Fin de vie : un débat « citoyen » pour une évolution écrite d’avance<!-- --> | Atlantico.fr
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La fin de vie, au coeur des discussions de la Convention citoyenne, fait encore débat notamment chez les soignants.
La fin de vie, au coeur des discussions de la Convention citoyenne, fait encore débat notamment chez les soignants.
©LOIC VENANCE / AFP

Convention citoyenne

Alors que l’heure est de plus en plus à la consultation des experts, réels ou autoproclamés, le rapport de la Convention citoyenne sur la fin de vie pèse davantage dans les médias et pour le pouvoir politique que l’expérience des médecins et soignants opposés à l’aide à mourir.

Jean Degert

Jean Degert

Jean Degert est éthicien, rédacteur et traducteur juridique.

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Après avoir reçu lundi 3 avril les 184 membres de la Convention citoyenne qui s’étaient prononcés la veille à 76 % en faveur de l’accès à l’aide active à mourir, avec quelques réserves, Emmanuel Macron a annoncé un projet de loi « d’ici à l’été 2023 ». Le président, qui avait assuré vouloir prendre son temps, semble se réfugier derrière le rapport de la Convention, présenté comme légitime, pour demander un calendrier serré. Une accélération qui cache mal que ces réponses-ci étaient attendues.

Avant même la désignation de cette convention, le président de la commission des lois à l’Assemblée nationale, Sacha Houlié (Renaissance), avait déclaré au journal La Croix, dans une interview publiée le 24 septembre, que les députés pourraient légaliser l’aide à mourir même si les citoyens tirés au sort se prononçaient contre, au motif que la Constitution dispose que tout mandat impératif est nul.

Bien que Houlié parle également de développer les soins palliatifs, l’ensemble de son propos témoigne d’une préférence de la majorité pour l’aide active à mourir au nom du libéralisme politique. En somme, ce serait davantage la préférence idéologique de la majorité que le refus du mandat impératif qui expliquerait un vote favorable sur un projet de loi autorisant la mort administrée. Un avis favorable de la Convention pourrait-il n’avoir été qu’un prétexte pour vernir de légitimité une volonté déjà manifeste du pouvoir politique ? Une dizaine de jours plus tôt, Line Renaud avait déjà déclaré que Macron lui avait « fait comprendre que ça se ferait », des propos jamais contestés par le président.

Une Convention biaisée et manipulée ?

En choisissant de recourir à une nouvelle convention citoyenne, le président et le gouvernement n’ont pas pris de risque. Ils ne pouvaient ignorer que l’expérience avait déjà montré que ce type de consultation présentait déjà en soi le risque d’un biais, selon une étude publiée en août 2020 par l’École d’économie de Paris quant à la Convention citoyenne pour le climat créée en 2019. Si cette Convention était sociologiquement représentative de la population française, elle était constituée de citoyens déjà motivés puisque la participation n’était pas obligatoire – ou plutôt de « personnes motivées », la nationalité française n’étant pas un critère de recrutement pour ces conventions. Ainsi, 64 % des participants considéraient que le changement climatique était surtout d'origine anthropique, contre 50 % de la population générale, et ils étaient davantage convaincus que l’ensemble de la population que la France devait « prendre de l’avance dans la lutte contre le changement climatique », à 86 contre 69 %.

Les citoyens tirés au sort en 2019 étaient arrivés à la Convention déjà préparés par divers reportages. En a-t-il été de même concernant la majorité des participants à celle sur la fin de vie alors que le terrain est travaillé depuis plusieurs années par les médias ? Toujours est-il que la publication du résultat des votes sur les premières orientations par le Conseil Économique Social et Environnemental (CESE) le 19 février a semblé indiquer un soutien manifeste à la légalisation de l’euthanasie et de suicide assisté. Mais Le Figaro a révélé le 3 mars qu’une quarantaine de membres avaient écrit au comité de gouvernance de la Convention citoyenne pour dénoncer une manipulation des débats et des votes.

Dans leur lettre, les citoyens agacés expliquent que 140 membres ont répondu « Non » à la question « Le cadre d'accompagnement de la fin de vie répond-il aux différentes situations rencontrées ? » L’un des signataires déclare : « Nous avons demandé que la question soit précisée, ce qui nous a été refusé : pour tout un tas de raisons, il est difficile de soutenir qu'un cadre existant constitue une réponse parfaite à toutes les situations, donc on ne pouvait que répondre non à cette question. » Jusque-là favorable à l’aide active à mourir, il a changé d’avis, car il souhaitait qu’elle soit présentée « comme une possibilité laissée ouverte, mais pas comme une solution ».

Un autre citoyen dénonce la primauté accordée dans les débats à la mort administrée, assurant que certains membres « pensent que les votes sont conçus pour orienter vers l’aide active à mourir », au lieu de valoriser le travail fait pour améliorer la loi actuelle. Les membres de la Convention n’ont d’ailleurs pu ni obtenir de visite groupée dans un centre de soins palliatifs ni auditionner l’avocat Erwan Le Morhedec qui souhaite que l’offre palliative soit développée.

Dans un contexte où les médias mettent orientent les débats et où les Français sont mal informés ou ne se sentent majoritairement pas concernés, selon un sondage BVA pour le pour le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie, réalisé entre le 23 septembre et le 1er octobre 2022, un biais en faveur de l’aide active à mourir n’est pas surprenant, comme l’a montré le sondage IFOP par questionnaire auto-administré en ligne les 4 au 5 octobre suivants à la demande de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) au nom tendancieux. 78 % des sondés ont déclaré être favorables à un changement législatif. Le questionnaire n’a pas présenté les soins palliatifs comme une option, l’ADMD militant ouvertement pour la légalisation de l’aide à mourir. Un vrai débat à la Convention aurait dû sérieusement se nourrir d’informations exhaustives en matière de soins palliatifs, mais était-ce souhaité ?

Des débats médiatiques fortement biaisés préparant les esprits

La forte médiatisation biaisée de diverses affaires, avec le concours de l’ADMD, a permis d’altérer l’idée que se faisait la population de l’euthanasie. Ainsi, alors qu’un sondage Opinion Way de 2011 pour la SFAP (Société française d’accompagnement et de soins palliatifs) et d’autres organisations médicales indiquait que 60 % des Français préféraient le développement des soins palliatifs à la légalisation de l’euthanasie, les consciences étaient déjà travaillées depuis des années et prêtes à davantage évoluer. C’était par exemple le cas dans l’affaire Vincent Humbert, un jeune handicapé à qui sa mère avait administré de fortes doses de barbituriques en 2003, dans une ambiance médiatique présentant l’euthanasie comme la seule solution légitime.

Son kinésithérapeute avait dénoncé une « avalanche médiatique » qui l’avait particulièrement révolté par « la répétition en boucle d'une multitude de mensonges », accusant les médias de reprendre des « inepties comme s’ils n’avaient aucun souci de vérifier la vérité » : « Vincent n’était pas tétraplégique. Aucun médecin n’a dit à Marie que son fils avait une lésion de la moelle épinière. Vincent n’était pas aveugle même s’il ne voyait pas bien. On a fait croire qu’il ne bougeait qu’un doigt, c’est faux […] Il pouvait changer de chaînes de télévision. »

Les médecins et soignants ont dénoncé la manipulation médiatique dans un article du Quotidien du médecin de 2003 intitulé « Mort de Vincent Humbert : ce qui n’a pas été dit » : « Et tant pis si, en s'alignant comme un seul homme, les télévisions passaient par pertes et profits notre métier, notre compétence, notre vocation et notre liberté, sans jamais se demander si Vincent ou sa maman n'avaient pu être eux-mêmes les victimes d'une instrumentalisation. Etaient-ils réellement libres dans leur choix ou victimes de manipulateurs profitant de leurs fragilités respectives ? » Le professeur Axel Kahn ne dira pas autre chose en 2008 concernant l’affaire Chantal Sébire, parlant d’un « tsunami médiatique » qui a caché que cette femme, présentée comme souffrant sans possibilité de soulagement, avait refusé une opération « avec de fortes chances de réussite » et considérait la morphine comme du poison.

Dans ces débats tendancieux, l’expertise des personnels de centres palliatifs plus au fait des questions de fin de vie douloureuse que les citoyens orientés par les médias importe peu, le pouvoir feignant de ne pas la voir. Tout comme le sondage Opinion Way du 30 septembre 2022 selon lequel 85 % des acteurs des soins palliatifs, bénévoles et professionnels, se disent défavorables à toute forme d’aide active à mourir, et que 83 % d’entre eux déclarent que ce type de geste ne peut être considéré comme un soin. Maigre consolation, 78 % des membres de la Convention sont favorables à la possibilité pour les soignants d’invoquer une clause de conscience, mais 74,5 % souhaitent qu’ils orientent alors le demandeur vers un autre professionnel, témoignant d’un malentendu sur le sens des professions médicales.

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