Mais pourquoi, pourquoi les Français ne sont-ils pas capables de voir qu’un monde sans licenciement ne pourrait pas fonctionner ? <!-- --> | Atlantico.fr
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"Les économistes sont eux aussi unanimes sur ce thème : les licenciements, c’est bien."
"Les économistes sont eux aussi unanimes sur ce thème : les licenciements, c’est bien."
©Reuters

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Alors que la classe politique est unanime dans la condamnation des licenciements, les économistes, eux, en vantent les vertus. Pourquoi un tel décalage ?

Gaspard Koenig

Gaspard Koenig

Gaspard Koenig a fondé en 2013 le think-tank libéral GenerationLibre. Il enseigne la philosophie à Sciences Po Paris. Il a travaillé précédemment au cabinet de Christine Lagarde à Bercy, et à la BERD à Londres. Il est l’auteur de romans et d’essais, et apparaît régulièrement dans les médias, notamment à travers ses chroniques dans Les Echos et l’Opinion. 

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Au moins une brillante idée semble mettre d’accord tous les candidats à l’élection présidentielle : les licenciements, c’est mal.

Pour l’extrême-gauche, il faut les interdire purement et simplement (y compris donc en cas de faute personnelle). Le Front de Gauche y apporte une nuance désormais classique en démagogie électorale, en s’attaquant aux « licenciements boursiers », notion pratiquement indéfinissable et économiquement absurde. Jean-Luc Mélenchon partage en cela la rigueur conceptuelle de ses anciens camarades du PS, qui ont voté le mois dernier au Sénat en faveur d’une proposition de loi (rejetée à six voix près) sur « l’interdiction des licenciements boursiers ».

Hollande lui, comme toujours, temporise, promettant de « dissuader les licenciements boursiers » en augmentant le coût des licenciements collectifs. Saluons également l’inventivité terminologique des Verts qui veulent, eux, interdire les « licenciements boursiers spéculatifs ». Enfin le candidat UMP, fidèle à son goût de l’action, semble vouloir empêcher les licenciements un à un, en courant les usines en difficulté, de Lejaby à Florange en passant par Photowatt.

Les économistes sont eux aussi unanimes sur ce thème : les licenciements, c’est bien.

Ils assurent le bon fonctionnement d’une économie de marché en permettant l’ajustement de l’offre de travail à la demande, et en garantissant aux entreprises la flexibilité qui leur est essentielle. Pouvoir licencier, pour une entreprise, c’est avant tout pouvoir embaucher. On ne compte plus les livres et les rapports qui vantent la « flexicurité » et qui déplorent la rigidité kafkaïenne du code du travail français, passé de de 2000 à plus de 3000 pages en dix ans, couvrant 38 formes de contrats de travail différents, 27 régimes dérogatoires et une dizaine d’organisations du temps de travail...

Les travaux de Pierre Cahuc et André Zylberberg ont largement popularisé l’idée que la protection de l’emploi est souvent le pire ennemi de la création d’emplois. Les remèdes sont connus : la Commission Attali prônait l’instauration du contrat unique, à durée indéterminée, plus facile à rompre mais avec des règles négociées de compensation financière.

Autrement dit, si l’employeur pouvait licencier plus aisément, cela aurait un prix – et au lieu de passer des années devant les prud’hommes pour un gain incertain, les salariés négocieraient d’emblée le montant à partir duquel ils acceptent de partir. Le licenciement en deviendrait non seulement plus juste, mais mieux accepté. Le dualisme du marché du travail français tomberait enfin. Et la croissance repartirait plus sûrement qu’avec les plus coûteux « plans de relance ».

Comment expliquer une telle fracture entre le discours politique et la rationalité économique, sinon par la passion française de l’emploi à vie, qui culmine dans le statut de la fonction publique, hautainement partagé par 20 % de la population active?

Mais les politiques ont, comme souvent, vingt ans de retard. La génération de la crise, la fameuse génération Y, ne rêve que de flexibilité. La perspective de passer trente-cinq ans dans la même entreprise ou la même administration lui fait horreur. Qu’on l’aime ou non, c’est la génération du zapping, du streaming, du texting. Une génération qui aime changer, bouger, expérimenter. Et qui, n’ayant en quelque sorte rien à perdre, est prête à prendre des risques qui effraieraient ses aînés.

En menant campagne à Londres, c’est cette génération que je rencontre, partie tenter sa chance, comme 350 000 Français, de l’autre côté de la Manche. Qu’ils soient serveurs, créateurs, entrepreneurs ou banquiers, tous vantent la flexibilité du marché du travail britannique. Ils pratiquent au quotidien la « termination by mutual agreement » - synonyme anglais de licenciement, autrement plus positif. Ils savent qu’ils peuvent perdre leur emploi plus facilement, mais aussi en trouver plus rapidement. Et surtout, ils ont compris qu’une telle organisation, en menaçant les « insiders », donnait structurellement une chance à tous les « outsiders » – quels que soient leur âge, leur parcours ou leurs diplômes.

Quand les aspirations des jeunes rejoignent les recommandations des savants, on peut espérer que les gouvernants finissent par entendre raison.

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