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Exécutions et arrestations en série à Mossoul : quand l’Etat Islamique agit comme si la fin était proche
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Parano

Confronté à des actes de rébellion et à la perspective de perdre le contrôle de la ville de Mossoul, l'Etat islamique multiplie les arrestations et exécutions arbitraires. Le signe que l'organisation terroriste est désespérée et affaiblie.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Au cours des derniers mois, la perspective de perdre la ville de Mossoul aurait poussé l'Etat islamique à y augmenter le nombre d'exécutions et d'arrestations. L'organisation serait par ailleurs confrontée à des manifestations de rébellion et à la volonté de certains de déserter ses rangs. Quelle est l'ampleur de la contestation de l'Etat islamique à Mossoul ? Quel est l'état psychologique de l'organisation ?

Alain Rodier : Il est totalement vrai que le Groupe Etat Islamique (GEI, Daech) a augmenté le nombre de ses "exécutions" médiatisées d’"espions" à la solde des impies. Comble de l’horreur, des enfants sont mis en scène alors que cela va à l’encontre même des textes sacrés de l’islam que Daech prétend respecter scrupuleusement. Cela relève d’une paranoïa exacerbée qui me fait penser à la fin du nazisme : les "déserteurs et défaitistes" étaient alors pendus haut et court sans jugement par les derniers fanatiques du régime, alors même que leur Führer tout puissant était tapis comme un rat au fond de son bunker berlinois. Toutefois, prenons garde aux comparaisons exagérées, la fin du IIIème Reich était une apocalypse qui dépassait considérablement en destructions et en nombre de victimes (que l’on comptait en millions) ce qui se passe aujourd’hui. Mais assassiner (le mot "exécuter" a une connotation légaliste qui ne sied pas à ce mouvement terroriste) comme le fait actuellement Daech n’est pas un signe de force mais de faiblesse. Bien qu’il veuille nous montrer qu’il ne plie pas et qu’il prépare une génération de futurs combattants qui seront encore plus fanatisés que les activistes actuels, ce ressemble à une attitude désespérée. C’est à se demander si les activistes croient encore en la "cause" salafiste-djihadiste qu’ils défendent et surtout, s’ils pensent pouvoir un jour vaincre comme leurs faciles succès de 2014-2015 l’ont laissé craindre.

Quant à la contestation au sein de la population civile et même au sein de ses propres combattants, elle reste encore à démontrer. Elle est possible mais, comme Saint Thomas, je n’en serai convaincu que lorsque des preuves tangibles seront avancées. Il ne faut pas oublier qu’en 2014, la population de Mossoul avait plutôt accueilli Daech comme un mouvement libérateur. Je sais que l’Histoire a démontré que les opinions pouvaient basculer rapidement. Exemple cruel pour notre mémoire collective : le 26 avril 1944, le maréchal Pétain qui effectuait une visite surprise à Paris était accueilli par une foule en liesse. Le 25 août de la même année et au même endroit, le général de Gaulle était salué par la population hurlant son bonheur d’être libérée. Etait-ce la même foule ? Vraisemblablement. Je ne jette pas la pierre : lors d’un conflit, les populations civiles ont le souci légitime de survivre et penchent vers les responsables qui peuvent les protéger.

Quelles sont les causes de la rébellion ? D'où viennent les difficultés de l'organisation à contrôler ses militants et les habitants de Mossoul sous son administration ?

Si rébellion il y a (ce qui reste à prouver au moment où sont écrites ces lignes), elle provient vraisemblablement du fait que Daech n’a pas tenu ses promesses quant à la gestion des affaires courantes et au fait que son côté "stalinien" doit finir pas lasser. Mais surtout, le peuple de Mossoul doit sentir que la situation est en train de changer, et pas forcément à l’avantage de Daech. Comme je l’ai dit précédemment, il ne faut pas la juger car elle tente d’abord de survivre. Si la ville est conquise, les collaborateurs seront impitoyablement pourchassés. Il est donc prudent pour ces derniers de retourner leur veste ou, ; au moins, de se faire plus discrets.

Daech manque d’effectifs combattants lui permettant de tenir les régions qu’il contrôle encore, même si elles ont diminué en taille. Selon les Américains, Daech a perdu 50% du terrain conquis en Irak et 20% en Syrie (évaluation un petit peu optimiste à mon sens). Il lui est donc difficile de contrôler étroitement ces zones, à particulier les villes importantes.

Alors que sa manne financière s'épuise, l'Etat islamique se serait lancé dans le trafic d'organes des membres de son organisation morts au combat. A quel point l'EI est-il affaibli ? 

Je sais que tout est possible dans le domaine de l’horreur et que Daech s’en est fait une spécialité. Mais, pour reprendre encore l’Histoire, méfions nous des rumeurs. En 1914, les "Boches coupaient les mains des enfants". Pour monter un trafic d’organes, il convient d’avoir une chaîne de transmissions extrêmement rapide et performante où alors faire venir les receveurs là où sont prélevés les organes. Je crois ne crois pas que cela soit possible techniquement pour Daech.

Quelle est la probabilité que l'Etat islamique perde le contrôle de la ville de Mossoul ? Alors que le Premier ministre irakien a promis que la ville serait reprise avant la fin de l'année, si l'offensive est effectivement menée, l'organisation se battra-t-elle ?

C’est la bonne question. Jusqu’à maintenant, Daech s’est montré très mobile et manoeuvrant. Son objectif est de préserver la vie de ses combattants aguerris qui ne sont pas si nombreux que cela pour tenir leur proto-Etat. Par exemple, ils n’ont pas opposé de défense farouche aux offensives lancées sur les villes reconquises en Irak ou en Syrie. Des snipers et des engins piégés étaient laissés en arrière pour retarder la progression de l’adversaire. Le gros des troupes et les familles les accompagnant se repliaient généralement sans être inquiétés par l’aviation ennemi si l’on excepte à Fallouja en juin 2016.

Que va-t’il être décidé par le commandement de Daech pour Mossoul ? C’est là tout le mystère. Les grandes manœuvres lancées par l’armée irakienne, ses milices chiites, les peshmergas kurdes, le tout soutenu par la coalition internationale sont certainement destinées à montrer à Daech qu’il ferait mieux d’évacuer la ville sans combattre. La ville de Shirqat située à une centaine de kilomètres au sud de Mossoul vient de tomber presque sans combats. L’aéroport de Qarrayah situé entre cette ville et Mossoul est aux mains des forces gouvernementales. Les Américains s’y sont installés et appellent cette base "Q-West". A noter que la France y a déployé ses canons d’artillerie (alors que le président Hollande avait annoncé devant l’Assemblée Générale de l’ONU -sublime stratégie pour tromper l’adversaire- que les canons français étaient positionnés au nord de Mossoul).

Propagande pour propagande, le GEI affirme avoir enterré ses positions, préparé des réserves en vivres et munitions qui lui permettront de tenir durant des années. Là où tout le monde serait bien embêté, c’est si la bataille devait vraiment avoir lieu. La comparaison peut être faîte avec Beyrouth des années noires. Cela a duré quinze ans (1975-1990) !

Dans quelle mesure la perte de Mossoul constituerait-elle un tournant ? Un Etat islamique contraint à la clandestinité pourrait-il s'avérer encore plus dangereux ?

Ce serait un tournant psychologique très important. Surtout, cela permettrait au gouvernement irakien d’exister. Mais ce ne serait que le début d’une guerre de reconquête qui va s’étaler dans le temps et au prix de multiples souffrances. De plus, il faudra gérer l’"après" : la reconstruction la ville et des services, la mise en place d’une administration et la gestion des populations. Des estimations laissent penser qu’il pourrait avoir une vague d’un million de réfugiés. Des camps sont en cours de montage pour pouvoir les accueillir.

Daech a déjà anticipé une défaite militaire, particulièrement en Irak. Il revient à une guerre de guérilla(1), de harcèlement et n’engage plus de matériels lourds (ce qui n’est pas encore le cas en Syrie). C’est la technique dite de la "bille de mercure" qui éclate sur le sol et se repend en une multitude de gouttelettes. Ces dernières sont toujours un poison nocif. De plus, elles peuvent parfois se réunir pour mener une opération d’envergure.

Pour terminer sur une note d’optimisme : Daech s’use peu à peu dans cette bataille. Ainsi, son "ministre de la défense", Omar al Chichani a été tué par un bombardement à Shirqat à la mi-juillet. Bien sûr, il a été remplacé mais la relève n’a peut-être pas la même qualité opérationnelle. Mais, méfions nous des "répliques", particulièrement dans le domaine du terrorisme en Irak -et ailleurs-.

1. Dans la guerre asymétrique, il y a trois niveaux en fonction de la puissance du mouvement rebelle : terrorisme – guérilla – guerre classique. Daech avait atteint le troisième niveau (sans abandonner les deux précédents). Il va redescendre au deuxième.

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