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Exit le pharmacien, désormais les patients se servent d'Internet pour juger leurs médicaments
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Ibuprofène or not ibuprofène

Permettre aux Français d'avoir des médicaments en accès libre, à l'image du modèle américain, est un débat qui se pose de plus en plus vivement. Sylvie Fainzang dans "L'automédication ou les mirages de l'autonomie'' tente d'en faire émerger les enjeux (Extrait 2/2).

Sylvie Fainzang

Sylvie Fainzang

Sylvie Fainzang est anthropologue et directeur de recherche à l'Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale). Elle a publié "La relation médecins-malades : information et mensonge" (Puf - 2006).

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La volonté de connaître les risques d’un médicament conduit le sujet à prendre diverses précautions telles que s’enquérir des éventuels méfaits d’un médicament auprès de son entourage (famille, amis, collègues, voisins), dont l’expérience malheureuse les incite à la prudence. Par exemple, Élodie hésite à prendre des anti-inflammatoires pour juguler ses douleurs lombaires car son mari éprouve de violentes douleurs à l’estomac quand il en consomme, et préfère recourir aux antalgiques. L’entourage peut d’ailleurs inclure les animaux, si l’on prend en compte le choix qu’a fait Philippe (42 ans, dessinateur industriel), pourtant peu enclin à pratiquer l’automédication, de prendre avec confiance un antivomitif parce qu’il a eu l’occasion de le donner à son chien, et qu’il se dit dès lors assuré de son absence d’effets nocifs.

En retour, l’expérience personnelle du sujet est transmise à son entourage à qui il prodigue conseils et recommandations. Les avis recueillis dans son réseau social (familial, amical, professionnel) se voient ainsi complétés, voire concurrencés par les avis recueillis sur Internet. On a vu plus haut qu’Internet jouait un rôle dans la constitution du savoir, parmi d’autres sources d’information. Mais le savoir acquis ne porte pas que sur l’existence de tel médicament pour telle indication. Que ce soit par l’entremise des sites médicaux ou des discussions s’engageant sur les forums qu’abrite la Toile, la consultation d’Internet apporte des éléments sur les précautions à prendre et les conditions à respecter pour garantir l’innocuité des médicaments.

C’est ainsi également dans la perspective de prendre connaissance des expériences des autres qu’un nombre croissant d’usagers naviguent sur les forums de discussion, sans nécessairement y participer eux-mêmes, dans l’espoir de trouver exposée une situation pathologique analogue à la leur et de pouvoir s’y identifier. L’objectif est de bénéficier de l’expérience des autres usagers, bien qu’anonymes, sur les effets d’un médicament et sur leur degré de satisfaction, ou, au contraire, sur les déboires éventuels occasionnés par leur consommation. Une internaute expose ainsi son mal et prend un avis sur un forum en posant la question suivante : « Est-il possible de prendre du Doliprane en même temps que du Zelitrex ? J’ai un herpès sur la lèvre qui me fait terriblement mal et une grosse migraine. Je suis désespérée, merci de me répondre. »

La recherche de mises en garde sur les forums tend parfois à remplacer le recours aux recommandations du pharmacien, soit par pudeur − l’espace de la pharmacie ne se prêtant pas à une parole intime sur son corps, l’usager éprouve des difficultés à lui poser oralement une question −, soit par commodité − le conseil est plus vite obtenu −, soit encore par souci de multiplier les avis. La perception du risque dépend non seulement de la perception que le sujet a d’un médicament, mais aussi de ce qu’est un médicament. Par exemple, certains sujets se disent hostiles à la consommation de psychotropes mais prennent pourtant, on l’a vu, des anxiolytiques pour régler leurs troubles du sommeil (qu’il s’agisse de difficultés à s’endormir ou de réveil nocturne).

La conscience du risque attaché à la prise de médicaments en automédication suppose de prendre acte du fait qu’un médicament comporte un risque dès lors qu’il a une action. Or certains usagers font sortir certains remèdes du champ des médicaments à risque, au motif qu’ils ne sont pas des produits de synthèse − il en va ainsi des produits de la phytothérapie, avec lesquels les sujets pratiquent volontiers une automédication sans crainte, malgré le caractère potentiellement nocif de leur usage, à l’instar des autres médicaments −, ou encore au motif que leur consommation n’a pas pour objectif de résoudre un problème de santé. C’est le cas des médicaments pris « pour maigrir », que plusieurs patientes estiment de pas être de « vrais médicaments » mais relever plutôt de la cosmétique. Ainsi, Mme M. (47 ans) dit ne jamais pratiquer d’automédication (« Je prends des trucs pour maigrir, mais ça, c’est pas des médicaments ») et ne fait pas la différence entre des compléments alimentaires à base de thé vert et des médicaments amaigrissants.

La définition du médicament se voit ici dépendre de l’objectif dans lequel il est consommé. Bien que ne connaissant pas toujours les risques spécifiques des médicaments, les sujets sont nombreux à en connaître les risques généraux, théoriques ou potentiels, et adoptent diverses stratégies visant à les réduire. Par-delà les différences sociales des individus − qui valent à Peretti-Watel (2001) de remarquer que leur perception du risque est liée à leur sentiment de vulnérabilité, lui même en lien avec leur niveau de ressources −, l’automédication s’accompagne ainsi presque toujours d’une gestion de ses risques, laquelle emprunte à des systèmes cognitifs variés.

Même les antibiotiques, dont la grande consommation en France est généralement imputée à l’engouement des patients pour ce type de médicaments, font l’objet de craintes chez les sujets, sans que ceux-ci sachent toujours exactement ce qu’il faut craindre. On le voit avec le cas de la campagne relative aux antibiotiques évoquée plus haut, puisque, bien qu’ignorant la nature du risque que comporte leur abus, certaines personnes développent néanmoins des stratégies destinées à l’endiguer, en réduisant le nombre de jours de prise du médicament, qu’ils soient prescrits ou pris en automédication.

C’est précisément en lien avec le souci de ne pas consommer trop d’antibiotiques qu’elles croient raisonnable de réduire la durée du traitement. Cette stratégie est, pour elles, une réponse à la consigne de ne pas abuser de ce type de médicaments, diffusée par les autorités de santé. Il y a donc méconnaissance du type de risque qu’elles prennent en accroissant ainsi la résistance du germe au médicament, mais non pas inconscience des risques que cette consommation excessive comporte.

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Extrait de L'automédication ou les mirages de l'autonomiePUF (13 juin 2012)

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