François Bayrou veut un Premier ministre garant du dépassement macroniste mais qu’a vraiment dépassé Macron depuis 2017… ?<!-- --> | Atlantico.fr
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"Sur le plan politique, le clivage droite-gauche était dépassé bien avant l’arrivée d’Emmanuel Macron", estime Christophe Boutin.
"Sur le plan politique, le clivage droite-gauche était dépassé bien avant l’arrivée d’Emmanuel Macron", estime Christophe Boutin.
©Ludovic MARIN / AFP

Renverser la table, vraiment ?

Le dépassement porté par Emmanuel Macron, c’est bien celui de « l’extrême centre », ici compris non pas comme la force d’équilibre sans doute évoquée par François Bayrou, mais comme un pouvoir politique mis au service d’intérêts tout sauf politiques.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Alors que le remaniement ministériel bat son plein, François Bayrou a affirmé sur BFMTV qu'il était « attaché à ce renouveau inédit et totalement imprévu qui, en 2017, a fait abattre les deux clans qui tenaient par un monopole absolu le pouvoir depuis 50 ans », en plaidant pour le « dépassement ». Ce projet a-t-il été vraiment perçu par les Français ? Est-ce qu'Emmanuel Macron l'a dépassé ?

Christophe Boutin : Ce projet a-t-il été porté par les Français ? Oui et non. Les Français en 2017 voulaient effectivement, et François Bayrou a tout à fait raison sur ce point, « renverser la table ». Ils voulaient en terminer avec des alternances qui ne changeaient rien, et espéraient qu’Emmanuel Macron serait vraiment l’homme de cette « Révolution » dont il avait fait le titre de son livre programme. Mais il serait bien plus douteux de prétendre que les Français voulaient du programme libéral-libertaire du même Emmanuel Macron. 

Ils ne souhaitaient sans doute pas la disparition programmée de tout ce qui avait été payé par l’impôt des générations précédentes en termes d’énergie ou de transport, bradé à des organismes privés et des fonds de pension. Ils ne voulaient sans doute pas de la disparition des services publics des campagnes pour payer les « politiques de la ville » des « quartiers ». Ils ne voulaient sans doute pas non plus de cette société libertaire basculant dans le wokisme et ses interdits, et qui, au nom de la protection de pseudo-victimes organisées en lobbies, restreint chaque jour les libertés des autres. 

Le dépassement porté par Emmanuel Macron, c’est bien celui de « l’extrême centre », ici compris non pas comme la force d’équilibre sans doute évoquée par François Bayrou, mais comme un pouvoir politique mis au service d’intérêts tout sauf politiques, et mettant pour cela en œuvre une politique de répression - on se souviendra des Gilets jaunes - et de surveillance généralisée que l’on n’a jamais connu auparavant. Un dépassement, qui, à ce train, pourrait bientôt être celui de la démocratie.

Peut-on mettre le dépassement du clivage gauche-droite à son crédit ? 

Sur le plan politique, le clivage droite-gauche était dépassé bien avant l’arrivée d’Emmanuel Macron. En témoignait de manière évidente le fait que, dans les alternances qui voyaient se succéder au pouvoir des majorités de droite et de gauche, essentiellement autour de l’alliance UDF-RPR puis de l’UMP à droite, du UPS éventuellement allié avec les écologistes à gauche, rien ne changeait ou presque dans les politiques suivies. Les questions sociétales restaient préemptées par la gauche, toujours plus attentive à déconstruire le roman national, détruisant méthodiquement les principes, mythes, histoires ou héros autour desquels il avait été construit par les républicains de la IIIe République. Les questions économiques restaient elles préemptées par une droite acquise à la mondialisation heureuse et à l'économie de marché, et qui avait fini par convaincre les élus de gauche qu’un ralliement à ces concepts n’était pas exempt d’avantages personnels. 

Cette idéal libéral-libertaire structurait finalement la vie politique française bien plus que la pseudo-division entre droite et gauche, et il était allié bien sûr à au transfert toujours plus grand de compétences étatiques par les majorités successives de droite et de gauche à une Union européenne tentaculaire. Emmanuel Macron a simplement compris – ou certains l’ont compris, et pensé qu’Emmanuel Macron pourrait porter le projet -, que l’on pouvait sur cette base commune qui, encore une fois, préexistait à l’offensive politique de 2017, réussir une alliance et construire un grand parti centriste, reléguant aux extrêmes une extrême gauche qui se voulait encore révolutionnaire, et une droite conservatrice et nationaliste. 

Pour quels effets ? Quels sont les résultats depuis 2017 ? 

Les effets ne sont pas ridicules sur le plan politique. Par ce biais, Emmanuel Macron a d’abord fait exploser le PS en 2017, puis fragiliser, pour ne pas dire plus, les Républicains. Rappelons qu’il pensait alors, fort de ce succès qu’il voyait s’étendre à d’autres pays, peser sur la politique du Parlement européen et de toute l’Union. 

Il avait simplement oublié, ébloui par ce « coup politique » de réunir derrière lui quelques élus largement démonétisés et de jeunes pousses inconnues pour parvenir au pouvoir en bénéficiant de la lassitudes Français face aux anciens « partis de gouvernement », que la réalité démocratique pouvait lui imposer à lui aussi de répondre aux inquiétudes des Français. Ce qu’il ne fit pas.

Le résultat, ce furent les élections législatives de 2022, l’apparition d’une opposition importante, aussi bien de gauche que de droite à l’Assemblée nationale, et l’impossibilité de disposer d’une majorité absolue. C’est alors qu’il a demandé à Elisabeth Borne de tout faire pour élargir cette majorité, une mission pour laquelle la maintenant ex-Première ministre a échoué, et qui est rendu chaque jour d’autant plus délicate, sinon impossible, que la majorité parlementaire elle-même risque maintenant de se fractionner, chacun pensant à un 2027 dont Emmanuel Macron sera absent.

Mais ce ne sont là que des éléments politiques. Pour traiter des « résultats », sans doute faudrait-il envisager aussi des éléments économiques, qui vont de la vente d’un certain nombre de nos pépites aux échecs des collaborations avec une Allemagne sure d’elle et dominatrice, de notre inféodation, toujours plus grande à l’OTAN et donc aux États-Unis à la volonté d’Emmanuel Macron d’accentuer le transfert de souveraineté vers l’Union européenne, des atteintes à la propriété immobilière aux cadeaux fiscaux à la finance, et tant d’autres éléments sur lesquels nul ne peut nier qu’il y ait effectivement eu « des résultats ».

En quoi pourrait consister ce dépassement ?  

Il y a bien des pistes… On pourrait, par exemple, dépasser le clivage qui persiste entre les élus et les citoyens, mais la seule solution trouvée par Emmanuel Macron a été celle du « en même temps ». Elle consiste, on le sait, et on l’a vu récemment encore avec la loi immigration, à mélanger dans le même texte des mesures pour plaire à la droite et d’autres pour plaire à la gauche, espérant ainsi dégager un consensus politique, mais sans pour autant toucher à l’essentiel, c’est à dire répondre aux attentes du peuple. Pourtant, sur un certain nombre de questions qui touchent aux principales inquiétudes des Français, sur la progression de l’immigration ou cette insécurité que même les modifications des statistiques ne permettent pas d’effacer, le consensus existe bien, mais ailleurs que dans les choix proposés depuis des décennies et auxquels les réformes macroniennes n’apportent que des modifications cosmétiques. 

Un autre dépassement pourrait consister à dépasser les divisions internes française, comme ce clivage toujours plus grand entre les habitants des métropoles et ceux de la France périphérique. Un autre, encore, consisterait à s’affranchir de la tutelle idéologique de cette gauche dite « intellectuelle », autrefois marxiste et maintenant woke. Un autre serait de se poser la question de la nécessité de la fuite en avant européiste. On le voit ce ne sont pas les possibles dépassements de la doxa ambiante qui manquent.

Comment le macronisme pourrait se renouveler / se dépasser avec une nouvelle tête à Matignon ?

Pour répondre à votre question, il faudrait déjà savoir quelle sera la nouvelle tête mise à Matignon : entre Denormandie, Lecornu ou Attal, pour prendre quelques noms cités, il est évident que les « dépassements » ne seraient pas les mêmes. Il importerait aussi de savoir si l’équipe derrière cette nouvelle tête pourra elle aussi contribuer à incarner ce renouvellement. 

Mais, comme le relevait très justement hier dans vos colonnes Christophe Bouillaud, le problème vient aussi de l’impossibilité de renouveler un Emmanuel Macron qui continue à décider de tout, et débat beaucoup plus avec ses conseillers, élyséens ou de l’ombre, qu’avec ses ministres, dont même le Premier n’a d’autre fonction que d’être cet exécutant que l’on peut remercier d’un tweet.

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