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France-Croatie : vers un enterrement en grande pompe pour conclure l’année noire du tennis français
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

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Dernière finale avant la réforme : à l'avenir, la nostalgie ne sera plus ce qu'elle était.

Olivier Rodriguez

Olivier Rodriguez

Olivier Rodriguez est entraîneur de tennis et préparateur physique. Il a coaché des sportifs de haut niveau en tennis. 
 
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Cette édition 2018 de la Coupe Davis sera la dernière sous ce format. Si l'avenir de l'épreuve est trouble et incertain, son passé nous renseigne et nous éclaire. Il est riche et glorieux. Née en 1900, cette institution unique a su sillonner la géographie comme la géopolitique en étant aussi portée par sa propre histoire, chaque nouvelle campagne contenant la mémoire des précédentes. Une compétition illustre, prêchant le sens d'un effort individuel mis au service d'un collectif, célébrant l'esprit d'équipe et les vertus du groupe. Ainsi, les plus grands noms de ce sport ont signé des pages homériques, gravées à jamais dans l'imaginaire collectif comme dans la mémoire de chacun.

La dramaturgie particulière, en cinq actes possibles, joués face à un public conquis ou à une foule hostile, offrait un suspense et des intrigues uniques. Ce sont ces émotions là, ces moments où le champion a un rendez-vous exact avec le triomphe de son équipe et de sa nation qui vont disparaître. Depuis longtemps prise en otage entre l'ATP, l'ITF, les tournois du Grand Chelem et la Laver Cup, la Coupe Davis a aussi énormément souffert de luttes de pouvoir diverses, des difficultés liées à l'établissement du calendrier, de la récupération de son image et surtout de sa rentabilité jugée insuffisante. C'est la marque d'une époque: les affaires du sport pèsent aujourd'hui moins lourd que le sport des affaires.

Il est évident que la Coupe Davis, en perte de vitesse ces dernières années, méritait autant des améliorations qu'une régénération. Mais pas celles-ci. Les meilleurs joueurs étant sollicités par de nombreuses autres compétitions concurrentielles (qu'ils organisent parfois eux-mêmes, n'est-ce pas Monsieur Federer ?) pas toujours officielles, plus rémunératrices et moins éprouvantes, l'ont peu à peu délaissée. Sans ses principales têtes d'affiches, dans un monde où l'image, la finance et la réclame sont l'alpha et l'oméga de toutes choses, elle ne pouvait, en l'état, plus exister. Dans une société malade d'elle-même, où la paresse surpasse l'effort, où l'instinct d'exiger dépasse celui de donner, ses vertus et ses valeurs étaient désormais inadaptées...   Si l'on ajoute à ses malheurs que les grands noms du circuit ne se sont pas battus pour prendre sa défense, on comprendra que le sort de la Coupe Davis était scellé. Qu'avait-elle à offrir ? Rien qui puisse lutter donc.

Au profit de quoi ? D'une mini coupe du monde du tennis, mettant aux prises dix-huit nations, dans un même lieu. Les équipes, composées de quatre joueurs, s'affronteraient lors de trois matchs (deux simples et un double) au meilleur des trois manches. Terminés les cinquièmes sets, exit les cinquièmes matchs, adieu les émotions. Autant essayer de nous faire prendre de la menthe à l'eau pour de l'absinthe.

C'est dans ces circonstances saumâtres et dans cette atmosphère joyeusement mortifère que la France défiera la Croatie pour la dix-neuvième finale de son histoire. Une Croatie qui a le vent dans le dos car Marin Cilic (7ème ATP ) est depuis longtemps une valeur sûre du top mondial et Borna Coric (12ème) est en pleine progression. Si l'on ajoute que le pilier du double Mate Pavic est 3ème dans sa spécialité, l'évidence est là: la France, même chez elle, sur terre battue, ne part pas favorite. Une France du tennis dont l'année 2018 fut sinistre. Pas un seul de nos représentants n'a pu atteindre les quarts de finale en Grands Chelem et pas un seul français ne figure désormais dans les 25 premiers du classement mondial... du rarement vu. Pourquoi ? Parce que nos illustres trentenaires se heurtent désormais à l'usure du temps qui passe et aux limites de leurs organismes. Les Gasquet, Tsonga, Monfils et Simon, encore jeunes il y a cinq ou six ans, sont maintenant davantage stoppés par leurs blessures et leurs états d'âmes que par leurs adversaires. Après des années de fastes, un creux générationnel est à déplorer, en qualité comme en quantité. Lucas Pouille, comme un symbole, ne semble pas taillé pour le rôle qu'on voudrait bien lui confier et l'on jurerait que son meilleur classement en carrière est déjà derrière lui...

Dans ces conditions, comment gagner, et avec qui ? 

Le capitaine Noah, indéchiffrable par principe mais au charisme et à l'intuition uniques a dévoilé sa sélection. Gasquet étant blessé, Paire étant stable comme un tube de nitroglycérine, Mannarino étant allergique à la terre battue, Simon présentant des statistiques faméliques en Coupe Davis et Monfils étant... Monfils... il a donc choisi  Pouille (32ème), Herbert (55ème), Mahut (15ème en double), Chardy (42ème) et Tsonga ( 261ème et 8 mois sans jouer cette saison !) pour défier les Croates. Toujours  capable de transcender ses joueurs comme les foules, Noah est certainement le meilleur atout tricolore. Ce constat étant aussi charmant qu'inquiétant... Une lente régression d'ensemble donc, corroborée par les statistiques puisque depuis la reprise de son capitanat, il n'a jamais eut à présenter une équipe aussi faible en termes de classements. En faisant un pas de côté, on ne peut que constater une troublante similitude entre la Coupe Davis et le tennis français: le crépuscule de l'une coïncidant avec le déclin de l'autre...

Vous l'aurez compris, cette finale de Coupe Davis (la seule compétition d'importance majeure pourvoyeuse de victoires probante pour le tennis français ces dernières années) a toutes les allures d'un enterrement en grandes pompes. Il nous faudra donc savourer chaque instant de cette dernière édition et, à l'avenir, nous promener délicieusement dans notre mélancolie chérie. Savourons une dernière fois cette aventure de haute tradition, cette mythologie moderne qui faisait battre les coeurs des joueurs et des supporters d'un pouls unique. Il nous faudra, sous peu, nous consoler tristement des belles émotions que nous n'aurons plus.

Allez la France...

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