FN, PC, Mélenchon et Cie soufflent sur les braises mais qui est encore révolutionnaire en France (et surtout qui pourrait le devenir) ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les partis d'extrême droite et d'extrême gauche se positionnent en rupture avec un système qu'ils promettent de renverser par les urnes.
Les partis d'extrême droite et d'extrême gauche se positionnent en rupture avec un système qu'ils promettent de renverser par les urnes.
©DR

Hasta la victoria siempre !

Front national, Parti communiste ou Parti de gauche se positionnent en rupture avec le système. Mais aucun de ces partis ne prône de changer radicalement.

Atlantico : Parti communiste, Front national et Parti de gauche avec Jean-Luc Mélenchon : les mouvements politiques d'extrême droite et d'extrême gauche se positionnent en rupture avec un système qu'ils promettent de renverser par les urnes. Peut-on pour autant parler de partis révolutionnaires ?

Vincent Tiberj : Tout d’abord, quand on parle de partis révolutionnaires, cela signifie changer la société et le système politique. Or, quand on regarde de près ces trois partis, ce n'est pas ce qu'ils prônent. Par exemple, la sortie de l'euro n’est pas une révolution, la redistribution des richesses non plus. Même Jean-Luc Mélenchon ou Pierre Laurent ne veulent pas vraiment remettre en question la propriété privée ou la capacité à fonder une entreprise. Marine Le Pen non plus ne souhaite pas revoir le droit de vote ou l'architecture des pouvoirs en France. Il y a peu de partis qui se réclament encore de la révolution, même le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) ne va pas se dire révolutionnaire.

Lutte ouvrière (LO) reste le seul à l'éthique et au discours révolutionnaire. On voit encore quelques organisations qui sont dans cette logique révolutionnaire, mais globalement ce n’est plus le même foisonnement, ni le même poids idéologique que dans certains type de formation des années 1970.

Yves-Marie Cann : Tout d’abord, il est imprudent de mettre sur le même plan Front de gauche et Front national. Ensuite, ni l’un ni l’autre ne peuvent être qualifiés de parti révolutionnaire puisqu’ils acceptent le jeu de la démocratie : ils respectent les institutions et le principe des élections ; ils n’appellent pas aux armes et à la violence, à un "grand soir" pour changer de système.

Côté Front de gauche, le discours radical est directement inspiré des gauches sud-américaines incarnées par Cristina Kirchner en Argentine ou encore Rafael Correa en Equateur. Ils sont arrivés au pouvoir par les urnes et mènent leurs réformes, aussi radicales soient-elles, comme on le fait en France ou en Allemagne. Côté Front national, le projet de Marine Le Pen est justement d’insérer son parti dans le jeu démocratique français pour gagner en légitimité. Dès lors, l’option révolutionnaire est hors jeu.

La révolution est plus une méthode qu’une solution politique. Dans la France de 1789, dans les pays de l’Est lors de la chute de l’URSS ou encore récemment dans le cas du printemps arabe, c’est bien la méthode brusque et violente qui explique le qualificatif de révolution.

Qui sont aujourd'hui les vrais révolutionnaires ? Et où sont-ils ?

Vincent Tiberj : Quand on pose la question aux Français : "Faut-il changer la France de façon révolutionnaire ?", seuls 15% des sondés répondent "oui". Cela représente donc une minorité. Dans le camp inverse, on trouve environ 10% qui ne souhaitent par faire évoluer la société. Aujourd'hui, on observe une sorte de ventre mou de gens qui considèrent que la société peut être modifiée, mais ils sont peu nombreux a dire vouloir changer la de façon radicale.

Un sondage de 2005 montrait que 93% des Français considéraient qu'il était "très grave" ou "assez grave" de supprimer le droit de créer sa propre entreprise. Il y a donc à peu près 7% des sondés qui se réclamaient des vrais fondements de communisme, or dans les années 1980, seuls 70% des gens pensaient que cela serait grave. On est désormais dans une société, qui ne voit pas d'alternative à son propre système. Aujourd'hui le débat se porte sur l'orientation de ce système.

Yves-Marie Cann : Je serais tenté de vous répondre par une autre question : "Y a-t-il encore des révolutionnaires en France ?" Les quelques groupes potentiellement révolutionnaires qui existent encore se situent aux extrémités extrêmes de l’échiquier politique, et apparaissent très marginaux.

Par ailleurs, on notera que la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) s’est muée en Nouveau parti anticapitaliste (NPA), tournant ainsi la page de leurs velléités passées.

Quelle part de l'opinion serait aujourd'hui susceptible d'être enrôlée dans un projet véritablement révolutionnaire ? A quel profil sociologique répond-elle ?

Vincent Tiberj : On retrouve des personnes aux idées révolutionnaires dans tous les groupes professionnels à un pourcentage similaire. Contrairement aux idées reçues, ce n'est pas forcément les pauvres qui sont dans une logique de rejet de la société.

Ils sont dans toutes les catégories d'âge, exceptés les plus de 60 ans, qui eux, s'opposent a tout changement de la société. Globalement, il s’agit d’un groupe social très diffus, qu’importe s’ils sont de droite ou de gauche, ce qui les caractérisent c’est le rejet du système politique tel qu’il est. 

Yves-Marie Cann :Pour qu’une révolution éclate, il faut des conditions extrêmes. Regardons les cas récents en Tunisie, en Egypte, en Libye ou encore en Syrie : les révolutions (ou tentatives de révolution) qui ont eu lieu se sont produites après des décennies de concentration des richesses par les clans au pouvoir et de violences politiques. Regardons en France désormais : si la situation n’est pas idéale, il existe de nombreux filets de sécurité pour les personnes en difficultés, un Etat de droit avec une police et une justice qui fonctionnent, des élections libres et régulières... En bref, les ingrédients d’une révolution ne sont pas là.

Ajoutons à cela que les dernières générations n’ont jamais connu la violence d’une guerre ou d’un régime autoritaire. Même s’il existe des exaspérations profondes à l’encontre du système, les Français restent attachés à notre modèle républicain qui permet l’expression de toutes les sensibilités politiques. Les vocations révolutionnaires s’en retrouvent nécessairement limitées.

Quelle formation politique semble la plus à même de proposer un projet révolutionnaire ?

Vincent Tiberj : Globalement, à part lutte ouvrière, aucune formation politique ne va proposer cette offre. Il s’agit plus d’un problème de crise de l’idéologie. Si on compare les discours politiques d’aujourd’hui avec ceux des années 1970/1980 :  le spectre des possibles s'est réduit. Un changement total de l’ensemble des structures sociales n'est pas possible. Il n’y a pas de projet politique suffisamment crédible pour proposer un nouveau système.

Yves-Marie Cann : Une révolution émanant d’une force politique en particulier me semble peu envisageable. En revanche, de nouveaux mouvements plus en phase avec notre monde prennent déjà forme : les Anonymous, Occupy Wall Street, les Indignés espagnols... Tous ces mouvements augurent de ce que seront les mouvements politiques de demain. Il faudra cependant quelques années pour que ces mouvements - qui par définition ne sont pas structurés - parviennent à trouver des méthodes nouvelles pour avoir un impact politique.

Et quoi ce projet pourrait-il consister ? Quel mode opératoire pourrait-il suivre ?

Vincent Tiberj : Aujourd’hui on a une forme de consensus sur les moyens acceptables de faire valoir ses idées politiques, c’est un contraste très marqué par rapport aux années 1970. A l’époque on avait cette notion d'action directe, de prise de pouvoir par la révolution, par la grève générale insurrectionnelle... Aujourd'hui, le pouvoir est distribué à partir des élections et ensuite les contre-pouvoirs se mettent en place. La victoire à une élection ne donne pas forcément les moyens d’imposer son pouvoir. La société a développé ses propres moyens de contre balancer son pouvoir. 

Ce qui pose un problème aux mouvements révolutionnaires, c'est que chaque partie de la société est capable de créer ses moyens de résistances. Il n’y a pas UN moyen social mais une multitude. On est davantage dans une société de résistance, de refus face aux politiques que dans une société révolutionnaire. Bien sûr, il ne faut jamais dire jamais, mais notre société est désormais très participative. Cette participation se fait dans le cadre d'un système et le but n'est pas forcément de le renverser. On constate de plus en plus de formes de participations non conventionnelles. Jamais autant de Français ne sont descendus dans la rue, n'ont de pétitions ou encore n'ont eu recours au boycotte. Et dans le même temps les syndicats ont de moins en moins de militants, les partis politiques sont très professionnalisés et reflètent de moins en moins la société.

Une multitude d'actions citoyennes émerge mais les mouvements d’ensemble se font rares. Cela traduit un manque d'unité et un manque de projet politique. On est face à une désidéologisation de la  société française. 

Yves-Marie Cann : Il est difficile d’anticiper quelque chose qui n’a pas encore été inventé. Ceci étant dit, les mouvements cités plus haut nous donnent quelques indices. Anonymous est l’incarnation d’un monde ultra-connecté où les modèles de décision ne sont plus du type top-down mais bien plus horizontaux.Ni Occupy Wall Street, ni les Indignés et évidemment pas les Anonymous n’ont de leader. Mieux encore, ils refusent d’en avoir un ! Ce mode opératoire rompt complètement avec tout ce que nous connaissons aujourd’hui en matière d’organisation politique. Tout ce que l’on peut prévoir est que ces mouvements pourraient mener la vie dure aux partis politiques tels qu’ils existent actuellement.

Propos recueillis par Manon Hombourger

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