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François Bayrou, le clandestin des sondages : pas déclaré mais réclamé ?
©Reuters

A-t-il une chance ?

Depuis quelques mois, François Bayrou connaît une embellie dans les sondages. Capable de rassembler les modérés de la gauche comme de la droite, il pourrait faire de l'ombre à une candidature de François Hollande ou de Nicolas Sarkozy.

Jean Garrigues

Jean Garrigues

Jean Garrigues est historien, spécialiste d'histoire politique.

Il est professeur d'histoire contemporaine à l' Université d'Orléans et à Sciences Po Paris.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages comme Histoire du Parlement de 1789 à nos jours (Armand Colin, 2007), La France de la Ve République 1958-2008  (Armand Colin, 2008) et Les hommes providentiels : histoire d’une fascination française (Seuil, 2012). Son dernier livre, Le monde selon Clemenceau est paru en 2014 aux éditions Tallandier. 

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Erwan Lestrohan

Erwan Lestrohan

Erwan Lestrohan est directeur d'études à l'Institut BVA.

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Atlantico : Dans un sondage réalisé par BVA, le leader du Modem, François Bayrou, progresse dans les intentions de vote à l'élection présidentielle de 2017. Cette augmentation est effective tant du côté des électeurs de François Hollande, que ceux de la droite et du centre. Comment expliquer cette progression dans les sondages alors même que François Bayou n'est, pour le moment, pas candidat à l'élection présidentielle ?

Erwan Lestrohan : S’il n’est pas encore candidat déclaré à l’élection présidentielle de 2017, ses candidatures en 2002, 2007 et 2012, ainsi que sa ligne politique spécifique, en font un point d’ancrage solide et légitime pour de nombreux Français. Alors que François Bayrou recueillait, selon le candidat qui représentera Les Républicains à l’élection présidentielle, 11% à 12% des intentions de vote en avril, le score de premier tour qu’il pourrait recueillir oscille dans notre sondage du mois de mai entre 13,5% et 16% (si le candidat Les Républicains était Bruno Le Maire).

Dans cette dernière hypothèse, François Bayrou progresse chez les sympathisants de la droite et du centre mais également chez les électeurs de François Hollande au 1er tour de 2012 : 20% pourraient voter pour lui, contre 7% il y a un mois. La progression électorale significative du président du MoDem peut être expliquée par un recentrage des Français vers des personnalités plus rassembleuses et moins clivantes dans un contexte d’enlisement ou de durcissement des conflits sociaux. Nous constatons le même mouvement, de façon moins marquée, pour Alain Juppé qui gagne 3 points d’intentions de vote à 38% au premier tour. Notez que nous n’avons pas testé l’hypothèse d’une candidature de François Bayrou face à Alain Juppé, compte-tenu du soutien exprimé par le maire de Pau à Alain Juppé si celui-ci était le vainqueur de la primaire de la droite et du centre.

Jean Garrigues : Depuis des mois, nous constatons un rejet des sortants (François Hollande et Nicolas Sarkozy) qui est bénéfique à François Bayrou. Il y a une réelle volonté des électeurs de "passer un coup de balai" sur ceux qui incarnent ou ont incarné le pouvoir. En outre, François Bayrou a toujours eu une excellente image de crédibilité et de parler vrai auprès des Français, que ce soit en matière de rigueur budgétaire ou d’éthique de la gouvernance.  Il a été l'un des premiers à réclamer une plus grande rigueur budgétaire, un assouplissement des charges des entreprises. Il prône depuis toujours la plus grande sévérité envers les dérives clientélistes, affairistes et la corruption.  La cohérence et la permanence de ses idées sont d’autant plus notables qu’elles contrastent avec les atermoiements et les hésitations des mandats de Nicolas Sarkozy et de François Hollande.

Le deuxième élément qui lui permet d'asseoir sa position, c'est son positionnement de rassembleur de la droite et de la gauche. Ce positionnement, qu’il défend depuis la campagne de 2002, a failli lui permettre d’accéder au second tour en 2007, mais il lui a coûté le leadership du centre.  Mais cette idée du "ni droite, ni gauche" a pris aujourd’hui une consistance nouvelle avec  Emmanuel Macron et son mouvement "En marche". D'une certaine manière, Emmanuel Macron valide et légitime la ligne de François Bayrou, qui lui avait pourtant attiré les foudres de la droite et le rejet de la gauche.  Une partie de l'électorat socialiste, qui n'est plus rétive au social-libéralisme (grâce à Manuel Valls, il faut le souligner) peut être désormais réceptive aux idées de Bayrou.  Et du côté de la droite, Alain Juppé, favori de la primaire, s'est ostensiblement rapproché des positions que François Bayrou défend, et qui sont compatibles avec  celles d’une droite libérale, sociale et humaniste. 

En développant une critique des programmes économiques de droite, jugés trop libéraux, François Bayrou semble prendre le contre-pied des candidats à la primaire des Républicains. En quoi cette approche est-elle, ou non, pertinente ?

Jean GarriguesFrançois Bayrou a simplement affirmé sa sensibilité démocrate-chrétienne. Il vient d'une famille politique de sensibilité sociale et moins libérale que celle des candidats aux primaires de la droite. Face au néo-libéralisme des candidats de la droite, il se positionne sur un terrain plus social, plus protecteur et régulateur, au nom de la sensibilité humaniste qui a fait l’histoire de sa famille politique.

Cette stratégie est-elle également efficace à gauche ? En quoi François Bayrou peut-il représenter une menace pour François Hollande ?

Jean GarriguesDans tous les cas de figure, François Bayrou représente une menace pour François Hollande comme pour Nicolas Sarkozy.  Si François Hollande est le candidat de la gauche, qu'il soit issu d'une primaire au sein du PS ou qu'il se soit imposé de fait, il va forcément laisser une partie de son électorat à François Bayrou.  Si Nicolas Sarkozy gagne les primaires de la droite, Bayrou se présentera contre lui, avec la possibilité de lui prendre des voix au centre droit. Dans le cas où Alain Juppé devient le candidat officiel de la droite et du centre, son allié Bayrou lui amènera les voix du centre, qui manqueront à François Hollande. Il y a une forte probabilité que l'on se retrouve au premier tour de cette élection présidentielle avec trois ou quatre candidats au coude à coude autour de 15-17%, sans qu'il y ait une préférence nette pour l'un des candidats. A ce moment-là, François Bayrou pourra récupérer des voix de la gauche comme de la droite qui sont déçues par les candidats Hollande et Sarkozy. Il serait alors en position d’être au second tour contre Marine Le Pen, donc de l’emporter.

François Bayrou a annoncé qu'il soutiendrait la candidature d'Alain Juppé s'il remportait la primaire de la droite. Depuis un an, de nombreux sondages font du centriste, l'homme incontournable capable de rassembler l'ensemble des modérés. En quoi est-il, ou non, une pièce maîtresse de la stratégie électorale pour remporter la prochaine élection présidentielle ?

Erwan Lestrohan : Dans notre dernier sondage, on observe que 25% des Français se déclarent à gauche, 12% au centre, 28% à droite et 35% ni à gauche, ni à droite. En analysant les résultats on observe que chez les personnes se réclamant du centre, François Bayrou capterait 55% des intentions de vote contre 4% pour Nicolas Sarkozy si celui-ci était candidat. Parmi les prétendants à la primaire, Alain Juppé semble disposer d’une base électorale plus large et moins marquée à droite (seuls 48% de ses électeurs de 1er tour se déclarent à droite) alors qu’on fait le constat inverse pour François Fillon (81% de ses électeurs se déclarent à droite), Nicolas Sarkozy (81%) et Bruno Le Maire (74%).

Sur le plan électoral, le soutien de François Bayrou à Alain Juppé peut générer, si le maire de Pau n’est pas candidat : on remarque une plus grande inclinaison à voter pour le maire de Bordeaux chez les sympathisants du centre voire de la gauche, chez les déçus de François Hollande notamment. Pour autant, il faut aussi se méfier des bénéfices que susciterait l’élargissement vers le centre de la base électorale d’Alain Juppé. Celui-ci a prioritairement besoin d’endosser les habits du chef de file de la droite afin de remporter la primaire des Républicains et un positionnement trop centriste pourrait le desservir dans cette élection.

Jean Garrigues : Ce qui est nouveau aujourd'hui, c'est que la stratégie de Bayrou est reconnue par les autres familles centristes. Il semblerait qu'un rapprochement soit désormais possible avec ceux qui ont quitté François Bayrou naguère, c'est-à-dire une grande partie de l'UDI.  François Bayrou est la seule personnalité du centre qui soit en mesure d'être perçue comme un candidat sérieux et un personnage incontournable du centre. Il est également indispensable pour Alain Juppé qui compte sur lui pour remporter l'élection présidentielle. Donc François Bayrou ne remportera peut être par la bataille de 2017 (a priori il n'est pas candidat) mais il devrait y jouer, quoiqu’il arrive, un rôle décisif.

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