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Faut-il traîner l'Education nationale en justice pour cette génération qui ne sait plus écrire ? Chez Atlantico, on y pense...
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Bonnet d'âne

Nous recevons quotidiennement des messages de nos lecteurs pointant le peu de cas que nous ferions des usages orthographiques et grammaticaux de la langue française. Un phénomène dont nous sommes naturellement conscients et contre lequel nous luttons, mais qui va bien au-delà du monde de la presse.

Thierry Bulot Bulot et Jean-Rémi Girard

Thierry Bulot Bulot et Jean-Rémi Girard

Thierry Bulot est sociolinguiste, et a mené plusieurs recherches portant sur le discours d'interface et plus particulièrement sur les particularismes du langage dans la relation homme-machine.

Il a ouvert en 1999 chez L’Harmattan une collection de publications  intitulée Espaces Discursifs pour favoriser la diffusion des travaux de recherches linguistiques. Il participe également au site www.sociolinguistique.fr

Jean-Rémi Girard est Secrétaire national à la pédagogie du SNALC-FGAF (Syndicat National des Lycées et Collèges). 

Il tient le blog sur l'Education nationale "Je Suis en retard" : http://celeblog.over-blog.com

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Atlantico : Les courriels, lettres de motivation, articles de presse – notamment les nôtres – et même les communiqués de presse de l'Élysée en sont truffés. Les fautes d'orthographe et de grammaire, qui semblent en voie de banalisation, reflètent une défaillance collective indéniable. Pourquoi les Français ne savent-ils plus écrire ? Assiste-t-on à un affaiblissement de la norme de l’écrit dans notre société ? 

Jean-Rémi Girard : Il y a heureusement encore des Français qui savent écrire ! Mais il y en a de moins en moins, et ils écrivent globalement de moins en moins bien. Un exercice tel que la dictée organisée par l'association "Sauver les lettres" l'a bien montré. Ce phénomène est lié à la lecture : niveau en lecture et niveau en écriture vont de pair. Il faut en chercher l'origine dès l'école primaire et tout au long de la scolarité : à force de multiplier les disciplines (éducation civique, langues vivantes, etc.) et d'employer des méthodes délirantes, on a créé un monstre. 

Thierry Bulot : Les langues changent sans cesse, aussi bien dans leur dimension orale qu’écrite. L’orthographe n’a jamais été identique. C’est tout à fait normal que les compétences orthographiques changent. Mais il faut aussi se pencher sur la valeur sociale qu’on accorde ou pas à l’orthographe : aujourd’hui, avec les nouvelles technologies qui sont censées être les démons de la langue, l’idée d’un changement orthographique parait plus scandaleuse qu’auparavant, mais c’est un phénomène qui est récurrent, et surtout normal. Nous n'avons jamais autant écrit, notamment via les nouveaux médias et les réseaux sociaux : les écrits non normés, qui étaient réduits à la sphère familiale, se trouvent désormais au sein de l’espace public que représente Internet. Les pratiques sont mises en scène de manière plus évidente, ce qui provoque en retour un discours normatif de plus en plus exacerbé. Mais même dans les textes littéraires de l’âge classique, on pouvait trouver un même mot orthographié de plusieurs façons différentes.

Ce constat ne résulte-t-il pas d'un simple manque d'intérêt des Français pour le respect des règles orthographiques ?

Jean-Rémi Girard : Il me semble que les Français sont très attachés à leur langue : chaque fois qu'il est question d'une éventuelle réforme de l'orthographe, les débats sont passionnés. Je crois vraiment que beaucoup de nos concitoyens souffrent de faire des fautes, et j'irai même jusqu'à dire qu'on a commis un crime contre eux en ne leur permettant pas d'accéder à une bonne maîtrise de leur langue. Cela ne prend pas davantage de temps de bien écrire et une fois qu'une règle orthographique est intériorisée, aucun effort n'est nécessaire pour l'appliquer. 

Notre méthode d'enseignement doit-elle être repensée ? Est-elle d'ailleurs la seule fautive ?

Jean-Rémi Girard : C'est plutôt parce que l'on a absolument voulu repenser nos méthodes d'enseignement que le niveau de maîtrise de la langue est en chute libre. L'enseignement de la grammaire et de l'orthographe demande du temps, de la rigueur et de la répétition, toutes choses dont on nous prive un peu plus à chaque "réforme". Nous en étions quand même arrivés à supprimer la grammaire des programmes de primaire de 2002 (remplacée par la fumeuse "observation réfléchie de la langue") et à la transformer en un "outil de la langue" enseigné de manière pointilliste dans les programmes de collège.

Aujourd'hui, beaucoup d'élèves arrivant en fin de scolarité obligatoire ont des difficultés à repérer un verbe conjugué, un sujet, un complément : la langue française semble être devenue une langue étrangère pour eux. Il faut donc donner la priorité à l'enseignement du français, de la lecture (avec des méthodes suivant un principe alphabétique), de la grammaire, sur des horaires plus importants que ceux existant à l'heure actuelle. C'est une urgence.

Les nouvelles formes d’expression (SMS, courriels, etc.) inventent d’autres normes d’écriture. Peut-on considérer les erreurs volontaires comme un élément culturel à part entière ? 

Thierry Bulot : Dans ces formes d’expression, c’est la diversité des pratiques qui s’exprime, et elle dépend du sentiment linguistique de chacun. Certaines personnes vont écrire un mot d’une certaine façon car qu’ils l’ont vu écrire de cette manière-là par quelqu’un qu’ils respectent ou qu’ils aiment : cela leur permet d'être reconnu, de faire partie d’un groupe, d’être valorisé. Ecrire d’une manière différente peut être un signe de modernité, d’intelligence, de créativité. Cela crée un espace de parole inédit dans l’histoire de l’Humanité. On voit apparaître un laboratoire extraordinaire avec les mécanismes de la langue qui se modifient.

Quel est l'impact de ces lacunes dans notre quotidien ? Quelles sont les conséquences que l'évolution de la langue peut avoir à long terme ?

Jean-Rémi Girard : L'impact peut être terrible : certains métiers sont bien plus difficiles d'accès à qui n'écrit pas correctement. Les lacunes dans la maîtrise de la langue restreignent vos perspectives professionnelles, vos possibilités de promotion. Sans compter le risque de paraître ridicule auprès de ses collègues, de son supérieur, mais aussi de ses subordonnés : l'orthographe est encore et toujours une marque de sérieux dans notre système. Ceux qui l'apprennent correctement dans des établissements privilégiés ou parce qu'ils appartiennent à un milieu culturellement favorisé acquièrent un avantage non négligeable sur le reste de la population. C'est à l'école de réduire les inégalités : or, elle a plutôt tendance à les aggraver car elle n'assure plus prioritairement sa mission de transmission des savoirs fondamentaux.

Thierry Bulot : On ne peut pas parler tant de conséquences que de nécessités. La langue n’existe pas tant qu’elle n’est pas parlée : plus on parle une langue, plus elle se modifie. Il faut que nos sociétés continuent d’être en crise au sens positif du terme, c’est à dire dans le changement.

Si nos sociétés changent, les langues changeront nécessairement. Si les pratiques actuelles de l’écrit changent, cela manifeste des changements sociaux profonds. Plus on rencontre l’autre, plus notre identité se modifie. La mondialisation a des effets importants sur nos pratiques linguistiques, et cela n’est pas seulement négatif comme les puristes peuvent le penser.

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