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"Firmament de l’humanité", "Grand Architecte" ou encore "Danube de la pensée" : Ceausescu, le dictateur qui porta la mégalomanie à l’apogée du ridicule
©Kightlinger

Bonnes feuilles

Quoi de commun entre Staline, Ramsès II et Steve Jobs ? Tous trois ont su orchestrer avec un talent hors pair le culte de leur petite personne. Emmanuel Pierrat dresse ici une galerie de portraits de ces "firmaments de l’humanité" (Nicolae Ceauşescu), "électrificateur des âmes" (François Duvalier) et autres "soleil de l’humanité" (Kim Il-Sung), montrant la permanence et l’universalité de l’égocentrisme des puissants. Extrait de "Plus grand que grand", d'Emmanuel Pierrat (1/2).

Emmanuel Pierrat

Emmanuel Pierrat

Emmanuel Pierrat est avocat au Barreau de Paris et écrivain.

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S’il n’avait pas réduit son peuple à la misère, s’il ne l’avait pas affamé, s’il ne l’avait pas terrorisé avec sa police politique, la Securitate, on rirait volontiers, encore aujourd’hui, de la mégalomanie de Nicolae Ceausescu, qui dirigea la Roumanie pendant près d’un quart de siècle et porta le culte de la personnalité jusqu’aux sommets du ridicule.

C’est un travers commun à tous les dictateurs de se parer, pour les besoins du culte que le peuple est appelé à leur rendre, de surnoms tous plus glorieux les uns que les autres. Mao Zedong était le « Grand Timonier », Fidel Castro le « Lider Maximo », etc. Mais force est de reconnaître que Ceausescu les a tous battus à plate couture dans la surenchère superlative. Non content d’être le « Conducator » (le « Guide »), il était aussi – et la liste n’est pas exhaustive : « le Fils le plus aimé de la nation », « le Resplendissant militant révolutionnaire», « le Grand Architecte », « le Firmament de l’humanité », « le Génie des Carpates » et, ô sublime trouvaille, « le Danube de la pensée ». Ce qui ne l’a pas empêché de finir misérablement, le jour de Noël 1989, le corps criblé de balles par un peloton d’exécution assemblé à la hâte après un jugement expéditif, alors que le pays était en pleine révolution pour le chasser du pouvoir.

L’histoire avait pourtant bien commencé. Né en 1918, dans une famille de paysans, Nicolae Ceausescu s’installe, très jeune, à Bucarest, la capitale de la Roumanie, pour y être apprenti cordonnier. Il adhère au Parti communiste (alors dans l’opposition) dès 1932, ce qui lui vaut d’être fiché par la police et même, interné à partir de 1940. À la fin de la guerre et alors que la Roumanie est occupée par les troupes soviétiques, il devient secrétaire de l’Union des jeunesses communistes. En 1947, les communistes prennent le pouvoir et abolissent la monarchie. La Roumanie devient la République populaire de Roumanie et son nouvel homme fort s’appelle Gheorghe Gheorghiu-Dej.

Il fait de Nicolae Ceausescu, qu’il a connu en détention, son protégé et le nomme à divers ministères. Son influence s’accroît peu à peu, jusqu’à faire de lui le numéro deux du régime. À la mort de Gheorghiu-Dej, en 1965, c’est donc tout naturellement que Ceausescu lui succède en devenant, à sa suite, secrétaire général du Parti communiste roumain.

Les premiers temps de son règne ressemblent à une lune de miel avec son peuple… comme avec l’Occident. Ceausescu sait habilement jouer de la carte du nationalisme roumain et se pose en « allié rebelle » des Soviétiques, entretenant une réputation de « dissidence » qui lui vaut une grande popularité à l’Ouest. Séduit, le président français de l’époque, Charles de Gaulle, décide de tisser des liens plus étroits avec cette Roumanie qui semble vouloir briser le rideau de fer. Il s’y rend en visite officielle du 14 au 18 mai 1968 alors que, ironie de l’histoire, les rues parisiennes sont en proie à une agitation révolutionnaire qui obligera finalement De Gaulle à abréger son séjour pour rentrer précipitamment en France.

Cette bonne image de la Roumanie culmine durant l’été 1968, avec l’invasion des chars russes en Tchécoslovaquie et la répression du Printemps de Prague, que Ceausescu désavoue publiquement. À ce moment-là, même les intellectuels roumains les plus réticents au régime communiste lui apportent son soutien.

Tout se gâte à partir du début des années 1970. Nicolae Ceausescu n’échappe pas au célèbre adage de lord Acton, philosophe et historien britannique (1834‑1902), qui veut que « le pouvoir corrompe et le pouvoir absolu corrompe absolument ». Sans doute grisé par sa popularité – alors bien réelle –, Ceausescu s’adonne à un exercice de plus en plus solitaire du pouvoir. En 1974, il se fait même nommer président de la République – un poste qui n’existait pas –, mettant ainsi fin à tout semblant de direction collégiale communiste. L’isolement n’est pas que politique, il est aussi économique et affecte également les relations internationales.

De plus en plus nationaliste, obsédé par l’idée d’autosuffisance de son pays, Ceausescu mène progressivement la Roumanie à une ruine certaine : grands projets industriels ou agricoles pharaoniques et absurdes (comme l’assèchement du delta du Danube pour y planter du blé…), urbanisation volontariste, etc. : les rêves de grandeur du dictateur obligent bientôt la population à vivre de rationnements. À partir de 1981, les Roumains ont droit à 160 grammes de pain par personne et par jour, 150 grammes de farine par mois, 350 grammes de sucre, 500 grammes de boeuf, porc ou volaille, un tiers de litre d’huile… alors que Ceausescu, pour sa part, vit dans un luxe de plus en plus insensé.

Cependant, la mégalomanie du « Génie des Carpates » n’a pas encore atteint sa pleine mesure. Sa politique de « systématisation » va, heureusement, contribuer à ouvrir les yeux de l’Occident sur la réalité du régime roumain. Sous l’appellation de « systématisation » se cache un projet fou de « nivellement » entre les zones urbaines et les zones rurales. Le projet, en réalité, date des premiers temps du communisme et donc d’avant Ceausescu : il s’agissait, à l’origine, de réorganiser le territoire roumain, pour obtenir une meilleure gestion des terres agricoles.

Dans les années 1980, Ceausescu lui donne une tournure qu’on pourrait qualifier d’hystérique. Le but, désormais, n’est rien moins que de supprimer la plupart des villages roumains, considérés comme des « résidus archaïques », au profit de nouvelles villes composées de barres d’habitations, toutes construites sur un même schéma d’urbanisme.

Sur les treize mille villages roumains, souvent typiques, plus de la moitié sont ainsi promis à la démolition, tandis que cinq cent cinquante-huit villes nouvelles sont annoncées.

Une grande campagne de mobilisation internationale incite des municipalités occidentales à « adopter » un village roumain et à faire pression pour empêcher sa démolition. La révolution roumaine viendra, à temps, porter un coup d’arrêt à cette folie, mais quelques centaines de villages auront quand même été détruits tandis que vingt-quatre villes nouvelles (sur les cinq cent cinquante-huit du programme) seront sorties de terre à la chute de Ceausescu.

Exrait de "Plus grand que grand", d'Emmanuel Pierrat, édité par La librairie Vuibert.

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