France - Allemagne, le vieux couple de l’Europe : entre la crise de nerfs et l’instance de divorce<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Emmanuel Macron et Olaf Scholz lors d'une conférence de presse.
Emmanuel Macron et Olaf Scholz lors d'une conférence de presse.
©TOBIAS SCHWARZ / AFP

Atlantico Business

Emmanuel Macron, en visite d’État en Allemagne à partir de demain soir, aura trois jours pour essayer de restaurer l'équilibre d'une relation qui a permis jadis de construire l'Union européenne mais qui est aujourd'hui presque en instance de divorce.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

Voir la bio »

Pour l'Institut Montaigne qui publie un « État précis des relations franco-allemandes aujourd'hui », ce vieux couple européen est au bord de la crise de nerfs. Mais pour beaucoup d'acteurs du monde des affaires, cela ressemble parfois à une instance de divorce.

La visite d’Emmanuel Macron est donc très importante. C’est la première visite d’État depuis celle qu’avait acceptée Jacques Chirac en 2000. Cela fait donc presque un quart de siècle. C’est très important parce que l’Union européenne a été construite autour de ce couple qui avait l'obligation de tout faire pour éliminer tout risque d'une nouvelle guerre et, pendant plus d'un demi-siècle, le couple a fonctionné.

L’Allemagne a réussi sa réunification, s’est ouverte à l'international et son modèle économique en a fait le leader de l'Union européenne. La relation a parfois été compliquée et chaotique, mais le couple a appris à vivre ensemble. Jusqu'au jour où la géopolitique a détérioré les rapports, la guerre en Ukraine, la pression de la Russie, le rôle des Américains et de l'OTAN, les échéances électorales... Tous ces facteurs ont changé la gestion des principaux dossiers économiques notamment : les relations commerciales, le libre-échange, l'énergie, les financements de la transition écologique qui avaient besoin d'une solidarité sans failles, ont provoqué des mésententes et des rivalités.

La situation est très compliquée. Les deux pays ont évidemment besoin d’être ensemble pour assumer la concurrence dans un monde qui s'organise en blocs de plus en plus antagonistes. Les États-Unis d'un côté, la Chine de l'autre. Plus largement, le monde occidental et le Sud profond que la Russie de Poutine essaie de regrouper.

Entre ces deux forces, l'Europe a du mal à exister sans être parfaitement unie. Mais comment s'unir quand les événements internationaux soulignent et creusent les divergences.

Le couple franco-allemand n'échappe pas aux forces qui les séparent. L’Allemagne a forgé sa puissance sur un modèle économique qui ne fonctionne plus mais qu'une majorité de dirigeants allemands pensent encore pouvoir réveiller.

Le modèle économique allemand s'est construit principalement sur une productivité très forte liée notamment à une énergie bon marché, c’est-à-dire le gaz venant de Russie. Cette productivité a permis à l’Allemagne de conquérir des parts de marché à l'extérieur et notamment en Chine. Avec la guerre en Ukraine et la panne de croissance en Chine, l’Allemagne a perdu ses moteurs les plus puissants, d’où une récession qui ne s'était pas vue en Allemagne depuis un demi-siècle. D’où une montée des mouvements populistes et d'extrême droite sur le terrain politique.

La France, elle, a développé un modèle économique plus laxiste. La France a laissé partir son industrie à l'exception de la construction aéronautique et navale, le secteur de la défense et du luxe, et surtout a fait le pari d’une économie de services avec le tourisme, les assurances, les banques et les services de conseil aux entreprises notamment l'informatique.

Sans productivité allemande, la France a créé du pouvoir d'achat grâce aux importations à bas coût, à son corps de fonctionnaires pléthoriques, à son modèle social très généreux... Mais revers de la médaille, la France a dû céder aux sirènes de l’endettement massivement, et quand on s'endette, on est bien obligé de se soumettre, du moins en partie, à ceux qui nous financent.

Quand on compare les deux modèles économiques, on repère sans difficultés les points de désaccord profond entre les deux pays depuis 4 ans...

-1er point, La France et l'Allemagne sont en désaccord sur les limites du libre-échange et sur la place de l'Europe dans la mondialisation. L'Allemagne a besoin d'une ouverture presque totale des frontières pour pouvoir écouler ses productions industrielles et notamment ses automobiles. D’où la poursuite d'une relation forte avec Pékin. Et tres souvent relations exclusive.

La France a aussi besoin des marchés extérieurs mais c’est moins impératif. La France a surtout choisi de restaurer une partie de son appareil industriel qu'elle a laissé se perdre, d'où la tentation de se protéger sur le modèle des Américains.

L'Allemagne protège son fonctionnement en bilatéral.

La France est plus encline à travailler dans le multilatéral à l'échelle de l'Union européenne.

-2e point de désaccord, la politique énergétique.

-La France a réussi à sauver son programme nucléaire, avec un mix énergétique fondé sur le nucléaire, l'hydraulique et les énergies naturelles, le vent et le soleil, avec pour ambition qui n’est pas utopique d’avoir une production électrique d’origine nucléaire qui lui permettrait d’approvisionner l’Europe tout entière et notamment le Nord.

-L’Allemagne n'a pas abandonné l'idée de pouvoir récupérer ses approvisionnements en gaz naturel venant de l'est. En attendant, son électricité lui est fournie par le parc d'éoliennes, par le GNL. Le gaz liquide naturel qui vient des États-Unis, du Nord de l'Europe, d'Inde ou de Chine, deux pays qui rachètent le gaz russe pour le revendre avec une marge. Sans parler des vieilles centrales au charbon (achetées à la Pologne) depuis l'arrêt forcé des centrales nucléaires sous la pression des écologistes. Il est évident que cette politique énergétique est tellement incohérente et contradictoire avec les engagements sur le climat qu’elle n'est pas supportable par beaucoup de membres de l'Union européenne. La logique la plus rationnelle serait de finaliser une Europe de l'énergie fondée principalement sur le modèle français.

-3e point de désaccord, la politique de défense. Depuis la guerre en Ukraine et la confirmation des ambitions hégémoniques de la Russie, il est évident que les pays européens vont être obligés de se forger une politique de défense renforcée... Et là encore, deux solutions possibles :

- soit s’en remettre complètement à l'efficacité de l'OTAN, c’est-à-dire des États-Unis.

- soit construire une Europe de la défense, ce qui implique une industrie européenne, une instance de commandement et un traitement responsable et une gestion du nucléaire français. L'enjeu n'est pas seulement politique. Il y a aussi des enjeux industriels et financiers. Pour l'heure, l'Allemagne joue dans la cour des Américains, alors que les Français jouent plus sur des structures et des moyens européens.

-4e point de désaccord, les rapports au financement des budgets nationauxservice publics et modèle social. L'Allemagne est visiblement attachée à l'équilibre budgétaire de chaque partenaire européen, ce qui implique un minimum de dettes et un respect scrupuleux des accords de Maastricht.

La France est évidemment très loin de ces objectifs avec un déficit qui avoisine les 5% et un endettement qui approche les 120% du PIB. Malgré une soutenabilité de cette dette suffisante, les Allemands rechignent à développer une mutualisation des dettes à l'échelle de l'Union européenne.

En fait, si l'Allemagne a évidemment besoin de l'Union européenne telle qu'elle a fonctionné jusqu'à la crise, la France, elle, penche plus vers une évolution fédéraliste sans se l'avouer pour des raisons de politique intérieure. On est très loin de l'époque où Valéry Giscard d'Estaing mettait en place une organisation monétaire européenne, et l'époque où François Mitterrand et Helmut Kohl baptisaient l'Euro monnaie unique. A l’époque enfin ou avec Jacques Delors, on a imaginé que le fonctionnement de l'union monétaire allait favoriser le rapprochement et l'harmonisation des États membres vers une Europe plus politique. Aujourd'hui, cette évolution est arrêtée. Elle dépend très fortement de la façon dont le couple franco-allemand pourrait se ressouder se mettre d’accord sur un nouveau règlement de copropriété. Parce que qu’on le veuille ou non, l’Europe a pour vocation d’être gouvernée comme une copropriété. Alors ça manque certainement de romantisme, mais ça gagnerait en efficacité. Les mariages de raison sont parfois les plus solides et durables.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !