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Fillon, Sarkozy : quand la justice se fait politique
©LIONEL BONAVENTURE / AFP

Acharnement ?

Comme le souligne Hervé Lehman, ce sont souvent les mêmes juges qui s'occupent des affaires judiciaires de la droite.

Atlantico : La situation que vous décrivez dans votre livre Le procès Fillon  connait plusieurs similarités avec la récente garde à vue de Nicolas Sarkozy. On retrouve ainsi le même représentant de la magistrature, le juge Tournaire. Quels sont les points qui pourraient interpeller dans cette procédure ? 

Hervé Lehman : Ce n’est pas seulement le même juge Tournaire, que Libération appelle le juge de fer, mais aussi un même juge adjoint, Aude Buresi, ancien membre du bureau du Syndicat de la Magistrature. Cela appelle deux remarques. En premier lieu, un juge d’instruction n’est pas tiré au sort, il est choisi par le président du tribunal, qui est en l’occurrence lui-même ancien membre du Syndicat de la Magistrature et ancien conseiller de Ségolène Royal, et chacun sait que, dans la justice comme ailleurs, le choix d’une personne pour un dossier n’est jamais neutre. Alors pourquoi choisir toujours les mêmes juges pour s’occuper des affaires mettant en cause les leaders de la droite ? En second lieu, il n’est pas très sain que l’on confie ces affaires à une juge qui s’est affichée, à travers ses responsabilités syndicales, comme une adversaire déterminée  de la droite. La Cour Européenne des Droits de l’Homme rappelle fréquemment que le juge ne doit pas seulement être impartial, mais qu’il doit aussi donner l’apparence de l’impartialité.

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Concernant l'affaire libyenne, si l'accusation de corruption passive semble correspondre aux faits supposés, peut-on s'interroger sur la pertinence de l'accusation de "détournement de fonds libyens", ne semblant pas reposer sur une transposition de droit libyen... ou celle de "financement illégal" pourtant considéré comme prescrite lors de la procédure Bettencourt ? 

La justice française se reconnait compétente, depuis l’arrêt de la Cour de cassation sur les « biens mal acquis », pour les recels en France de détournement de fonds publics étrangers. Quant à la question de la prescription, elle est devenue incompréhensible depuis la loi du 27 février 2017  qui la fait partir pour les infractions clandestines de la date de leur découverte, en la rallongeant dans certains cas et en la raccourcissant dans d’autres. Personne ne sait ce que dira la Cour de cassation sur la prescription d’une éventuelle corruption commise en 2007 et « découverte » en 2012. 

Dans quelle mesure le choix d'une garde à vue, après 5 ans d'instruction, peut-elle interroger ? L'audition de l'ancien président aurait-elle pu prendre une autre forme ? 

La garde à vue ne se justifie que dans les cas où l’on craint que l’intéressé prenne la fuite, fasse disparaitre des preuves ou se concerte avec ses complices. Dans le cas de Nicolas Sarkozy, interrogé cinq ans après le début de l’affaire, et placé pendant plus de six mois sous écoutes téléphoniques, ces justifications ne tiennent pas. D’ailleurs, pourquoi l’avoir laissé dormir chez lui s’il était nécessaire de le garder au secret ? Les policiers disent en privé que la garde à vue est faite pour « attendrir la viande » ; est-ce un procédé digne d’une grande démocratie à l’égard d’un ancien président de la République ? 

Quelles sont les similitudes observables avec l'affaire Fillon que vous traitez dans votre livre ? 

D’abord le démarrage des affaires : l’article de Mediapart entre les deux tours de la présidentielle de 2012, comme pour l’affaire Papon lancée par le Canard Enchainé entre les deux tours de 1981 à l’instigation de François Mitterrand, et l’article du même Canard sur l’affaire Fillon au début de la campagne présidentielle. Ensuite le même intérêt du parquet national financier pour les affaires concernant l’opposition, plus vif que pour les affaires Bayrou, Ferrand ou Business France. Puis le choix des mêmes juges. La différence principale est que l’affaire Fillon est allée à une vitesse déconcertante pour aboutir à la mise en examen du candidat de la droite avant l’élection, au mépris de la tradition républicaine de trêve électorale. Pour Nicolas Sarkozy, il n’y a plus vraiment d’urgence depuis 2012 et la justice peut suivre sa lenteur habituelle.

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48% de la population française considère que la justice n'est pas indépendante (2017, Club d'Iéna). Faut-il s'inquiéter quand on voit la façon dont elle agit avec des personnalités influentes de premier plan du sort qu'elle pourrait réserver à des citoyens ne disposant pas de cette force d'influence ?

La question est  ancienne et complexe, et c’est ce que je montre dans mon livre. Les magistrats du parquet ne sont pas indépendants puisqu’ils sont hiérarchisés au garde des Sceaux. Cela amène  la tentation de l’exécutif d’influer sur l’action publique. Les juges, eux, sont réellement indépendants, mais cela ne veut pas dire qu’ils sont choisis au hasard, qu’ils n’ont pas de convictions personnelles et qu’ils ne peuvent pas être influencés. Pour les affaires des citoyens « normaux », cela pose moins de problème. La difficulté est que, comme le dit le vieil adage, lorsque la politique entre dans le prétoire, la justice en sort.  

Le mécanisme de nomination des magistrats et de désignation sur des dossiers particuliers font que le pouvoir exécutif peut avoir une influence sur le fonctionnement judiciaire. Dans mon livre j'ai montré qu'au moment de l'affaire Fillon, toute la chaîne du parquet depuis le conseiller de justice de François Hollande,  le directeur des affaires criminelles, le procureur général de Paris, le procureur national financier… Toute la chaîne était composée de gens nommés par François Hollande donc pas éloignés de sa sensibilité. 

Donc lorsqu'il y a une affaire politique il n'y a même pas besoin de convoquer les acteurs de la justice. Le mécanisme fonctionne tout seul et les gens nommés vont dans le même sens que celui qui les a nommés. Le pouvoir exécutif n'a donc même pas besoin de donner des consignes.

On parle beaucoup de conflits d'intérêts en ce moment. Mais n'y a-t-il pas un conflit d'intérêt pour un juge lorsqu'il est cadre d'un syndicat qui affiche son hostilité à la droite de traiter une affaire qui met en cause une personnalité de droite ? Cette question du conflit d'intérêt personne n'en parle. On rebondit souvent sur l'affaire du "Mur des cons" mais cela cache presque le vrai débat de fond du conflit d'intérêt.

Comment expliquer que Sarkozy est en garde à vue ce que n'a jamais été Cahuzac ? Le PNF a demandé la mise sous contrôle judiciaire de Nicolas Sarkozy en l'interdisant de rentrer en contact avec son ex-femme. C'est insensé et c'est des manières de faire qui sont vraiment anormales.

Cela fait 40 ans que j'arpente les couloirs des Palais de justice d'abord en tant que juge puis en tant qu'avocat. Des affaires que le pouvoir essaye d'étouffer j'en ai vu beaucoup aussi bien de droite que de gauche. Mais des affaires dans lesquelles on pousse les feux des projecteurs des affaires contre l'opposition c'est un phénomène plutôt nouveau et cela ne se voyait pas avant François Hollande.  

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