Face au modèle américain, l'Union européenne risque de se résumer à un vaste parc d'attractions touristiques pour le reste du monde<!-- --> | Atlantico.fr
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À l'heure où les pays de l'Union européenne se préparent à réactiver les critères du pacte de stabilité au 1er janvier prochain, les milieux d'affaires doutent du résultat et lorgnent sur l’agressivité du modèle américain.
À l'heure où les pays de l'Union européenne se préparent à réactiver les critères du pacte de stabilité au 1er janvier prochain, les milieux d'affaires doutent du résultat et lorgnent sur l’agressivité du modèle américain.
©EMMANUEL DUNAND / AFP

Atlantico Business

À l'heure où les pays de l'Union européenne se préparent à réactiver les critères du pacte de stabilité au 1er janvier prochain, les milieux d'affaires doutent du résultat et lorgnent sur l’agressivité du modèle américain.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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L'économie américaine n'a jamais disposé d'un potentiel aussi puissant qu'aujourd'hui. Non seulement l'économie tourne à plein régime depuis la fin du Covid, en situation de plein emploi, mais la gouvernance Biden a choisi de lancer un programme d'investissement historique pour préparer le proche avenir. L'« Anti-Inflation Act » devait répondre aux tensions inflationnistes de l'après-Covid ; c'est en réalité un plan de financement considérable pour faciliter et accélérer la mutation énergétique, climatique ,  industrielle et digitale. Ce plan est tellement ambitieux (près de 2000 milliards de dollars) pour les 10 prochaines années, soit plus de la moitié du PIB français qu il va « booster » l’économie américaine comme jamais.

La caractéristique du Plan Biden va servir principalement à renforcer l'indépendance énergétique et industrielle des États-Unis. Assurer sa souveraineté et s'affranchir des productions asiatiques.

C'est bien l'ampleur de ce plan qui inquiète les Européens dans la mesure où les États-Unis, par leur fiscalité et leur environnement, façonnent un écosystème hyper attractif pour les investisseurs étrangers, c'est-à-dire les Chinois, les Japonais, les pays pétroliers et même les Européens.

À Bruxelles, on est loin de pouvoir aligner une force de frappe équivalente. Même si l'on met bout à bout les différents plans de relance des principaux pays de l'Union. Avec en plus trois handicaps.

D'abord, l'Europe a du mal à promettre une indépendance énergétique. L'énergie nucléaire n'est significativement présente qu'en France. Les Allemands restent actuellement encore très dépendants du charbon et du gaz.

Ensuite, les stratégies économiques ne sont pas complémentaires. L'industrie allemande, par exemple, est orientée vers la grande exportation, tandis que la France a priorisé des services, le luxe et le tourisme. Tout cela est tres partiel et fragile. On aura encore longtemps besoin des manufactures chinoise et de la haute technologie californienne.

Enfin, et surtout, on ne sent pas un souffle politique pour accroître la solidarité. La solidarité ne booste pas la croissance ; elle ne sert qu'à protéger la solvabilité des États emprunteurs et encore au prix d'une discipline très rigoureuse qui freine sans doute l'expansion. À noter que cette Europe a l’obligation de se protéger contre les tentations hégémoniques de la Russie. Son appartenance à l'OTAN lui permet de bénéficier de la protection américaine, mais cette protection a aussi un coût. Dans l'état actuel de la situation, il n'y a guère que le Royaume-Uni et la France qui consentent des dépenses à des fins militaires significatives, ne serait-ce que par la disposition de l'arme nucléaire. Ajoutons à cela que la capacité d'endettement des pays européens est limitée à la bonne volonté des Allemands. Puisque l'appartenance à l'Euro garantit nos endettements, et l'Euro est garanti par les Allemands.

On touche là à la faiblesse de l'Union européenne qui n'a pas acquis les moyens d'appliquer un modèle proche du modèle américain.

Il y a certes des différences culturelles importantes entre les États-Unis et l'Europe, notamment dans le mode de couverture sociale. Le modèle américain est fondé sur le principe de la responsabilité individuelle et donc de l'assurance. Les modèles européens sont plus fondés sur l'intérêt collectif et donc sur la solidarité. Mais au-delà de cette différence qui impacte le financement économique, la réalité est beaucoup plus cruelle encore, concernant les équilibres macro-économiques.

L'Amérique vit à crédit avec des créanciers qui ne demanderont pas le remboursement de leurs créances . C’est magique . L’Amérique est un pays qui est déjà fortement endetté à l'extérieur, à un point qui mettrait en difficulté le plus solide des pays européens. Leur budget annuel affiche un déficit qui représente trois fois la norme autorisée par l'Union européenne à ses partenaires (3%). Son endettement extérieur dépasse de loin les 100% du PIB. Parallèlement, les États-Unis accueillent à bras ouverts les excédents pétroliers de l'Arabie saoudite et les excédents commerciaux de la Chine qui achètent ou construisent des immeubles et des usines. Le plan de réindustrialisation va encore accroître ses financements extérieurs.

Au niveau stratégique, l'administration Biden veut renforcer l'indépendance énergétique et ne plus dépendre des fournisseurs asiatiques pour les composants stratégiques, notamment électroniques.

Et cela quoi qu'il en coûte. L'Amérique peut s'offrir le luxe d'une dette extérieure colossale, d'abord parce que le dollar est la monnaie mondiale. Le monde entier fait confiance dans la monnaie. Ensuite, parce que les investissements énormes que les USA réalisent doivent, à terme, générer des revenus, lesquels permettront de réduire le déficit et l'endettement.

Cette promesse-là est théorique et beaucoup imaginent des catastrophes économiques et financières, mais personne n'a encore pu en démontrer les mécanismes.

Le risque d'une réaction militaire existe certes, du côté de la Chine qui se retrouve très affaiblie sur le plan économique, du côté de la Corée du Nord ou du Moyen-Orient. Quand une dictature ne peut plus promettre à son peuple la prosperite économique, elle a tendance a se trouver un bouc émissaire et lui faire la guerre.

C'est évidemment envisageable mais très peu probable. Il faut se souvenir des leçons de géopolitique de Henry Kissinger : « Le syndrome de la Barbichette ». Tout le monde se tient dans les rapports géopolitiques, parce que tout le monde a intérêt à se tenir debout. L'Amérique a besoin de la Chine parce qu'elle va continuer à faire fabriquer des objets sans beaucoup de valeur ajoutée, mais la Chine a encore plus besoin de l'Amérique où Pékin a massivement investi d'argent. Les pays pétroliers aussi. Ils savent que dans un demi-siècle, ils ne vendront sans doute plus de pétrole, mais ils vivront des revenus des investissements réalisés dans les pays d'Occident pour profiter des technologies.

L'Europe dans cette nouvelle géographie est en panne. Elle peut jouer le rôle d'un immense parc touristique, culturel et historique pour le reste du monde, mais cela ne sera guère stratégique que de dépendre de nos visiteurs.

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