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Mettre fin au french bashing, une nécessité.
Mettre fin au french bashing, une nécessité.
©Reuters

Réaction

Adresse aux Français partis, à ceux qui reviendront comme à ceux qui ne reviendront jamais, à ceux qui s’apprêtent à partir : plus que le Made in France qu’on promeut aujourd’hui, n’est-il pas encore plus urgent de mettre fin au "french bashing", cette "autodestruction d’image de la France" massive ?

Olivia Grégoire

Olivia Grégoire

Olivia Grégoire diplômée de sciences Po Paris et de l'Essec, dirige son cabinet de stratégie d'influence OLICARE, après avoir conseillé, durant douze années, des entreprises, et des décideurs politiques comme privés, dans leur communication stratégique.

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Un dîner qui aurait dû être parfait. Un cadre idyllique de palace parisien aux allures orientales raffinées, et fréquenté par des décideurs des quatre coins du monde. Un invité dont je gardais un souvenir intelligent, au passé très international, aujourd’hui, résident brésilien en charge d’une grande entreprise française. Chaussée sur mes bottes de parisienne, j’arrive avec quelques minutes de retard, de belle humeur, heureuse de partager durant ce dîner, nos perceptions et ressentis de vies,  depuis nos destinations de vie si éloignées. Assez logiquement, la discussion s’enclenche sur les récents évènements qui secouent le monde entier, de Paris à Copenhague.

Comme beaucoup d’entre nous, depuis quelques semaines, je sens rapidement que le sujet jusqu’ici seulement dramatique, prend une tournure résolument polémique. Les faits sont têtus, les attaques contre la liberté d’expression redoublent de cadence et de violence, le temps semble s’accélérer, les caricaturistes sont désormais ouvertement « hommes à abattre », à l’image de Lars Vilk. Une « même détermination des terroristes à frapper ce que nous sommes » comme l’a exprimé Laurent Fabius, en France, en Suède, et partout ailleurs… Mon convive lance la première phrase « Si tu veux mon humble avis », alors même que je n’avais pas encore pris le temps de le lui demander, « je pense qu’ils l’ont cherché, Charlie Hebdo ». L’apéritif n’est pas encore terminé que j’ai déjà l’appétit coupé. Je décide de rester calme, au nom de l’apaisement républicain que nous défendons aujourd’hui, et tente alors d’élargir la focale de notre conversation, autour du constat qu’il existe de tout temps une tradition française de la satire, que la critique acerbe est consubstantielle de la liberté d’expression européenne, comme l’éthique de conviction. Ce dîner aurait dû être agréable. Il aurait dû.

Le plat arrive. Je me dis alors naïvement que nous allons parler d’autres choses, de sa vie au Brésil, de la mienne à Paris. Je le questionne. La réponse ne se fait pas attendre « Tu sais, c’est merveilleux de vivre là bas. Un exemple. Au Brésil, que tu gagnes 10 $ ou 10 000$ par mois, tout le monde est imposé exactement au même taux plafond, environ à 27% ». Il poursuit sa démonstration « j’ai aussi vécu en Russie tu sais, là bas c ‘est pareil c‘est 13% d’imposition pour tout le monde, riche ou pauvre ». Je tente un trait d’humour entre deux coups de fourchette « Et la Suisse alors, tu ne m’as pas encore cité la Suisse dans ton analyse comparée du bonheur fiscal ? ». Il s’engouffre, sans sourciller « Ah mais parlons en de la Suisse ! Voilà un bel exemple de démocratie concrète, avec leurs référendums populaires. Tu vois » m’explique-t-il du haut de son expérience internationale, à moi, petite gueuse de Gaulle, « les gouvernants suisses font confiance au peuple, au collectif, eux. Ils ont posé la question au peuple pour savoir s’il fallait faire payer plus d’impôts, aux plus riches. Et bien le peuple a répondu NON, pourquoi ? Parce que ce peuple est capable de réfléchir collectivement, il a compris que ce type de mesure ferait fuir les plus fortunés, et affaiblirait à terme les recettes fiscales du pays. Voilà un peuple qui sait raisonner collectivement plus qu’individuellement ». Il insiste « En revanche, ici, en France, c’est terminé, je vais te dire c’est com-plè-te-ment fou-tu. C’est l’individuel qui a pris le dessus sur le sens collectif depuis 1968. Il n’y a plus aucune autorité, plus aucune valeur, plus de limites. Vous avez totalement perdu le sens de la discipline, du collectif. A Singapour par exemple, tu vois il y a dix ans, ils ont mis en place une législation drastique dans les espaces publics, interdit de manger dans le métro ou de fumer dans les rues, par exemple, pour garder la ville propre. On encourait 500$ d’amende immédiate. Et bien aujourd’hui je peux te dire que leurs rues sont propres, que les gens ont l’air heureux, malgré ces mesures  qui paraissent disciplinaires. Et en France, et bien, c’est sale. La discipline tu comprends, c’est essentiel. La liberté n’a pas que du bon au plan collectif, il faut aussi de l’autorité». Je n’opine pas…Je tente de ne pas avaler de travers la fin de mon verre de vin. Je demeure silencieuse…

Un frisson me parcourt le dos puis l’esprit: comment oser me parler de Singapour ou de la Russie comme de modèles d’indexation démocratique ? Dans ce flot ininterrompu, entre deux vagues de critiques, je tente une sortie « Mais à t’écouter, en France, on a plus aucune chance là ? Ca ne sert plus à rien de tenter de rester! Tu sais, au risque de te contredire, moi, je crois encore à mon pays ». Que n’avais-je osé dire…« Ah oui ? Et bien moi je vais te dire je n’y crois plus. Après une grande école, j’ai donné 10 ans de ma vie, ici, à la France, à travailler, à essayer de faire changer les choses, puis je suis parti depuis 20 ans. Mais j’ai essayé, je te promets » m’explique-t-il, vautré dans sa justification. « Et puis, oui j’ai renoncé. Et quand je vois la faillite du système éducatif, la mort de l’industrie française, la déchéance des valeurs, ici, alors je me dis que j’ai bien fait de partir car la France est foutue. Tu diras ce que tu veux, j’ai quand même encore le droit de critiquer la France. Il y a deux certitudes. La première c’est l’arrogance naturelle des français, cette façon de faire la leçon à tout le monde. Mais le monde entier observe, de ses yeux, le déclin de la France ! La seconde, c’est que face à cette arrogance, le monde entier se marre, et se moque de la France, cette donneuse de leçons en état de déliquescence avancée ».

Dans une profonde respiration, calme et déterminée, je décide de prendre mes responsabilités que j’estime citoyennes, à ce point critique d’un procès totalement à charge. Il est un moment où me taire reviendrait à cautionner tant de mauvaise foi. : « Ecoute, je ne sais pas si tu as « le droit » de critiquer aussi fortement ton pays d’origine, et de le massacrer ainsi. Quand on a tout quitté pour percevoir son gentil salaire d’entreprise française, comme expatrié, au Brésil, et bien je pense qu’on perd une forme de légitimité à critiquer une vie qu’on ne vit plus, un pays qu’on ne connaît plus, tandis que d’autres font chaque jour, le choix de rester, de se battre, de créer une entreprise, peut être même des emplois, en France, et de redonner de la force à notre pays. Oui, nous avons de graves faiblesses. Mais nous avons aussi de grandes forces, ne pas le dire est faire un tableau peu honnête  de la situation». Passablement énervé il poursuit «  ah oui et quoi comme forces, hein, dis moi ? ». «  Des forces ? Par exemple, Notre savoir faire industriel, ou notre force d’innovation. Regarde la French Tech, regarde les industries de santé, regarde les grands acteurs de l’énergie, nous sommes encore dans le jeu ! Et puis je vais te dire, je trouve que c’est tellement facile, voire un peu culotté, de nous blâmer ainsi, quand on se baigne tous les samedis, et qu’on se prélasse dans un appartement de fonction - d’entreprise française- à Rio … Nous n’avons pas besoin que nos propres ressortissants appuient la tête de la France sous l’eau, dans ces moments difficiles pour nous. Oui, nous devons réformer, oui nous manquons d’un certain courage, et notre classe politique cajole les particularismes, plus qu’elle ne décide en faveur des intérêts de notre pays. Mais la France reste un grand pays, nous allons relever la tête, et tes critiques ne font en rien avancer ce constat. » Terré dans son mutisme d’expatrié millionnaire, il demande l’addition. Je poursuis les coups, excitée, comme une boxeuse sur un ring, je veux en découdre « Tu es quand même salarié dans une grande entreprise française, rappelle moi ? ». « Mais nous ne sommes plus vraiment français, puisque nous faisons majoritairement notre CA à l’étranger ». Je réfute « mais votre siège social et la majeure partie de vos emplois, notamment vos ingénieurs, sont en France, non ? Quand tu « bashes » ainsi la France, c’est aussi ton entreprise, fleuron français, que tu décrédibilises. C’est un peu une balle dans notre pied à tous, que tu tires, non ? »

Je quitte le restaurant. Enervée. Mais triste surtout. Profondément triste. J’ai en tête tous ces mots, sur nos maux, si nombreux. Quelle incompréhension profonde, quel hiatus entre nous, français. J’ai mal à ma France en sortant. Et je me questionne : quel intérêt commun avons nous, Français domestiques comme expatriés, à dénigrer notre pays d’origine, si ce n’est une forme de « bien pensance politiquement correct » de privilégiés, consistant à critiquer fortement la France, pour se faire bien considérer à l’étranger ? Comment les français de l’étranger pourraient-ils devenir les premiers fossoyeurs de notre pays ? Quitter la France se comprend parfaitement. Abattre la France au quotidien, se vautrer dans ce french bashing, bien à la mode, c’est faire couler ensemble le navire. Tenir pour responsable ceux qui restent est injuste. Juger comme idiots ceux qui tentent encore de créer de la valeur en France est insultant. Tout le monde a droit à la critique acerbe d’un pays en mal d’inspiration depuis quelques années, les français domestiques comme les expatriés. Mais il faut savoir rester cohérent dans son argumentation. Quand on ambitionne de revenir en France pour y vivre ses « vieux jours », et profiter de ses acquis sociaux ou de cette douceur de vivre si française…alors on la respecte a minima, même quand on n’y vit pas.

Adresse aux Français partis, à ceux qui reviendront comme à ceux qui ne reviendront jamais, à ceux qui s’apprêtent à partir. Comme « on ne crache pas sur la main qui vous nourrit », on ne peut cracher sur la nation qui vous a protégée et  vous protégera. Que nos alliés originels et naturels que sont nos ressortissants, se complaisent, pour se faire valoir, dans une forme de critique tous azimuts de notre pays en difficulté, n’est pas honorable. Ce n’est pas faire preuve de courage. C’est contribuer à une forme de capitulation nationale. Plus que le Made in France qu’on promeut aujourd’hui, n’est-il pas encore plus urgent de mettre fin à cette « autodestruction d’image de la France » massive ? Rassemblons nous, depuis tous les pays du monde, pour enclencher ensemble, une dynamique porteuse pour notre développement économique national. C’est un peu le sens de la récente (et belle) initiative des français de Londres.

« Chaque époque historique affronte, à un moment ou à un autre, son seuil mélancolique. De même, chaque individu connaît cette phase d’épuisement et d’érosion de soi. (…) Comment convertir cette épreuve du découragement en reconquête de l’avenir ? Avec le courage, le paradoxe continue d’être la loi morale : plus on sera aux confins du découragement plus on sera près du courage (« La fin du courage » Cynthia Fleury.)" Nous sommes entrés, semble-t-il, dans notre « seuil mélancolique ». Nous y sommes : « aux confins du découragement ». La France est épuisée, la France est érodée, et nombreux sont ceux qui se laissent convaincre par un découragement jugé « tendance ». Mobilisons nous. Ensemble, « Français de là-bas » et « Français d’ici ». Et sachons éprouver notre résistance patriotique en défendons, avec un courage lucide, sans complaisance, les atouts que recèle notre pays. Nous gagnerons tous à résister à cette capitulation.

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