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La France n’a plus d’otages… est-ce une libération pour ses services de renseignement ?
©Reuters

Libérée, délivrée

La semaine dernière, Isabelle Prime, retenue au Yémen depuis février 2015, était la dernière otage française à être libérée. Ces prisonniers, retenus pour des raisons politiques ou crapuleuses, sont une pression exercée sur la France et tout particulièrement sur ses services de renseignement.

Alain Chouet

Alain Chouet

Alain Chouet est un ancien officier de renseignement français.

Il a été chef du service de renseignement de sécurité de la DGSE de 2000 à 2002.

Alain Chouet est l'auteur de plusieurs ouvrages sur l’islam et le terrorisme. Son dernier livre, "Au coeur des services spéciaux : La menace islamiste : Fausses pistes et vrais dangers", est paru chez La Decouverte en 2011.

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Atlantico : Depuis la libération d’Isabelle Prime, le 6 août dernier, il n’y a plus d’otage français dans le monde. Depuis 2009, Paris a été confronté presque sans discontinuité à ce genre de crises. Quelles sont les conséquences des prises d’otages sur la liberté d’action des acteurs de terrain ? Cette libération peut-elle offrir une marge de manœuvre accrue ?

Alain Chouet : Les prises d’otages auxquelles la France a été confrontée ces quinze dernières années avaient en général des finalités plus crapuleuses que politiques. Leur impact sur les options diplomatiques du gouvernement a donc été limité aux nécessités directes des négociations et aux impératifs de coopération avec les autorités locales. Elles n’ont pas non plus beaucoup influé sur nos dispositifs militaires qui n’ont été mis en œuvre qu’en de très rares occasions et, malheureusement, sans grand succès.

En revanche, elles ont beaucoup pesé sur l’activité des services de renseignement extérieur contraints de mobiliser de gros moyens humains, techniques et opérationnels pour identifier précisément les ravisseurs, les localiser, trouver les canaux possibles de négociation et les intermédiaires locaux susceptibles de relayer utilement ces négociations. Elles ont enfin lourdement pesé sur le budget de ces services puisque, pour maintenir la fiction qui veut qu’on ne paye pas pour la libération des otages, il a bien fallu trouver des sources de financement discrètes qui ne peuvent provenir que des fonds spéciaux alloués aux services pour leurs opérations clandestines extérieures et bénéficient du privilège d’une comptabilité protégée par le secret défense.

Après un pic qui s’est élevé à une quinzaine d’otages, la France a eu un bref intermède entre décembre 2014 et février 2015. Peut-on espérer aujourd’hui mieux éviter les prises d’otages ? Les personnes susceptibles de voyager sur des territoires à risques sont-elles mieux sensibilisées à cette problématique ?

D’une manière générale, les personnes appelées à se rendre à l’étranger à titre professionnel ou personnel sont maintenant largement sensibilisées aux risques inhérents à un certain nombre de territoires ou de situations. Soit ils renoncent à s’y rendre, soit ils s’entourent d’un maximum de précautions et de protections. Les médias, les organisations humanitaires, les grandes entreprises d’extraction de matières premières, de construction, de suivi technique, évitent maintenant d’envoyer sur place des expatriés et ont largement recours à des recrutés locaux éventuellement formés en France. Quand la présence d’expatriés est jugée indispensable, ils sont le plus souvent confinés sur leur lieu de travail transformé aussi en lieu de vie et sous bonne garde des autorités locales de droit ou de fait.

Que fait la France pour réduire le risque de prises d’otages ?

Le Quai d’Orsay mène une politique très active d’information et de sensibilisation des Français expatriés ainsi que des personnes susceptibles de se rendre temporairement à l’étranger à travers son site Internet dédié et régulièrement actualisé. De leur côté, les services de renseignement et de sécurité intérieurs et extérieurs organisent en permanence des sessions de sensibilisation et d’information pour le personnel et les cadres des grandes entreprises intervenant à l’étranger.

Le pouvoir de l’Etat s’arrête cependant là et il n’est pas question, sauf activités manifestement illégales ou délictueuses, de contrôler les déplacements des citoyens français et encore moins de les empêcher de voyager, y compris dans des zones considérées comme présentant des risques majeurs.

Comment évaluez-vous le risque "otages" pour la France ?

Compte tenu du fait que la stratégie de prise d’otages s’est révélée payante en termes politiques et/ou financiers depuis les années 1970, le risque est évidemment permanent. Dans les années 1980, la France a été essentiellement confrontée à des prises d’otages qui s’inscrivaient dans des stratégies de terrorismes d’Etat (Iran, Syrie, Libye...) visant à obtenir des avantages politiques. C’est une période qui s’est terminée avec la fin de la guerre Iran-Irak, l’effacement relatif de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) et certaines formes de normalisation au Liban.

Depuis la fin des années 1990, les prises d’otages répondent essentiellement à des finalités crapuleuses plus ou moins habillées de revendications politiques pour les rendre "respectables" et faire monter les enchères. La France n’est pas une cible privilégiée pour ce genre d’activités mais elle est certainement plus exposée car elle est plus engagée politiquement et militairement que d’autres sur de nombreux territoires à risque, parce que ses médias et son opinion publique surréagissent aux prises d’otages, offrant ainsi aux ravisseurs une large tribune d’expression et des opportunités de surenchères. Enfin, elle est plus exposée que certains autres aux prises d’otages crapuleuses car elle a – à tort ou à raison - la réputation de bien payer pour obtenir leur libération. C’est également le cas de certains autres pays européens (Allemagne, Suisse, Italie) dont les ressortissants ont également tout intérêt à éviter les zones à risque mais qui n’offrent pas le même retentissement médiatique que la France.

Propos recueillis par Romain Mielcarek

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