Formation professionnelle : les points de blocage qu'il faudra surmonter pour que les bonnes intentions du gouvernement puissent être suivies d'effets <!-- --> | Atlantico.fr
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Le projet de loi sur la formation professionnelle est débattu à l'Assemblée nationale.
Le projet de loi sur la formation professionnelle est débattu à l'Assemblée nationale.
©Reuters

Encore un petit coup !

Le projet de loi sur la formation professionnelle, l'emploi et la démocratie sociale, qui transpose notamment l'accord patronat-syndicats conclu le 14 décembre, est désormais discuté à l'Assemblée nationale. Un débat de plus pour réformer - en vain ? - la formation professionnelle.

Atlantico : Le projet de loi sur la formation professionnelle, l'emploi et la démocratie sociale, qui transpose notamment l'accord patronat-syndicats conclu le 14 décembre, est débattu à l'Assemblée nationale depuis le 5 février. Les politiques vont-ils s'attaquer enfin au fond du problème que représente la formation professionnelle ? Ce projet de loi va-t-il opérer un profond changement ?

Jean-Charles SimonHélas, non, le projet de loi et l’accord national interprofessionnel qu’il va transcrire ne refondent pas la formation professionnelle à la française. Alors que ses paradigmes devraient être révisés de fond en comble. Nous en resterons donc à l’approche de la contrainte, de la formation vue comme quelque chose qu’il faut imposer et piloter de haut, qui doit assurer une redistribution entre différentes catégories – entre grandes et petites entreprises, entre entités d’une même branche professionnelle, entre salariés et demandeurs d’emplois, plutôt que de s’en remettre aux seuls besoins et attentes dans chaque entreprise, et de laisser se rencontrer offre et demande de formation. Et en traitant bien à part la question des demandeurs d’emploi, mais toujours en fonction de l’offre et de la demande sur le marché du travail. On aura donc toujours les mêmes effets pervers, avec formations subies, bidons ou de complaisance ; organismes de formation de qualité très discutable mais qui bénéficient de relations privilégiées dans les circuits obligés ; et pertes en ligne dans le système de collecte et de redistribution.

Jérôme de Rocquigny Le problème c’est que depuis plus de vingt ans, il n’y a pas de volonté politique de faire une réforme qui aille dans le bon sens, qui profite essentiellement aux intéressés que sont les salariés (tous les salariés et pas seulement ceux qui travaillent dans une entreprise de plus de dix salariés), les entreprises ( petites, moyennes et grandes), les professionnels de la formation ( il est temps de concevoir que les organismes puissent travailler dans de bonnes conditions et garantir une vraie qualité de formation, pour les esprits chagrins qui considèrent que le mal vient exclusivement des organismes de formations, les OF  demandent depuis de 10 ans la mise en place d’une charte qualité pour garantir le sérieux de la formation).

Pour que les politiques puissent s’attaquer de façon totalement objective à une réforme en profondeur de la formation professionnelle, il faudrait n premier lieu  faire en sorte qu’il n’y ait plus de conflit d’intérêt entre les principaux protagonistes. Comment ceux qui soumettent  les principales préconisations peuvent-ils  demeurer totalement objectifs tant qu’une partie du financement et du fonctionnement du paritarisme dépend du fonctionnement de la gestion des fonds de la formation professionnelle (cf le rapport Péruchot). A ce jour nous attendons d’abord cette remise à plat afin de  considérer ce débat à l’assemblée nationale comme construit sur des bases saines et objectives. 

Quels sont les points de blocage qu'il faudra surmonter pour que les bonnes intentions soient suivies d’effets ?

Jean-Charles Simon : Les détails sont importants, mais l’essentiel réside dans les principes. Le premier problème est d’abord l’obsession excessive de la formation professionnelle et de ce qu’on en attend. Une bonne partie des difficultés du marché de l’emploi en France ne trouveront pas leur solution dans la formation. Et la formation à tout prix ou par principe génère beaucoup de gâchis. Le second problème, c’est d’opposer l’entreprise et le salarié au sujet de la formation. Encore davantage que le DIF, le compte personnel de formation (CPF) poursuit cette logique de  « droit opposable » du salarié, en lui donnant la capacité d’imposer ses choix et modalités de formation au cours de sa carrière. Y compris dans une entreprise qu’il viendra de rejoindre, au titre de droits acquis précédemment. Mais le meilleur investissement formation d’un salarié est d’abord la maîtrise de son poste et ce qui lui permet d’aller encore plus loin. Soit exactement l’intérêt qu’a également son employeur.

Reste enfin les moments de perte d’emploi, de changements de trajectoire professionnelle. Et là, on demande aux entreprises et indirectement à leurs salariés de contribuer à la prise en charge de ces formations, alors que celles-ci devraient relever – si nécessaire – d’un effort de la solidarité nationale tout entière. Mais on ne prévoit pas pour autant les mécanismes adéquats : 150 heures à mobiliser au maximum, c’est bien trop peu s’il faut une réorientation très lourde vers un nouveau métier qualifié, tandis que ça peut être inutile dans d’autres cas. Il y a en fait bien trop d’uniformité dans notre approche de la formation, à l’instar de ce CPF à 150 heures au plus pour tous sans prendre en compte l’extraordinaire diversité des besoins et des situations.

Jérôme de Rocquigny : Plusieurs points sont abordés dans ce nouvel accord national interprofessionnel (ANI), ce qui nous dérange c’est qu’une fois de plus une minorité non représentative des branches professionnelles va décider

Pour la majorité. De fait nous pouvons constater une mise à mal de la mutualisation à tous les étages de ce projet. Nous restons persuadés que la mutualisation reste une clef essentielle de l’intérêt général. Si nous examinons le problème de l’apprentissage, nous déplorons  une vision des branches professionnelles ne pensant apprentissage que par la spécificité des métiers uniquement rattachés à des diplômes de l’éducation nationale  ou à des titre reconnus par le RNCP.  Il est temps d’avoir une vision, certes spécifique de la profession, mais également une vision transversale des compétences. Nous attendons une refonte totale de l’alternance avec un contrat unique regroupant les contrats d’apprentissage et les contrats de professionnalisations, avec des salaires d’embauche qui ne soient dictés par les branches professionnelles. Le coût du jeune en alternance, le mode de financement des frais de formation et les règles d’éligibilité des jeunes  sont les principaux freins au décollage.

Les projets concernant le compte personnel de formation n’est pas plus  réalisable à ce jour que l’a été le DIF. En revanche, la décentralisation avec des spécificités rattachées aux tissus économiques locaux est une bonne piste. Quand aux contrats de génération, l’idée semble intéressante mais pas en phase avec la conjoncture.    

Comment simplifier les dispositifs de mise en route de la formation professionnelle ? La mise en place d'un mécanisme financier encadré est-il un circuit obligatoire pour mettre en place la formation professionnelle ?

Jean-Charles Simon : Non, justement. Il faudrait laisser les entreprises définir en leur sein, le cas échéant avec les représentants de leurs salariés, la réalité des besoins de formation. Ce qu’elle apportera à la productivité et à la compétitivité de l’entreprise. Et ce en quoi elle aidera à renforcer les compétences et l’employabilité future des salariés. Ce sont les deux seules dimensions qui devraient compter, et déterminer l’effort de formation qu’une entreprise et ses salariés vont décider d’effectuer, à la fois en temps et en argent. Il en résulterait une grande diversité de comportements, entre des sociétés pour lesquelles certaines catégories de salariés doivent être en formation une bonne partie de leur temps d’activité, et des autres… pas du tout ! Une fois les besoins définis, la formation devrait être assurée par un prestataire librement choisi, sur un marché transparent et ouvert comme pour la plupart des prestations.

Jérôme de Rocquigny : La collecte et la gestion des fonds de la formation professionnelle sont la clef de la réussite, nous défendons l’idée d’une régionalisation de la collecte qui pourrait être gérée par les Chambres de commerces. La proximité permettrait de mieux hiérarchiser les besoins de formations sur les territoires. La mutualisation des fonds,  seule, mettrait en évidence la problématique des besoins de façon beaucoup plus synoptique. Les grandes entreprises doivent comprendre qui si les TPE/PME deviennent plus compétitives donc plus rentables, elles deviendront de fait leurs premiers  clients. La spécificité de chaque région, la saisonnalité et la cyclicité des marchés dictent le marché de l’emploi et les besoins de formations qui l’accompagnent. Maintenant si vous nous parler de transparence et de  traçabilité des fonds collectés, il est juste temps de s’y résoudre !  

Quelles sont les limites que représentait jusqu'alors la formation professionnelle ? Comment expliquer qu'aucune politique solide sur cette branche n'ait toujours pas été trouvée ? Pierre Gattaz est-il le messie que le secteur de la formation professionnelle attendait ?

Jean-Charles Simon : Comme pour trop de sujets sociaux en France, le problème est selon moi l’importance du rôle reconnu aux partenaires sociaux, à la fois au niveau interprofessionnel et, peut-être plus encore, à celui des branches. Dès lors, ils se sentent autorisés et même encouragés à multiplier les normes et les prescriptions. Alors même que le corpus normatif venant de la puissance publique est déjà l’un des plus contraints au monde. On peut à la rigueur comprendre que les syndicats de salariés y voient un socle de protection qu’ils ont mandat d’étendre. Même si c’est à tort, car au final cette multiplication de contraintes nuit à l’emploi et donc aux salariés et aux chômeurs. Mais du côté du patronat, c’est incompréhensible. Car cette logique s’oppose à ses plaidoyers récurrents en faveur de davantage de liberté pour les entreprises. La défense de l’existant ne s’explique hélas que par le goût prononcé pour le corporatisme au niveau des branches professionnelles, et la volonté de préserver les prérogatives du paritarisme. Sans oublier, bien sûr, pour l’ensemble des partenaires sociaux, une forme d’addiction aux circuits financiers de la formation dont ils ont pris l’habitude de bénéficier. Ce que la nouvelle loi ne changera qu’en façade, car l’essentiel n’est pas dans les subventions ou compensations directes mais dans la générosité des OPCA et des organismes de formation à l’égard des partenaires sociaux. On sent une volonté réelle de rompre avec ces pratiques du côté du Medef, mais la pesanteur des habitudes et les exigences des appareils comptent souvent davantage que la volonté des équipes dirigeantes…

Jérôme de Rocquigny : Trop d’intérêts croisés régissaient jusqu’alors la formations professionnelle. Celle- ci depuis l’ANI 2004 ne  fonctionne particulièrement mal, les jeunes pas ou mal formés, on espère un changement à 180 degrés

Sur ces 10  dernières années prés de 800 000 jeunes de moins ont été formés, qualifiés ou diplômés, les séniors ont été oubliés, les femmes sont toujours largement déficitaires sur les volumes de salariés formés, les salaries des TPE ne bénéficient de quasiment aucune formation,  seules les cadres supérieurs,  déjà largement formés sont les principaux élus.Les dispositifs de formations des chômeurs sont nombreux certains sont efficaces mais trop complexes dans leur mise en œuvre, et malheureusement les fonds manquent souvent pour répondre aux réels besoins.

Maintenant si le nouveau président du Medef, pierre Gattaz est le messie attendu, je n sais pas. Il a pendant sa campagne semblait vouloir changer les choses et semblait déterminer à ce que la réforme de la formation professionnelle profite à tous et que certaine pratique cesse. On aurait déjà aimé que les représentants des organismes de formation autre que les structures qui sont dans  le giron du CAC 40 et des multinationales sous le contrôle de fonds de pension divers et variés soient invités à participer aux débats, force est de constater que cela n’est pas encore le cas, surement un oubli des promesses du candidat Gattaz . Nous restons prêt  et bien sur disponible.

Propos recueillis par Marianne Murat

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