces pourcentages, ce ne sont pas simplement des individus qui doutent, mais des groupes sociaux entiers qui s’opposent aujourd’hui à l’exécutif. Ce n’est peut-être pas le combustible d’une très hypothétique explosion sociale, mais que la gauche perde durablement le soutien des salariés moyens et modestes entrainerait pour elle une longue série de désastres électoraux.

Le caractère des institutions de la Vème République donne à l’évidence une grande liberté d’action au président de la République et l’on a vu la droite perdre toutes les élections intermédiaires entre 2007 et 2012, selon moi européennes comprises, sans que cela empêche Nicolas Sarkozy de s’imposer facilement comme son candidat presque unique à la présidentielle. Cependant, l’impopularité massive corrode les solidarités politiques, affaiblit les soutiens, encourage les oppositions, gêne la communication, etc. Elle ne peut en aucun cas être considérée comme un atout pour agir.

Que se passera-t-il si rien n'est fait ?

Jean-Marc Daniel : Dans l’immédiat, pas grand-chose. Le pays continuera à s’enfoncer dans le chômage et la faible croissance. Mais cela sera masqué car le cycle économique fait son effet et nous allons connaître des années de croissance jusqu’en 2017. Le problème de fond est que chaque remontée dans le cycle se fait à un niveau de croissance de moins en moins élevé. Dans les années qui viennent, on peut espérer que cette croissance cyclique affaiblie sera mise à profit, à la différence de ce qu’avaient fait les gouvernements précédents, notamment les gouvernements Rocard, Jospin et Raffarin, pour inverser la tendance à l’endettement.

A moyen terme, le pays a un avantage par rapport à ses voisins qui est sa démographie. L’Allemagne entre dans une période où la croissance va buter sur son vieillissement. La France ignorera cette difficulté.

Une nouvelle année sans grandes réformes pourrait-elle encore faire chuter sa popularité ou a-t-on atteint une sorte de palier ? Quel est l'impact potentiel sur son soutien dans la majorité ?

Jérôme Sainte-Marie : La mise sous tension du modèle social français nous fait entrer en territoire inconnu. En d’autres périodes, la dette a permis d’acheter la paix sociale et de flatter ses clientèles électorales. Cela ne devrait plus être tout à fait le cas et une baisse supplémentaire de la « popularité » de l’exécutif est possible. Ceci d’autant plus que les vœux présidentiels annonçant une réduction de la dépense publique pourraient bien inquiéter les 57% de sympathisants socialistes approuvant encore son action et parmi lesquels nombre de fonctionnaires, en activité ou retraités. Il en va de même parmi les 40% de sympathisants écologistes et les 32% de sympathisants du Front de gauche manifestant encore quelque indulgence pour François Hollande.

Le plus grand danger pour le président de la République est là : non pas de voir baisser davantage sa courbe de popularité – d’ailleurs certains électeurs du centre ou de l’UMP pourraient lui accorder leur confiance, au vu de l’inflexion de l’action gouvernementale -, mais plutôt de décourager ses soutiens naturels. On passerait alors d’une crise de popularité à une crise politique, avec un parti socialiste affaibli et divisé.

Puisqu’il n’existe pas de majorité parlementaire alternative à celle en place et que l’on n’imagine pas une « grande coalition » en France, la seule issue serait la dissolution, ouvrant la voie à la cohabitation. Une éventualité qui pourrait séduire les créanciers du pays.

Quelles sont les menaces les plus sérieuses qui planent sur l'économie en 2014 ? Avec quelles répercussions politiques ?

Jean-Marc Daniel : Les taux longs vont probablement remonter. Cela signifie au passage que l’épargne sera mieux rémunérée et en soi ce ne sera pas forcément une mauvaise chose. Cela alourdira évidemment le coût de la dette publique, sans que cela ne se manifeste vraiment en 2014 dans la mesure où l’Agence France Trésor a anticipé le phénomène et dégagé des marges de trésorerie.

La vraie menace reste la panne de l’investissement privé qui se nourrit du faible taux de marge des entreprises (nous sommes redescendus à des niveaux jamais vus depuis 1985). Dans ce genre de situation, les Anglais en 2009 ont baissé la TVA en disant aux entreprises de ne pas baisser leurs prix, cela afin de redresser leurs marges. Maintenant ils baissent l’impôt sur les sociétés. Résultat, l’économie britannique est repartie. Quel que soit l’outil, c’est là qu’est l’urgence

François Hollande pourrait-il malgré tout être tenté de prendre le risque de l'immobilisme ? Y résisterait-il politiquement ? Quels scénarios seraient alors envisageables ?

Jean-Marc Daniel : François Hollande inscrit son action dans la logique du cycle économique. Il avait annoncé le retour d’une certaine croissance au printemps dernier sous les sarcasmes et elle est là. Il compte sur la dynamique cyclique américaine pour porter la croissance française. D’ailleurs, contrairement à ce que l’on raconte en abusant du mot compétitivité, nos exportations se portent plutôt bien. Ce pari de la solution venue de l’extérieur est toutefois risqué parce que l’économie américaine ne va pas aussi bien qu’on le croit. D’après l’OCDE, la croissance potentielle des Etats-Unis est passée en 20 ans de 3% à 1,7%. C'est-à-dire que la reprise à venir de l’économie américaine va probablement décevoir.

La force politique de François Hollande réside dans la faiblesse de ses adversaires. L’offre politique concurrente est soit un repli protectionniste anti-européen porté par certaines composantes à la fois de la droite et de la gauche mais qui demeurent minoritaires, soit une droite dite de gouvernement qui propose la même chose que lui (Quelle différence entre le CICE et la TVA sociale de Sarkozy ?!).

Il lui reste en outre l’arme des présidents qui veulent se refaire une santé politique, à savoir la cohabitation. Il lui suffirait pour ce faire de dissoudre l’Assemblée après les régionales. Mitterrand en 1988 et Chirac en 2002 ont gagné après une cohabitation. On peut certes espérer vu le caractère pathétique et destructeur sur le plan économique de ces secondes présidences que la population ne se laisserait pas prendre, mais rien n’est moins sûr.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !