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Faudra-t-il intervenir militairement au Mozambique ?
©Alfredo Zuniga / AFP

Interrogation stratégique

La conquête par le mouvement Al-Shabab (« les jeunes » en arabe) du port de Palma, au Nord-Est du Mozambique, dans la région de Cabo Delgado, semble avoir pris la communauté internationale par surprise.

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy est enseignant en géopolitique à l'Université Catholique de Lille, à l'Institut Supérieur de gestion de Paris, à l'école des Hautes Études Internationales et Politiques. Il est également président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). 

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Pourtant, depuis octobre 2017, ce groupe armé terroriste (GAT) d’inspiration djihadiste, était devenu un sujet de préoccupation grandissant. L’ONG américaine, Armed Conflict Location & Event Data Project (ACLED) estime que plus de 2000 personnes sont mortes dans le cadre d’attaques incessantes menées dans cette région depuis 2017. L’attaque de Palma aurait ainsi avoir causé la mort de 57 personnes, dont 7 ressortissants étrangers, et provoqué le déplacement de plus de 9000 personnes, qui viennent rejoindre les 535 000 mozambicains ayant fui précédemment la région, selon l’UNHCR.

Bien que le Mozambique, indépendant depuis seulement 1975, soit une ancienne colonie portugaise depuis 1498, la France n’est pas pour autant désintéressée. C’est en effet, dans le Canal du Mozambique que Paris entend rester ferme et déterminée à protéger la souveraineté de ses cinq Îles Eparses et de l’immense Zone Economique Exclusive (ZEE) et plateau continental attenant (640 000 Km2) soit deux fois celui de la France hexagonale ! 

C’est, également dans cette prometteuse partie australe de l’Océan Indien que la France possède de solides arguments militaires, grâce à ses deux départements de Mayotte et de la Réunion et les quelque 2000 forces de souveraineté qui s’y déploient par le truchement de ses Forces Armées de la Zone Sud de l’Océan Indien (FAZSOI), ses cinq navires (notamment ses deux frégates et deux patrouilleurs), ses deux avions de transport et deux hélicoptères. 

Depuis, de nombreuses spéculations sont apparues quant au rôle que Paris devrait y jouer, notamment eu égard au fait que c’est dans cette riche région gazière du Nord-Est du pays -  troisième réserve gazière africaine (après le Nigéria et l’Algérie) - plus précisément au large de ses côtes, que s’y déploient de nombreuses compagnies pétrolières, dont Total. 

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Cette dernière entend y développer ses deux mégas usines de Gaz Naturel Liquéfié (GNL) d’Afungi, précisément à 25km de la ville de Palma, désormais aux mains des Shabab mozambicains. D’un montant de 23 milliards de dollars, pour une production annuelle de 13,12 millions de tonnes de GNL - prévue d’ici 2024 -  il s’agit, là, du plus important investissement étranger dans le pays et du plus gros projet de Total dans le monde. L’on y estime les réserves off-shore à 5000 milliards de m3 de gaz. 

Après l’attaque de Palma et sa libération par les forces armées mozambicaines, Total a pourtant décidé de fermer son site et de rapatrier tous ses employés vers Mayotte et Maputo.

Nul étonnement, dès lors, que le Président de la République, Emmanuel Macron, ait, à travers un récent tweet, rappelé à la suite d’une précédente attaque que « le terrorisme islamiste est une menace internationale, qui appelle une réponse internationale ».  L’Union africaine a appelé, quant à elle, à « une action régionale et internationale urgente ». 

La prise de conscience de la dangerosité de l’ancrage de ce nouveau foyer terroriste en Afrique orientale et australe est néanmoins balbutiante. L’Afrique du Sud - qui craint une extension de la menace - et le Portugal, ont récemment confirmé collaborer ensemble, en vue d’une éventuelle mobilisation de la Southern African Development Community (SADC). 

Le Portugal a ainsi décidé l’envoi, en urgence, de 60 militaires pour aider le Mozambique, qui semble incapable de faire face seul aux djihadistes.  Tout juste, convient-il de constater que les Forças Armadas de Defesa de Moçambique, très vite débordées, ont pu bénéficier de l’apport en « sous-traitance », des sociétés militaires privées russe, Wagner et sud-africaine, Dyck Advisory Group (DAG).

Les récentes attaques qui ont endeuillées les populations autour des localités de Palma et précédemment, de Pemba, d’Aldeia da Paz et de Mocimboa de Praia, tendent à démontrer l’urgence d’une mobilisation internationale pour faire face à cette nouvelle résurgence australe de Daesh.

Il y a, en effet urgence, comme ne cesse de le rappeler les membres de la Communauté de Sant’Egidio, qui précisent que les terroristes du mouvement Ansar Al-Sunna, sont des islamistes kenyans venus s’installer en Tanzanie en 2015 puis chassés en 2017 et ayant prêtés allégeance à l’Etat Islamique, dès 2012. 

Ceux-ci sévissent désormais, plus au sud, dans la région septentrionale du Mozambique. Ceux-ci sont désormais appelés l’Etat Islamique de la « province d’Afrique centrale » (ISCAP) et entendent maintenant instaurer la Charia dans l’ensemble du pays. 

La nouvelle administration Biden vient de classer, du reste, l’ISCAP, Ansar Al-Sunna et le mouvement d’origine ougandaise des Forces Démocratiques Alliées (ADF) agissant à l’est de la République Démocratique du Congo (RDC), comme des organisations terroristes affiliées à Daesh.

La dernière réunion des ministres de la Défense des 30 membres de l’OTAN, a également permis à la ministre de la Défense française, Florence Parly et à son homologue portugais, Joao Gomes Gravinho d’évoquer quelques pistes d’actions communes pour tenter d’éviter une « sahélisation » de l’ISCAP. 

Les similitudes peuvent paraître spécieuses entre les deux théâtres d’action des mouvements djihadistes qui s’y déploient. 

Pourtant, l’absence paradoxale d’état dans une région éloignée de 2000 km de la capitale Maputo, et pourtant potentiellement poumon futur du développement économique du pays - qui pourrait faire doubler le budget de l’état - ; de possibles collusions entre groupes armés et éléments des forces armées sur fond d’économie parallèle ; l’insuffisante montée en puissance des forces africaines en attente au niveau régional ; l’externalisation de la sécurité à des acteurs étrangers ; la porosité des frontières bénéficiant aux  djihadistes ; ainsi que la dimension transfrontalière du rayonnement des actions de l’ISCAP, de part et d’autre de la frontière entre la Tanzanie et le Mozambique, offre nombres de similitudes avec le modèle de l’enkystement des GAT dans la région des trois frontières (Mali, Niger, Burkina Faso) ou encore dans la région du Lac Tchad et de la Forêt de Sambisa (Nord-est du Nigéria), de la région camerounaise de l’Extrême Nord, et de Diffa, au Sud-est du Niger.

La dynamique complexe qui semble caractériser dorénavant l’ancrage durable des organisations terroristes dans les périphéries des états fragiles du continent va aussi de pair avec l’endogénéisation d’opportunité de ses combattants. Au Cabo Delgado, la plupart d’entre eux sont issus de la communauté Mwani, à dominante musulmane, se sentant marginalisée, favorise, de facto, une forte radicalisation de cette jeunesse désœuvrée, dans un pays où 50% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté.

Pour éviter qu’une telle contagion se reproduise qui risque de contaminer l’Afrique australe, comme auparavant les parties septentrionales de la rive orientale du continent, il faut agir vite, avant qu’il ne soit trop tard. 

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