Fournisseurs d’électricité : quelle dose de cynisme cupide, quelle dose de contraintes imposées par la réglementation ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron s'adresse aux membres de la Fédération française de la boulangerie-pâtisserie à l'occasion de l'Epiphanie au palais de l'Elysée, le 5 janvier 2023.
Emmanuel Macron s'adresse aux membres de la Fédération française de la boulangerie-pâtisserie à l'occasion de l'Epiphanie au palais de l'Elysée, le 5 janvier 2023.
©Yoan VALAT / POOL / AFP

Profits excessifs ?

Pour venir en aide aux boulangers, Emmanuel Macron a annoncé cette semaine que les factures d’énergie des très petites entreprises (moins de 10 salariés) devront être renégociées en janvier en cas de « contrat excessif ». Les fournisseurs d’énergie vont-ils pouvoir s’adapter à ces mesures ?

Thierry Bros

Thierry Bros

Thierry Bros est Expert énergie, professeur à Sciences Po Paris et Senior Energy Expert à l'Energy Delta Institute. Il est notamment l'auteur de "After the US shale gas revolution", publié aux Editions Technip et "Géopolitique du gaz russe" aux Editions L’inventaire.

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Anna  Creti

Anna Creti

Anna Creti est Professeur d’économie à l'Université de Paris Dauphine-PSL et Directrice scientifique de la Chaire Économie du Gaz Naturel et de la Chaire Économie du Climat.

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Atlantico : « J’en ai assez qu’on ait des gens qui, sur la base de la crise, fassent des profits excessifs », a justifié Emmanuel Macron devant un parterre de boulangers. « J’ai entendu l’inquiétude et l’angoisse, elle est légitime. » Quelle est la part de cynisme cupide des fournisseurs qui se font effectivement des marges pendant la crise ?

Thierry Bros : Il faut revenir aux racines de la libéralisation du secteur. Pour comprendre l’échec, il faut la comparer à la libéralisation des télécoms, qui a réussi : on a mis en concurrence l’opérateur historique, Télécom-PTT, avec des nouveaux entrants. Dans le cas de l’électricité, il n’y a eu ni innovation ni véritable concurrence. Ce qui fait que mécaniquement on allait dans le mur.

Quand une offre se réduit, les producteurs en profitent. J’ai toujours écrit qu’il fallait surinvestir et beaucoup de flexibilité. Si on ne surinvestit pas, il n’y a pas suffisamment de production et donc les prix s’envolent.

En parallèle, il y a une asymétrie d’information entre le gros producteur et l’acheteur. Dans un système de libéralisation, il devait y avoir un véritable régulateur, or on n’a rien fait. On a laissé des petits face à des gros producteurs se faire dévorer.  Pourquoi sommes-nous étonnés de voir les boulangers avoir une facture élevée aujourd’hui ? Cela fait trois ans que nous sommes dans une crise énergétique. On a mis des rustines en 2022 : la réduction de la demande gazière et le remplissage de stockage minimum. On a même discuté pendant des mois de la possible non-intégration du nucléaire dans la taxonomie ! On n’a pas donné non plus mandat à EDF afin de construire de nouveaux réacteurs. Et on parle d’hydrogène à longueur de journée, qui est une énergie non testée.

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Mais quel serait le juste prix de l’électricité en France aujourd’hui ?

Anna Creti : Les fournisseurs verticalement intégrés avec les producteurs sont probablement ceux plus "protégés" car ils achètent directement en interne. Mais ces énergéticiens, depuis juillet, payent la taxe sur les superprofits.

Sont-ils cyniques ?

Avant de l'affirmer, il est nécessaire de mieux analyser les factures aberrantes. Quelle offre était proposée ? A-t-elle été renégociée ? Si oui, quand ? Est-ce que le fournisseur a bien expliqué les mécanismes de prix ? Fait une facture provisionnelle ? Expliqué les hausses en fonction de l'augmentation des prix de gros ?

Tous ces éléments sont cadrés par les contrats de fourniture, qui n'est pas modifiable de façon unilatérale (même si le client qui ne réclame pas est considéré en accord avec les termes contractuels).

Seules les réponses à ces questions permettront de répondre à votre question des profiteurs de la situation.

Quelle est la part liée à la réglementation dans la formation des prix ?

Thierry Bros : On a un système de formation des prix dimensionné pour une période où l’on ne parlait pas de transition énergétique. Lorsque la Commission européenne veut faire le « Green deal », c’est irresponsable de ne pas d'abord changer le mécanisme de prix de l'électricité. 

Car le prix de l’électricité ne peut faire que monter, puisque ce prix est lié à celui du carbone (le prix de la pollution par CO2 doit augmenter, donc le prix du CO2 va augmenter).  

Anna Creti : Selon l’Observatoire des marchés de détail CRE (le dernier disponible, publié cet été), l’état du marché est le suivant.

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En électricité, sur le marché des non résidentiels, le nombre de clients supplémentaires ayant souscrit une offre de marché au deuxième trimestre 2022 progresse avec 32 000 nouveaux clients (contre 15 000 au T1 2022).

Ces nouveaux clients se répartissent à l’identique entre les fournisseurs historiques et les fournisseurs alternatifs.

Au 30 juin 2022, 3,6 millions de sites sur un total de 5,2 millions étaient en offre de marché (soit 70,6%).

Comment est formé le prix au détail ?

Les fournisseurs alternatifs ont bénéficié de l'Arenh, en proportion de leurs clients. Le plafond Arenh a été augmenté en 2022 (120 Twh, à 46,5 euros). Certes les fournisseurs doivent compléter leurs offres soit en achetant sur le marché de gros, où le prix a explosé surtout cet été, ou par contrats avec les producteurs (mais le prix de ces contrats est souvent indexé au prix du marché de gros). Donc les fournisseurs ont eux-mêmes payé l'électricité "chère". 

Et quelle est la part contrainte par la situation ?

Thierry Bros : Si les profits sont proportionnels au prix de l’électricité, il y aura forcément des superprofits. L’Etat peut exiger la renégociation des contrats, mais il peut aussi regarder les contrats qu’il juge inacceptables. Pourquoi ne l’a-t-il pas fait plus tôt ?

Anna Creti : La part contrainte de la situation est celle pour les fournisseurs, d’acheter l’électricité, selon les mécanismes expliqués (achat sur le marché de gros ou chez un producteur par contrat).

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