François Heisbourg : « Une défaite de l’Ukraine serait perçue dans le monde comme une défaite de ce que les Russes appellent l’Occident collectif »<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Volodymyr Zelensky, président de l'Ukraine.
Volodymyr Zelensky, président de l'Ukraine.
©Adnan Beci / AFP

Economie de guerre ?

Si l’Europe elle-même veut remplacer les Etats-Unis dans le rôle qu’ils jouaient jusqu’à présent dans l’OTAN, il faut évidemment augmenter de façon substantielle les budgets de défense, de passer de 2 à 3 % du PIB.

François Heisbourg

François Heisbourg

François Heisbourg est président de l’International Institute for Strategic Studies (IISS), basé à Londres, et du Centre de politique de sécurité de Genève (GCSP).

Il est conseiller spécial à la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS).

Il a été membre du Centre d'Analyse et de Prévision du ministère des affaires étrangères (1978-79), premier secrétaire à la représentation permanente de la France à l’ONU (1979-1981. 

Voir la bio »

Atlantico : Si l’Ukraine vient à perdre contre la Russie, quelle serait la principale conséquence sur l’Europe ?

François Heisbourg : La première et principale conséquence est que la Russie pourrait focaliser ses efforts sur la reconstitution et la modernisation de ses forces afin de les déployer contre des adversaires moins importants que l’Ukraine. Comme par exemple les pays limitrophes à l’Ouest : l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Moldavie et la Roumanie.

Quelles seraient les conséquences économiques ?

Je ne pense pas qu’il y aurait de très gros impacts économiques en soi. L’Europe est dorénavant affranchie de la dépendance énergétique par rapport à la Russie. Il n’y a pas de raison particulière à ce que la Russie ait des rapports apaisés avec l’Europe. Il y aurait peu d’entreprises européennes qui courraient le risque de vouloir réinvestir en Russie. Ce n’est donc probablement pas le domaine le plus important en termes de conséquences.

Concernant l’agriculture, en cas de défaite l’Ukraine serait subordonnée à la Russie. Ce qui ferait que cette agriculture constituerait, avec la Russie, le principal pôle exportateur de céréales et qui ferait « la pluie et le beau temps » dans le commerce des céréales dans le monde. Il y aurait une position dominante de la Russie à l’encontre de l’ensemble de tous les pays importateurs en la matière, comme les Etats d’Afrique, du Moyen-Orient et certains Etats d’Asie. L’Europe étant autosuffisante et exportatrice, les conséquences seraient moins importantes que sur les autres pays du Sud Global.

Dans la nouvelle guerre froide qui s’est ouverte entre les démocraties occidentales et les régimes autoritaires, quelles conséquences au niveau mondial si l’Occident est perçu comme faible et incapable de défendre ses alliés ?

Il est difficile de prédire à l’avance quel serait l’impact sur l’électorat américain, brésilien ou indien. Il est clair que du point de vue stratégique, cela n’est pas le même registre. Une défaite de l’Ukraine serait perçue dans le monde comme une défaite de ce que les Russes appellent l’Occident collectif. Cela modifierait la façon de se positionner pour un certain nombre d’Etats qui pourraient être tentés de ménager davantage leur relation avec la Russie.

La frontière de l’Estonie est à 110 kilomètres de Saint-Pétersbourg. Les trois Etats Baltes qui sont intercalaires entre la Russie continentale et l’enclave russe de Kaliningrad, qui elle-même a une frontière commune avec la Pologne et la Lituanie. Il suffit de regarder l’histoire des Tsars ou l’histoire soviétique pour voir à quoi pourrait ressembler la carte de l’Europe si la Russie obtenait ce qu’elle avait voulu obtenir par la voie de discussion en décembre 2021, avant la guerre en Ukraine, lorsqu’elle avait soumis sous forme d’ultimatum deux traités de sécurité qui auraient ramené la situation stratégique en Europe dans l’état où elle était au lendemain de la guerre froide.

D’un point de vue militaire, que se passerait-il en Europe en cas de défaite de Kiev ? Que pourrait-elle mettre en place si l’Ukraine se retrouve défaitiste ?

Cela dépend de ce que l’Europe peut décider de faire, et bien sûr cela dépend aussi des événements aux Etats-Unis. La défense de l’Europe est assurée par l’Alliance atlantique depuis 1949, donc ce que font ou ne font pas les Américains a des conséquences extrêmement importantes. Si Donald Trump est élu, les Etats-Unis auront un niveau d’engagement en Europe très différent.

Si l’Europe elle-même veut remplacer les Etats-Unis dans le rôle qu’ils jouaient jusqu’à présent dans l’OTAN, il faut évidemment augmenter de façon substantielle les budgets de défense, de passer de 2 à 3 % du PIB. Ce sont d’ailleurs des niveaux similaires à ceux qui se pratiquaient de façon courante pendant la guerre froide, donc ce n’est pas sans précédent. Augmenter de moitié les budgets de la défense est quelque chose sur lequel les États européens auront du mal à se décider. Jusqu'à présent, le sujet n'a pas été mis sur la table dans ces termes. Il est clair que si nous sommes obligés de compter sur nos seules forces afin de remplacer les Américains, cela va représenter près de l'équivalent de la moitié de ce que nous dépensons aujourd'hui en matière de défense. Même si les Russes ne gagnent pas en Ukraine, l’Europe sera de toute façon obligée de faire cet effort. Sinon, nous ne serons pas en mesure d’aider l'Ukraine, et donc l'Ukraine dans ce scénario perd aussi la guerre.

Au risque de faire perdre l’Ukraine, comment l’Europe peut suppléer l’absence des Etats-Unis ?

Il faudrait développer l’industrie de défense européenne. Les Européens dépensent une bonne partie de leur budget de défense en achetant des armes aux Etats-Unis. Il est clair que si les Américains ne remplissent plus leur rôle de protecteur, il sera très difficile de continuer de leur acheter des armements, donc il faudra bien sûr en fabriquer par nous-mêmes. Je pense que politiquement, ce principe-là sera très facile à admettre. Evidemment, cela ne peut fonctionner que s’il y a de l’argent, ce qui nous ramène au sujet de l’augmentation des budgets.

Depuis le début du conflit, des millions d’Ukrainiens se sont réfugiés en Europe, surtout en Pologne. Si jamais l’Ukraine perd contre la Russie, l’Europe va-t-elle continuer à accueillir de nouveaux réfugiés dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui ?

Oui bien sûr. La véritable question est de savoir si les Ukrainiens continueront à venir dans l’Union européenne ? La réponse est oui. Ils continueraient de venir et l’UE s'efforcerait de leur ouvrir les portes.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !