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Exclusions tragi-comiques chez LR : mais pourquoi la droite est-elle aussi paumée ?
©LIONEL BONAVENTURE / AFP

Accouchement dans la douleur

La limite entre les Républicains et la République en Marche est très difficile à situer sur un plan sémantique. Les deux partis se veulent républicains, mais les deux acceptions employées sont différentes dans leur significations.

Jean-Philippe Vincent

Jean-Philippe Vincent

Jean-Philippe Vincent, ancien élève de l’ENA, est professeur d’économie à Sciences-Po Paris. Il est l’auteur de Qu’est-ce que le conservatisme (Les Belles Lettres, 2016).

 

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Atlantico : Si aujourd'hui au sein des Républicains, certains semblent avoir vraiment choisi de rester au sein du parti de droite plutôt que de suivre une frange des adhérents et politiques partis à LREM, on sent une grande difficulté à justifier ce choix -presque instinctif - qui les pousse à se distinguer d'Emmanuel Macron. Ainsi LREM et LR sont pro-Europe, libéraux, etc.... Pourquoi la droite n'arrive-t-elle pas à tracer cette frontière entre LREM et LR pour justifier son existence ?

Jean-Philippe Vincent : La difficulté de beaucoup des Républicains à justifier leur opposition à Emmanuel Macron vient de ce que la droite a le même langage, le même vocabulaire, la même sémantique que les progressistes. Lorsque que l’on parle le même langage, lorsque l’on adopte le langage politique de de son adversaire, il est pratiquement impossible de s’opposer à lui, de le contrer efficacement. La droite a perdu la bataille du langage. C’est très sérieux. Quel est l’homme politique de droite qui ne cite pas à tout propos des concepts et expressions comme : « justice sociale », « lutte contre les inégalités », « éducation et école républicaines », « valeurs de la République », etc. ? Or ces concepts ne sont pas neutres, ils sont au contraire profondément orientés à gauche. Un homme de droite pourrait parler de : « justice », « d’équité », « d’instruction républicaine » et de « libertés publiques ». Nous serions là sur un terrain permettant d’affirmer nos concepts et notre sémantique. Mais la droite ne le fait pas, par paresse et par lâcheté. Je rappelle un fait historique, datant des années 1930. Le principal parti de droite de l’époque, celui de Paul Reynaud et de Pierre-Etienne Flandin, s’appelait l’Alliance Démocratique. Très bien ! Mais en y regardant de plus près, je me suis aperçu que le nom complet de ce parti était : Alliance Démocratique des Républicains de Gauche. Quand la gauche s’invite dans le nom d’un parti de droite, il y a un problème ! Ce problème est généralisé aujourd’hui : tout le langage politique, toute la sémantique sont connotés à gauche, et parfois à l’ultra-gauche. Pour résister, la droite doit faire une révolution sémantique. Et commencer par s’appeler, dans complexe, conservatrice et libérale. C’est la clé de tout, et notamment d’une opposition intelligente et efficace à En Marche et à Emmanuel Macron.

La droite est-elle vouée à s'affirmer comme un RPR qui ne pourrait plus s'allier avec l'UDF ? Dans son histoire, quel est le point de rupture qui fonde cette perte d'identité ?

Le succès de la droite repose sur la capacité à réunir et à réconcilier les conservateurs et les libéraux. Il n’y a pas de salut en dehors de cette réconciliation. Je ne suis pas très inquiet pour le pôle conservateur. Au sommet de son discrédit et de son impopularité, François Fillon a réussi à réunir 20% des votants sur son nom au premier tour des présidentielles. Ces 20%, qu’on n’en doute pas une seconde, étaient des conservateurs et il leur a fallu de la conviction et du courage pour voter Fillon. Mais ils existent, et 20%, ça n’est pas rien ; c’est même une base très solide. C’est le pôle libéral qui est très « faiblard » : séduction du macronisme, impopularité des grands thèmes libéraux (Europe, libéralisme économique, incapacité à se prononcer sur l’immigration, etc.). Le pôle conservateur doit donc faire comprendre aux libéraux qu’ils sont les bienvenus dans la « famille » et leur tendre des perches. Ca ne sera peut-être pas facile, mais c’est indispensable, car la droite ne gagnera pas sans les libéraux et aussi certains centristes. Le seul homme politique qui ait su gérer la famille conservatrice et libérale de façon intelligente a été Georges Pompidou. Il était servi par son habileté politique, son autorité naturelle et aussi l’archaïsme de la gauche. Tout s’est délité ensuite. Le coup de grâce fut donné par jacques Chirac en mai 1981 : préférer voter Mitterrand que Giscard, c’était signer l’arrêt de mort de la droite. La droite continue, 35 ans après, de payer les conséquences de cette logique suicidaire. Pour en sortir, il faut une révolution du langage et aussi que conservateurs et libéraux réapprennent à partager des éléments-clé de la culture de droite : autorité, liberté, bien commun, etc.

Le clivage gauche-droite est mis à mal par un autre clivage, celui de l'ouvert contre le fermé qui a permis à Emmanuel Macron de se distinguer en choisissant son propre paradigme. Quelle peut-être la stratégie de la droite face à cette nouvelle opposition ? Choisir de l'intégrer ou défendre l'actualité de l'opposition gauche-droite malgré tout ?

Emmanuel Macron donne une version dénaturée d’un grand concept dû au penseur immense que fut Karl Popper, avec notamment son livre : La Société Ouverte et ses Ennemis (1945). Un société ouverte, au sens de Popper, c’est une société décentralisée où l’on s’entend sur des règles de fonctionnement, sur des procédures, mais où on admet que le résultat ne peut pas être garanti à l’avance, que ce soit sur le plan économique, politique et social. Une société fermée, à l’inverse, est une forme d’organisation tribale où l’on attend du « grand chef » qu’il décide de ce qui doit revenir à chacun. Quel est le type de société (ouverte ou fermée) qu’a en tête Emmanuel Macron ? Avec un surnom aussi ridicule que Jupiter, on a l’indice qu’il préconise en fait le fonctionnement d’une société fermée et nullement ouverte. Sur le plan politique, on voit un troupeau de moutons de Panurge qui s’en remettent servilement à la décision du chef. Ca, c’est la société fermée, pas ouverte ! Naturellement cette société fermée nouvelle version se colore d’apparences trompeuses en utilisant la haine et l’ambition de politiciens au rencart et en adoptant un langage et une communication « innovants ». Il faut dénoncer cette imposture. La droite doit s’efforcer de penser les avantages d’une société ouverte avec ceux, car ils existent, d’une société fermée. Une société fermée, notamment, a une grande capacité à créer de la confiance. La droite gagnera la bataille si elle parvient à concilier le marché et la confiance, la liberté des modernes et le meilleur de la liberté des anciens. Vaste programme, mais vu l’état de la droite, que risque-t-elle à se fixer des objectifs franchement ambitieux ?

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