Fitch fait monter les taux longs américains et mondiaux, au risque d’une crise générale<!-- --> | Atlantico.fr
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Fitch a dégradé la note américaine.
Fitch a dégradé la note américaine.
©JOEL SAGET / AFP

Ricochets ?

C’est une véritable mise en accusation de la gestion américaine « depuis 20 ans » que publie Fitch, stigmatisant « l’érosion de la gouvernance » des comptes publics.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Ce mardi 1er août, l’agence américaine Fitch annonce la baisse de la note de la dette américaine depuis AAA, ce qu’il y a de mieux, à AA+, juste au-dessous. Quel courage dans son pays ! Pour ne pas dramatiser davantage, elle ajoute alors qu’elle maintient son jugement à court terme (outlook) sur les comptes publics. Il reste stable, jusqu’à la prochaine analyse et sans doute pour un an, en pleine période électorale, ce qui n’empêche pas les bourses mondiales de baisser immédiatement de 2% et de faire remonter à 4,1% le rendement des Titres publics américains, contre 3,75% il y avait quinze jours. C’est donc un choc majeur. Un choc, mais pas une surprise : l’agence de notation avait en effet prévenu de son mouvement depuis mai. Elle oserait, écrivait-elle à demi-mot, si rien ne changeait, abaisser la note de la dette américaine à long terme. Elle savait qu’elle mettait ainsi en cause (au moins) la politique budgétaire américaine. Elle se doutait bien sûr qu’elle envoyait ainsi au monde, au-delà des États-Unis, un coup de semonce. D’autant plus net que l’analyse qu’elle joint pour expliquer sa décision est un vrai tract.

C’est en effet une véritable mise en accusation de la gestion américaine « depuis 20 ans » que publie Fitch, stigmatisant « l’érosion de la gouvernance » des comptes publics. Le dernier accord bipartisan entre Démocrates et Républicains, pour remonter à janvier 2025 (après les élections donc) le plafond de la dette publique au-delà duquel ce serait le défaut de paiement, ne trouve pas grâce à ses yeux, même s’il a été signé dans la douleur. Vague et complexe, cet accord ne change rien, dit toujours l’agence, à la dérive des comptes en l’absence de tout plan à moyen terme pour redresser la situation. Le déficit budgétaire et la dette publique vont mécaniquement monter. Le ratio de dette publique par rapport au PIB devrait ainsi passer à 118%, ce qui dépasse largement le ratio médian des pays jugés AAA, à 39% et aussi des AA, à 45%. On comprend le message, et toute la patience de Fitch avant d’agir. Pire, l’agence annonce une récession qu’elle qualifie de « douce » et qui devrait arriver fin 2023 début 2024, sachant que Joe Biden envisage de son côté quelques économies et parie surtout sur la croissance, la Fed pouvant peut-être arrêter ses hausses plus tard, au moins un temps.

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Donc, que ce soit avec Joe Biden ou Donald Trump, la situation budgétaire américaine est et sera dramatique. Qu’on en juge : 31 trillions de dollars de dette publique, 1,5 trillion de déficit budgétaire, 1 trillion à trouver au premier trimestre pour refinancer la dette. Le tout dans une économie qui continue d’avancer mais plus lentement, ajoutant 190 000 emplois en juillet, le plus faible chiffre depuis décembre 2020 certes, mais 190 000 emplois tout de même. Avec un taux de chômage de 3,5% qui pousse à des hausses de salaires et à des tensions sociales, après UPS contre les syndicat des transporteurs, ce sera le bras de fer dans l’automobile. La Fed devrait alors continuer à monter ses taux, avec l’idée de faire baisser ainsi les taux longs. Mais cette hausse continue, initiée par l’alarme de Fitch, partant des Etats-Unis pour gagner le monde.

Que ferait alors Trump s’il est élu ? Redoubler de critiques sur Biden et faire des économies sur le social, la santé et le soutien à l’Ukraine ? On imagine l’accueil social. Et ceci suffira-t-il, avec les risques que ferait peser une politique MAGA (Make America Great Again  ou America First) dans un contexte profondément changé par le Covid, les avancées de la Chine dans le Monde et la guerre d’Ukraine et un dérèglement climatique qui sera plus difficile à nier. Dans ce contexte, un repli américain sur soi serait maintenant perçu comme un échec de la première puissance mondiale, faisant monter le risque de la dette américaine aux yeux des marchés, donc partout les taux longs.

Fitch en fait-il trop ou pas assez ? Tard, certainement. En fait, les prévisions de dépenses publiques, aux USA ou ici oublient les effets des tensions mondiales, avec les coûts des réindustrialisations-friendshoring et l’inflation qu’ils pourraient amener, sans compter les dépenses militaires et celles du vieillissement. Fitch a beau, quand même, vanter les forces structurelles américaines, ses lacunes demeurent, notamment à moyen et à long terme, posant des questions sur la grande devise de réserve du monde : le dollar. Bien sûr, s’interroger sur la dette américaine devrait nous faire interroger sur la nôtre, pas sûr. La dette française a déjà été abaissée par Fitch le 29 avril à AA- et Standard & Poor’s vient de la maintenir à AA le 2 juin, mais avec une « perspective négative ». Répit n’est pas guérison. 

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