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France des quartiers populaires, France périphérique : laquelle  a le plus souffert de la rupture d'égalité républicaine ?
©MYCHELE DANIAU / AFP

Le match ?

Lors du Grand débat qui s'est tenu ce lundi soir à Grigny, le maire de la ville hôte a déclaré devant Emmanuel Macron : "Il y a une profonde rupture d'égalité républicaine dans les quartiers populaires".

Laurent  Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant. Membre du think tank European Centre for International Affairs.

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Atlantico: La crise des Gilets jaunes a révélé le malaise de la France périphérique - rurale et périurbaine - qui dénonçait la même rupture d'"égalité républicaine" sur des territoires différents. Sans opposer France périphérique et quartiers, quels sont les territoires qui ont été le plus délaissé par l'Etat ?

Laurent Chalard: Tout d’abord, il convient de rappeler qu’il est extrêmement difficile de mesurer statistiquement quels sont les territoires les plus aidés et les moins aidés par l’Etat du fait des nombreuses politiques publiques territorialisées dont il faut tenir compte, et pas seulement des politiques exclusivement destinées à des espaces spécifiques. Si, au premier abord, il apparaît incontestablement une concentration des efforts de l’Etat vis-à-vis des quartiers populaires des grandes métropoles dans le cadre de la politique de la ville, tout du moins jusqu’à l’instauration des QPV en 2015, il n’en demeure pas moins que d’autres territoires bénéficient d’aides substantielles, de l’Etat ou de l’Europe, en particulier les territoires ruraux, à travers la PAC, les fonds structurels européens, ou encore la primed’aménagement du territoire. Les choses ne sont donc pas si simples.

Cependant, parmi l’ensemble des territoires en difficultés de l’hexagone, un type semble avoir été le plus délaissé : les petites et moyennes villes de tradition industrielle, concentrées dans le nord-est et le Massif Central au sens large, qui, depuis la fin de la politique des pôles de conversation menée, sans succès, dans les années 1980, ont ensuite, à quelques exceptions près (le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais), complètement disparu des territoires aidés, si ce n’est de la prime d’aménagement du territoire. En effet, en même temps que la France abandonnait son industrie lourde, elle a abandonné aussi les villes qui en dépendaient totalement, les laissant s’enfermer dans un chômage de masse et une sinistrose qui s’éternise. Ces territoires étant souvent éloignés des grands centres décisionnels hexagonaux et des principaux pôles touristiques, ils ont eu tendance à devenir « invisibles » pour les élites dirigeantes, la vallée de la Meuse de tradition métallurgique dans les Ardennes en constituant un exemple-type.

Démographiquement et politiquement, que représentent ces deux espaces ? 

Sur le plan démographique, il est relativement compliqué de donner des chiffres précis. Par exemple, si l’on utilise la terminologie de Christophe Guilluy, le concept de« France Périphérique », dont il est l’inventeur, correspond à environ 60 % de la population française, mais il ne définit pas précisément la population des quartiers populaires des grandes métropoles, qu’il englobe dans la population totale des métropoles. En conséquence, pour connaître le poids démographique de ces derniers, il faudrait en théorie se reporter à la population des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) définies par l’Etat en 2015, qui regroupent un peu plus de 5 millions d’habitants en 2013, en incluant ceux de La Réunion. Cependant, un nombre non négligeable de ces QPV font partie de la « France Périphérique » définie par Guilluy, étant situés dans des villes petites ou moyennes. Pour donner un exemple parlant, on retrouve des QPV dans l’Aisne à Saint-Quentin, Hirson, La Fère, Tergnier, Chauny, Laon, Soissons et Villers-Cotterêts, appartenant donc tous à la « France Périphérique » ! Il s’en suit que les QPV des grandes métropoles ne comptent qu’une fraction des 5 millions d’habitants en question, à vue d’œil, probablement autour de 3 millions de personnes, soit, probablement, guère plus de 5 % de la population française.

Sur le plan politique, à nouveau, les choses ne sont pas si simples que cela peut paraître au premier abord. En effet, du fait de la surreprésentation traditionnelle des territoires ruraux dans le mode de scrutin français, qui a une légitimité certaine, ces derniers sont plutôt mieux représentés que leur poids démographique ne le laisserait penser dans la classe politique hexagonale. Cependant, il faut faire attention à ne pas mal interpréter cette donnée car lorsque l’on monte au sommet de la pyramide, on constate une surreprésentation d’un personnel dirigeant issu des quartiers aisés des grandes métropoles. Concernant les quartiers populaires des grandes métropoles, ils sont plutôt sous-représentés politiquement, mais bénéficient de leur proximité géographique avec le reste de leur métropole, d’où une visibilité certaine de leurs problématiques pour les classes dirigeantes, pour qui elles sont devenues l’incarnation de la question sociale en France, du fait d’une méconnaissance totale de ce qui se passait dans les territoires lointains de la « France Périphérique ». Donc, il existe un certain paradoxe.Si, d’un côté, les quartiers populaires des grandes métropoles sont mal représentés politiquement, par contre, leurs problèmes sont mieux pris en compte, même si les résultats sont loin d’être à la hauteur des enjeux, du fait de leurs visibilité, entraînant une certaine disproportion entre le poids réel de ces territoires et l’attention que leur accordent les élites.

Comment en est-on arrivé à ce que la représentation politique ait pu sembler disproportionnée entraînant une opposition discutable ? 

Comme nous venons de le voir, l’Etat central ayant concentré, au moins jusqu’en 2015, ses politiques sociales vers des quartiers en difficultés principalement concentrés dans les grandes métropoles, ne correspondant finalement qu’à une part limitée de la population française, il s’en suit que logiquement les autres territoires en français en difficultés, ou tout du moins fragilisés, se sont perçus comme totalement oubliés. Ces derniers territoires ont eu l’impression que certains comptaient plus que d’autres aux yeux de la classe politique dirigeante, d’où une rancœur certaine, qui, peut s’exprimer aujourd’hui par une opposition dans une optique de mise en concurrence des territoires pour bénéficier d’aides financières de l’Etat, qui s’avèrent de plus en plus limitées au fur-et-à-mesure du temps,étant donné sa dette abyssale.Chaque élu local essaie donc d’orienter les politiques publiques vers les problématiques spécifiques de son territoire d’élection. Les élus des communes abritant des quartiers populaires des grandes métropoles tentent de conserver le « pactole » qui leur était attribué jusqu’ici, d’autant qu’ils ont l’impression que les choses ne s’arrangent pas (c’est un autre débat, mais est-ce bien une question d’argent ?), alors que les élus des territoires les plus en difficultés de la « France Périphérique » veulent leur part du « pactole », qui leur semble devoir leur revenir de droit, étant donné des problématiques de pauvreté assez semblables aux quartiers populaires des grandes métropoles. En outre, il ne faut pas perdre de vue que politiquement, les deux types de territoires concernés ne sont globalement pas gérés par les mêmes partis politiques, ce qui exacerbe la concurrence. Les communes qui abritent les quartiers populaires des grandes métropoles demeurent, malgré une percée de la droite lors des municipales de 2014, largement à gauche alors que dans les territoires de la « France Périphérique », même s’il existe des différences régionales certaines, la droite domine au niveau du personnel politique local.

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