Faut-il craindre de se mettre sous la protection du tribunal de commerce ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L’activité économique semble marquer le pas et la situation devient de plus en plus délicate pour les entreprises.
L’activité économique semble marquer le pas et la situation devient de plus en plus délicate pour les entreprises.
©GUILLAUME SOUVANT / AFP

Restructurer la tête haute

L’activité économique semble marquer le pas et la situation devient de plus en plus délicate pour les entreprises. Toutefois, contrairement à une idée reçue, la France s’est dotée de l’arsenal juridique le plus protecteur au monde pour les structures qui rencontrent des difficultés : un système qui permet d’abord de protéger l’entreprise, mais aussi de pérenniser l'activité et l'emploi. L’enjeu majeur pour les chefs d'entreprises est de ne pas avoir peur de pousser la porte du Tribunal de commerce pour restructurer la tête haute leur entreprise.

Pierre-Louis Rouyer

Pierre-Louis Rouyer

Pierre-Louis Rouyer est un avocat qui accompagne de nombreuses entreprises en restructuration.

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Atlantico : Placement sous la protection du tribunal de commerce, qu’est-ce que cela signifie ?

Pierre-Louis Rouyer : Aux États-Unis, on parle de « restructuring ». En France, le droit des entreprises en difficulté a d’abord été abordé sous l’angle du droit des faillites et des sanctions qui en découlent. Même si l’on a de plus en plus recours à l’idée d’un « placement sous la protection du tribunal de commerce », la plupart des chefs d’entreprises associent encore souvent à tort le redressement judiciaire avec une faillite inéluctable. Or le droit des entreprises en difficulté a été bâti dans un but radicalement opposé : transformer les difficultés en opportunités de rebond, avec bienveillance de la part des juges consulaires qui sont avant tout des chefs d’entreprises qui ont, eux aussi, rencontré des difficultés dans leur parcours.

Il faut tout de même rappeler que le redressement judiciaire ne peut être accordé par le Tribunal de commerce à des entreprises moribondes. Seules les entreprises rentables et qui ont de réelles perspectives peuvent en bénéficier. Le terme « redressement » est mal choisi selon moi par notre législateur puisque l’image qu’il évoque auprès de l’inconscient collectif est négative. Le terme de protection correspond davantage à cette période si particulière au cours de laquelle tout est mis en œuvre pour permettre à l’entreprise de reprendre son souffle pour mieux rebondir. C’est donc tout sauf l’entrée au purgatoire.

Quels sont les impacts pour les clients de l’entreprise ?

En BtoC, les impacts sont souvent nuls, le consommateur ne change pas ses habitudes car il ignore la plupart du temps que l’entreprise est sous la protection du Tribunal. Beaucoup de mes clients qui opèrent en BtoB craignent que leurs clients se détournent. Or c’est souvent le phénomène inverse que l’on observe : des clients solidaires qui soutiennent les dirigeants et les salariés ; à l’ère de la RSE, il devient très mal vu d’abandonner un partenaire au prétexte qu’il rencontre des difficultés. La solidarité économique est dans l’ère du temps, et c’est une bonne chose.

Vous dites qu'une entreprise doit être rentable pour être placée sous la protection du tribunal de commerce, n'est-ce pas paradoxal ?

Tous les cas sont différents, bien évidemment. Les situations qui amènent une entreprise à demander cette protection peuvent être multiples et souvent une entreprise s’asphyxie avec une dette importante et des créanciers qui resserrent chaque jour un peu plus leur étau. Pour illustrer mon propos, je vais prendre l'exemple d'une société que j'accompagne et qui est une belle entreprise sur son marché. Il s'agit d'Epoka, une des références en communication corporate. C’est l’exemple typique d’une société qui connait une belle croissance, bénéficie d’un savoir-faire reconnu au travers d’un portefeuille clients qui fait l’admiration de beaucoup et qui, malgré tout, a eu besoin de s’appuyer sur le Tribunal de commerce récemment.

Comment en effet imaginer qu'une entreprise qui fonctionne puisse se retrouver dans une telle situation ?

D’abord il faut rappeler la distinction entre résultats et situation financière. Epoka, qui a été élue en début d’année 2024 « Groupe de Communication indépendant de l’année », est largement rentable. Elle a cependant accumulé des dettes, du fait de facteurs exogènes essentiellement. Le premier, commun à beaucoup d'entreprises c’est l'épidémie du Covid. Epoka a arrêté tout recours aux aides de l'Etat dès l’été 2020 et n’a pas initié le moindre plan de licenciement, alors que de nombreux projets étaient encore fortement impactés et les activités créatives et événementielles quasiment à l'arrêt. C’était peut-être vertueux et courageux à l’époque, mais cela a pesé pour la suite.

Ils ont fait au mieux comme des milliers d’autres chefs d’entreprise qui ont dû s’adapter en urgence aux conséquences d’une crise sans précédent.

Le deuxième facteur a été constitué par le départ concerté de plusieurs managers qui ont décidé de créer une agence concurrente. Epoka a été victime à ce moment d'une cabale sur les réseaux sociaux.

Le troisième facteur exogène s’est révélé au moment l’acquisition à 100% du spécialiste du marketing BtoB : Aressy. Epoka a découvert que le chef comptable de cette société avait détourné des sommes particulièrement importantes à son profit. Même si le Tribunal correctionnel ne s’y est pas trompé en condamnant lourdement l’escroc, les sommes manquantes ont augmenté la pression sur une trésorerie déjà maltraitée. En dépit d’une exploitation normative bénéficiaire et d’une vraie croissance, le poids de la dette a fini par asphyxier ma cliente. Epoka est l’exemple parfait pour convaincre les chefs d’entreprise qui rencontrent des difficultés de courir au Tribunal de commerce pour solliciter sa protection et rebondir.

Les redressements judiciaires aboutissent parfois à de belles histoires entrepreneuriales … récemment, la star française de la conduite autonome Navya a profité de son redressement judiciaire pour mobiliser 25 M€ pour financer son activité, tandis que la medtech BioSerenity a attiré  l'investissement de 24 M€ du fonds Jolt pour sauver l'une des pépites du French Tech 120…

À quoi va servir cette protection ?

Une période d’observation s’ouvre pour éviter toute exigibilité forcée d’une dette qui pourrait briser la croissance de l’entreprise. Cette période est aussi l’occasion d’observer les résultats de l’entreprise et, si ceux-ci permettent de dégager une marge suffisante, lui accorder un remboursement de l’intégralité de ses dettes jusqu’à 10 ans. Si nécessaire, elle pourra aussi trouver une solution en s’adossant à un partenaire industriel ou financier.

Finalement pourquoi les chefs d'entreprise ne font-ils pas davantage appel à ces dispositifs ?

Les chefs d’entreprise ignorent la plupart du temps l’existence de ces dispositifs car tant qu’ils n’y sont pas confrontés, c’est un domaine qui leur reste obscur. Très souvent, le premier accès au droit pour un chef d’entreprise, c’est l’expert-comptable et ce dernier est souvent mal formé pour identifier les difficultés en amont et proposer des solutions concrètes. Combien de fois n’ai-je pas entendu « c’est foutu, mon expert-comptable vient de me dire que je suis en cessation des paiements » ? Les mots « cessation des paiements » et « redressement judiciaire » résonnent souvent dans l’imaginaire collectif comme des synonymes de faillite et de banqueroute, alors même qu’ils devraient sonner le glas des difficultés et l’amorce d’un rebond. Un redressement judiciaire, ou plutôt une mise sous la protection du tribunal, bien préparée avec les bons professionnels réunis au chevet de l’entreprise, c’est la quasi garantie d’un rebond et le début d’un nouveau chapitre dans l’histoire des entrepreneurs…

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