Finances publiques : le grand déni d’Emmanuel Macron <!-- --> | Atlantico.fr
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Ministère de l'économie.
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Dette et dépenses publiques

Si certains de ses constats sont exacts, le président en tire des conclusions qui ne sont pas toujours justes.

Nicolas Marques

Nicolas Marques

est directeur de l'Institut économique Molinari

Docteur en économie (Université d’Aix-Marseille) et diplômé en gestion (EM Lyon), il a débuté sa carrière en enseignant l’économie, avant d’exercer des responsabilités marketing et commerciales dans de grands groupes de gestion d’actifs français.

Chercheur associé depuis la création de l’IEM, en 2003, il est devenu Directeur général de l’institut en 2019. Il est l’auteur de plusieurs travaux sur les enjeux fiscaux, les finances publiques, la protection sociale ou la contribution des entreprises et membre de la Société du Mont Pèlerin.

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Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Interrogé sur le poids de la dette publique en France et la situation française comparativement au reste de l’Europe, Emmanuel Macron a cherché à relativiser la situation « pas beaucoup plus au-dessus de la moyenne européenne ». Quelle est véritablement la situation française ? A quel point le président la minimise-t-il ?

Nicolas Marques : Les données montrent que la dette publique est plus élevée en France et augmente plus vite que dans la moyenne des pays de l’Union européenne. Fin 2022, la dette publique représente 112% du PIB contre 84% en moyenne dans l’Union européenne. La France surpasse la moyenne européenne de 28 points de PIB, ce qui est significatif. Surtout, la dette progresse bien plus vite que chez nos voisins. En 2017, l’écart était de 16 points, il s’est creusé de douze points dans les cinq dernières années.

Depuis 2017, la dette publique augmente 6 fois plus vite en France que dans l’UE (+2,7 points de PIB/an en France vs +0,4 points/an dans l’UE). Cette contre-performance  est très inquiétante. Sur la longue période, depuis 2000, la dette progressait en moyenne 3 fois plus vite en France que dans l’UE (+2,4 points/an en France vs +0,8 points/an dans l’UE).

C’est la conséquence d’une faiblesse structurelle française. La France n’arrive plus à réduire sa dette publique en période d’embellie économique. Entre 2013 et 2019, période de reprise significative, la dette publique a diminué de 9 points dans l’Union européenne. Dans le même temps, elle a augmenté de 4 points chez nous. Dans l’Hexagone, la dernière séquence significative de baisse de la dette publique remonte aux années 2005-2007. La France, qui était moins endetté que la moyenne de l’Union européenne jusqu’en 2004, a pris l’habitude de vivre à crédit.

Michel Ruimy : Selon l’INSEE, à fin mars 2023, la dette publique française - au sens de Maastricht des administrations publiques - continuait sa croissance pour dépasser légèrement les 3 000 Mds EUR et atteindre 112,5% du Produit intérieur brut (PIB). Il y a vingt ans, elle se situait aux alentours de 60% du PIB.

Si, en 2022, le dynamisme économique était de retour, le contexte global reste aujourd’hui difficile : la croissance devrait, en effet, fortement se ralentir en 2023 (environ 1% après 2,6% en 2022 et 6,8% en 2021), la charge de la dette s’accélérer vivement avec la hausse de l’inflation et peser notamment sur les titres indexés sur l’inflation (OATi) tandis que la transition verte aura aussi un effet sur les dépenses publiques.

A cet égard, la Cour des comptes s’est inquiétée de la trajectoire présentée par le Gouvernement dans le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027. Elle affirme que « la situation des finances publiques de la France restera en 2023 parmi les plus dégradées de la zone euro, alors que la Commission européenne juge que les risques sont élevés sur la soutenabilité de la dette publique française à moyen terme ». 

En zone euro, seuls 4 pays présentent des niveaux d’endettement, rapportés au PIB, supérieurs à la France : la Grèce, l’Italie, le Portugal et l’Espagne. Mais, en valeur absolue, l’endettement de la France est au-dessus de ceux de l’Italie et de l’Allemagne. Et la trajectoire française depuis 2019 est relativement moins bonne que celle de l’Italie et du Portugal.

Dans ce contexte, alors que la loi de programmation sur les finances publiques, qui avait été rejetée par le Parlement en décembre, doit être adoptée, le recours au 49.3 paraît inévitable.

Emmanuel Macron a reconnu la réalité d’un « haut niveau de dépenses publiques que nous devons continuer à faire baisser ». Dans quelle mesure le diagnostic d’Emmanuel Macron, sur la dépense publique et la manière de la réduire, est-il insuffisant voire erroné ?

Nicolas Marques : Dire qu’en France les dépenses publiques baissent n’est pas factuel. Leur rythme d’augmentation décélère, mais les dépenses ne baissent pas. Quand Emmanuel Macron est devenu président pour la première fois en 2017, les dépenses publiques représentaient 56,5% du PIB. Elles étaient à 58,1% du PIB l’an passé. C’est seulement lorsqu’on compare les données actuelles à celles de 2020 que l’on a l’impression que les dépenses publiques diminuent. Mais cette année de pandémie, marquée par une contraction historique du PIB ayant propulsé les dépenses publiques à 61,3% du PIB, n’est pas représentative. Les dépenses publiques augmentent bel et bien sur ,les cinq dernières années.

En revanche, on constate que les dépenses publiques augmentent moins vite sous la présidence d’Emmanuel Macron. Entre 2017 et 2022, les dépenses publiques ont progressé de 1,6 point de PIB dans l’Hexagone. C’est moins que dans la moyenne de l’UE (+3 points) ou qu’en Allemagne (+5,5 points de PIB). C’est assez logique, nos voisins ayant des comptes mieux gérés, ont plus de marges de manœuvre pour développer des politiques contracycliques en période de crise (pandémie et guerre). L’excès de dépenses publique français par rapport à l’Union européenne s’est ainsi réduit. Il était de 8,4 points de PIB en 2022 contre 9,8 points en 2017 selon Eurostat.

Michel Ruimy : Le niveau de dépenses publiques du budget 2023 n’a que fort peu de chances de se vérifier en exécution. L’apparente « maîtrise » des dépenses publiques devrait, en effet, buter sur le soutien aux ménages pour les aider à faire face au fort ralentissement de l’économie française, de la crise énergétique et du choc d’inflation qui en découle (et peut-être un rebond de l’épidémie hivernale de Covid-19). 

Par ailleurs, devant le ralentissement de l’activité économique, les dépenses de chômage risquent d’augmenter. S’agissant de la charge de la dette, de nombreuses incertitudes existent encore, en lien avec une volatilité des taux d’intérêt liée aux annonces de la BCE. La remontée plus rapide des taux de la BCE pourrait conduire à un renchérissement du service de la dette publique. 

Mais, un exemple des interrogations sur la volonté réelle de maîtrise de la dépense est l’absence de tout objectif en matière d’évolution de la masse salariale publique, qui serait contrainte par l’extension, en année pleine, de la revalorisation de 3,5% du point de fonction publique auxquelles s’ajoutent les mesures additionnelles du « Ségur de la Santé » et la revalorisation des agents contractuels. D’autres éléments comme le vieillissement de la population des fonctionnaires et les nouvelles embauches dans les politiques publiques prioritaires (armée, justice, sécurité, enseignement, santé…) pourraient faire progresser la masse salariale. L’évolution de celle-ci est donc sous-estimée. L’absence d’indicateur programmatique jusqu’en 2027 suggère que le Gouvernement n’en fait qu’une variable d’ajustement, sans objectif clair en matière de maîtrise des effectifs. La carence de stratégie en matière de pilotage des effectifs et de la masse salariale publics, prive les finances publiques d’un levier significatif de leur redressement.

La contrainte que le Gouvernement voudrait imposer à toutes les administrations publiques bute sur sa « politique du chéquier » et sur l’absence de majorité à l’Assemblée nationale pour voter des mesures réalistes de maîtrise des dépenses locales et sociales.

Propose-t-il des solutions qui sont en mesure de véritablement changer la donne en matière de dépense publique et de dette de l’Etat ? Une inversion de tendance à l’avenir est-elle crédible ?

Nicolas Marques : Emmanuel Macron a compris une chose clef, la nécessité de réduire la fiscalité française entravant la création de richesse. Son choix de baisser les impôts de production, qui chassent la création de richesse hors de France, est très judicieux. Cette démarche courageuse contribue à réduire significativement le chômage en France et à augmenter le taux d’emploi à des niveaux inédits. C’est important pour le tissu économique, mais aussi pour les ménages. Ils supportent au final les impôts ciblant les entreprises, avec un taux de chômage plus élevé ou des progressions de salaires moins attrayantes.

En revanche, la démarche du Président n’est pas assez aboutie d’un point de vue institutionnel. Il manque une démarche globale et robuste mettant en place les leviers susceptibles d’augmenter durablement le rapport qualité/prix des services publics.

Un exemple : le gouvernement – qui souhaite réduire la fiscalité et dégager des économies dans les collectivités locales – devrait mettre en place une vraie décentralisation financière. Pour aller au terme du démantèlement des impôts de production ou responsabiliser les collectivités dans l’usage de l’argent public, il faut organiser un partage des recettes d’impôt sur les sociétés et de TVA. Tant qu’on ne donnera pas un vraie autonomie et responsabilité financière aux collectivités locales, elles ne seront pas incitées ou en capacité de se poser la question du rapport qualité prix des prestations qu’elles financent.

Les retraites fournissent un autre exemple de manque de vision globale et de confusion des genres.

Michel Ruimy : Le gouvernement a annoncé son intention de réduire le déficit public en dessous de 3% du PIB à horizon 2027 grâce à la reprise de la croissance économique et à la maîtrise des dépenses publiques. Il a, en outre, présenté un programme de stabilité budgétaire pour réduire la dette à 108,3% du PIB d’ici la fin de la mandature. 

A cette fin, il a envisagé notamment de tailler les dépenses dans les programmes sociaux, les subventions…, de réformer le système de retraite, la fonction publique, l’assurance maladie, l’éducation… et, enfin, réduire les niches fiscales, optimiser la gestion de la dette et accélérer la transformation numérique de l’administration.

Ces pistes sont, en théorie, séduisantes mais ne tiennent pas compte de la dégradation pour plusieurs mois encore de la situation économique. De surcroît, si le déficit public a baissé en 2022, passant de 6,5% à 5,5% du PIB, la réduction de l’endettement public reste un défi majeur car il représente plus de 100% du PIB. Dans ces conditions, un retour à une bonne gestion des finances publiques semble difficile.

Pourquoi sommes-nous incapables de regarder lucidement la situation française et de mener une vraie revue des dépenses publiques capable de s’atteler au problème ?

Nicolas Marques : Le vrai problème, c’est de remettre l’Etat à sa place. Trop souvent, l’Etat dépense son énergie voire son crédit dans des actions anecdotiques, s’apparentant à du micro management, tout en passant à côté de l’essentiel. La priorité pour l’Etat devrait être de s’assurer de la mise en place de mécanismes institutionnels permettant de mieux gérer à tous les niveaux. Le rapport qualité prix médiocre des dépenses publiques françaises est la conséquence de gouvernances non qualitatives. L’Etat, au lieu de dicter aux administrations les économies qu’elles doivent faire, doit s’assurer que les différents acteurs publics ont des gouvernances responsables, de réelles marges de manœuvre et renforcer leurs incitations à améliorer le rapport qualité prix des dépenses et prestations publiques.

Les retraites en donnent un bon exemple. Deux fois d’affilée, en 2019-2020 et en 2023, le gouvernement s’est mis en première ligne en s’attirant les foudres des partenaires sociaux et d’une partie significative de l’opinion publique. La première fois avec une réforme systémique d’une ampleur inédite, la deuxième fois avec une réforme paramétrique plus traditionnelle. Mais, en aucun cas, il n’a abordé le problème de fond : depuis le contre choc du baby-boom, la France est dans une position difficile. En raison du sous-développement des capitalisations collectives, elle finance les retraites de ses fonctionnaires par le budget et celles du privé par la répartition. Bilan : le budget est systématiquement déficitaire et les retraités du privé vont connaitre une baisse inédite de leur pouvoir d’achat par rapport aux actifs. Un Etat stratège se serait comporté en employeur et régulateur responsable. Il aurait mis les partenaires sociaux en face de leurs responsabilités, en les aidant à généraliser la capitalisation collective pour enrayer la baisse du pouvoir d’achat des futurs retraités. Il aurait pris ses responsabilités en tant qu’employeur, en provisionnant les retraites des fonctionnaires, à l’image de ce que font le Sénat ou la Banque de France. Au lieu de cela, il a choisi de fermer le régime de retraite de la Banque de France qui – intégralement provisionné – est un des régimes français les mieux gérés.

Michel Ruimy : Le modèle français de solidarité est soumis depuis plusieurs années à des tensions. Plusieurs paramètres expliquent la rigidité à réduire les dépenses publiques : la résistance des groupes d’intérêt qui bénéficient des dépenses publiques (syndicats, associations, collectivités territoriales…) ; la part importante de l’emploi public dans l’emploi total, qui rend difficile la réduction des effectifs ou le traitement des fonctionnaires ; le faible niveau de l’investissement public comparé aux dépenses publiques courantes, qui limite les marges de manœuvre visant à réduire les dépenses sans affecter la qualité des services publics.

Ces facteurs rendent nécessaire une réforme structurelle des dépenses publiques, qui implique alors une révision des missions de l’Etat, une rationalisation des administrations et une évaluation de l’efficacité des politiques publiques. 

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