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Face à un sectarisme rétrograde, j'ai quitté les Frères musulmans
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Bonnes feuilles

À 37 ans, Mohamed Louizi dévoile son passé de "frère" actif parmi les Frères musulmans : dès l'âge de 13 ans, il a été au service de l'idéologie d'Hassan al-Banna, au Maroc, puis en France, au sein de l'Union des organisations islamiques de France (UOIF). Il raconte ses quinze ans de militantisme dogmatique, et revient sur les découvertes, les doutes et les interrogations qui ont précédé son désengagement ; il décrypte la stratégie d'islamisation globale non-déclarée des Frères musulmans en France et en Europe, avant de conclure sur son retour vers un islam éclairé et apolitique. Extrait de "Pourquoi j'ai quitté les Frères musulmans" aux éditions Michalon 1/2

Mohamed Louizi

Mohamed Louizi

Mohamed Louizi est un ancien membre du mouvement marocain Attawihid wal'Islah, du PJD et de l'UOIF, ex-président des Étudiants musulmans de France (Lille) Il est ingénieur. Il anime depuis 2007 le blog "Écrire sans censures !".

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Le vendredi 20 octobre, à 12 h 30, je me suis rendu à la mosquée pour préparer les deux salles qui allaient accueillir les fidèles de l’Église, comme cela était prévu au programme de cette semaine.

Avant l’installation des chaises et l’aménagement des salles, j’ai pris le microphone pour rappeler aux fidèles la présence, avec nous, de nos amis catholiques au moment du sermon et au moment de la prière. Je leur ai demandé de libérer la dernière rangée pour cette fin. Avant de finir ma petite intervention, j’ai vu l’imam me regarder avec un air sérieux, voire à la limite de l’explosion colé- rique. Tout de suite, je me suis rendu dans la salle du milieu pour en savoir plus. Ça a été la première et la dernière fois que l’imam m’a adressé la parole avec autant de brutalité et de violence verbale. C’était presque incroyable !

L’imam n’était pas d’accord avec l’idée d’installer des chaises à l’intérieur de la salle de prière pour permettre aux fidèles présents, des autres religions, de s’asseoir au fond de la salle. Pour lui, ce que je faisais était contraire aux préceptes de la religion musulmane. Selon ses dires, les savants musulmans interdisent aux non musulmans, dans notre cas aux catholiques, l’accès à la mosquée. L’imam a rajouté que des fidèles seraient choqués par cette présence indésirable et que je devais assumer seul la responsabilité de ce qui risquerait de se produire !

En réponse à cela, et en dépit de mon point de vue religieux et personnel, je lui ai dit qu’il ne s’agissait pas de mon initiative personnelle, mais d’un engagement associatif. J’ai ajouté qu’à ce moment-là, je ne faisais qu’exécuter un programme adopté par le CA de l’AAEC. En oubliant que je m’adressais à un imam, je lui ai rappelé sa fonction de salarié de l’association, et qu’à ce titre, il avait un contrat à remplir. S’il avait des choses à reprocher à ce programme, je lui ai proposé de se plaindre auprès de son patron, le président de l’AAEC. Pendant ces minutes, j’ai dû trouver les mots justes pour faire face à son sectarisme rétrograde, se voilant la face derrière des positions insoutenables de supposés savants musulmans. Il a compris, certainement, que nos points de vue étaient fondamentalement opposés, que nos lectures de l’islam n’avaient strictement rien en commun.

Dix minutes plus tard, il est monté sur son minbar à trois marches pour célébrer le sermon. On attendait de lui qu’il exprime sa joie et son enthousiasme, en présence d’une vingtaine de fidèles catholiques, des hommes assis en face de lui et des femmes écoutant son discours via des amplificateurs de son, installés dans la salle des femmes. L’imam a fait semblant de n’être au courant de rien.

Pire encore, le texte qu’il a prononcé sans âme reprenait les mêmes mots qu’une rhétorique comparative des différentes expressions de foi, en concluant que seule la religion musulmane était, selon lui, « la » voie authentique, et « la » foi authentique. Les autres expressions n’étaient, selon sa conclusion, que fausseté et égarement. Ses déclarations choquantes et indignes ne sont pas passées inaperçues. Lors de la réunion du bilan de ces journées, l’abbé nous a fait savoir que les propos de l’imam avaient profondément choqué les fidèles catholiques qui étaient venus partager ce moment de prière avec les musulmans de Villeneuve-d’Ascq ! Je peux citer d’autres exemples dévoilant le vrai visage d’une misérable posture à double face, mais cela suffit, me semble-t-il. Depuis, je ne sais pas si l’imam adopte toujours cette posture vis-à-vis des croyants chrétiens ou s’il a pu changer. Une chose est sûre, son sectarisme reste intact, sans aucun doute.

Le jour du bilan au sein du « Groupe d’Assise », nous avons conclu que notre mérite partagé, à nous tous, était d’avoir réussi la pose des fondements de ce premier pas, malgré des résistances, des réticences et des effets indésirables d’un contexte national et international peu encourageant. Le chemin de la rencontre dans la « Prière pour la paix » ne faisait que commencer de manière fidèle à l’esprit de Saint François d’Assise, de Jean-Paul II et de toutes les grandes âmes qui espèrent faire surgir la paix là où tout est fait pour entretenir les flammes idéologiques de la haine et de la division. Ceci passe par le fait d’oser aller vers l’autre sans rien attendre de lui en retour, et passe surtout par la transmission de cette vision aux enfants pour qu’ils l’intègrent comme ingrédient fondamental dans la construction de leur propre avenir.

Lorsque j’ai remarqué la suppression de ma tête sur la photo publiée par la mosquée de Villeneuve-d’Ascq, j’ai compris que les « frères » tentent de supprimer de la mémoire collective de la mosquée toutes ces valeurs que j’incarnais avec d’autres ex-frères. Avant de présenter ma démission, j’ai passé en revue mes 15 dernières années, toutes ces expériences, toutes ces initiatives, tous ces sacrifices, tous ces combats internes incessants, mais aussi tous ces visages, toutes ces attitudes et tous ces comportements de Frères musulmans prétendant vouloir réformer la Terre au nom du Ciel, en sachant qu’ils sont incapables de se défaire de leur propre débauche. J’en ai conclu que ma vie est trop courte pour qu’elle soit mise au service de l’islamisme, de l’incohérence, de la fausseté, de l’opportunisme, des manipulations, des mensonges, des vices et des intérêts personnels. Je ne pouvais plus continuer à fréquenter l’hypocrisie dans un nid de vipères. Ma séparation des Frères musulmans était définitive. Le même jour, j’ai démissionné de l’UOIF, de l’AAEC et de l’ACEV.

Après cette rupture, je me suis trouvé un autre refuge, un authentique havre de paix à l’ombre de mon crayon pour témoigner, simplement. Depuis cette date, depuis presque une décennie, la preuve est faite, me concernant, que le seul rempart contre l’oubli reste l’écriture. La seule protection contre le déni reste le témoignage. La seule arme contre l’asservissement et pour conquérir sa liberté reste la plume, car pour exister vraiment, y compris lorsque la vie bascule vers le néant matériel, l’écrit prolonge l’existence. Les vies s’envolent et se transforment, les écrits restent et transforment.

Écrire en témoignant de sa juste (ou injuste) condition. Témoigner en écrivant son espérance. Pour atteindre les cieux de la paix, il faudrait emprunter les chemins de la connaissance. J’essaye de cheminer à mon rythme. Peut-être, un jour atteindrai-je mon but, dans le silence de mon âme et à l’ombre de ma plume. Peut-être n’y arriverai-je pas. Ce qui compte, après tout, c’est le sens du courage et l’authenticité du témoignage. Un courage demeurant dans l’effort et non dans le résultat. Un témoignage dans la fidélité constante à mes valeurs et non dans l’attente opportuniste des vents favorables. C’est ainsi que j’ai compris le sens de la juste réforme à poursuivre, et c’est ainsi que je m’y suis engagé depuis maintenant presque une décennie à mes dépens, guidé par la sagesse du poète égyptien Ahmed Chawqi :

L’homme courageux n’abrège point sa vie en affrontant les dangers. Le lâche ne la conserve point en multipliant les précautions !

Je ne prétends pas être un homme courageux. Je suis juste moi-même, depuis que j’ai quitté les Frères musulmans.

Extrait de "Pourquoi j'ai quitté les Frères musulmans" de Mohamed Louizi publié aux éditions Michalon2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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