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Quelle est la part des petits producteurs dans la production des biens que nous consommons vraiment ?
Quelle est la part des petits producteurs dans la production des biens que nous consommons vraiment ?
©JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP

Grande distribution

Une proposition de loi portée par un député Renaissance a enflammé la grande distribution qui considère que la question des petits producteurs masque la très grande concentration de l’industrie agroalimentaire.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Une proposition de loi portée par un député Renaissance a enflammé la grande distribution. Que contient concrètement cette proposition ?

Michel Ruimy : Chaque année, ont lieu des négociations commerciales (tendues) entre les industriels de l’agroalimentaire et les enseignes de la grande distribution pour définir le « juste » prix des produits, le montant des commandes et des ristournes éventuelles.

Dans cet environnement, la proposition de loi visant à « sécuriser l’approvisionnement des Français en produits de grande consommation », adoptée le 18 janvier, vise à corriger le déséquilibre existant dans ces arrangements en donnant plus de poids aux acteurs de l’agroalimentaire pour empêcher les dérives importantes, constatées ces dernières années, émanant de la grande distribution.

La nouveauté introduite par ce texte consiste à statuer qu’en cas d’échec des tractations annuelles, le tarif demandé par les fournisseurs prévaut et non plus les prix de l’année précédente, tel que le prévoyait jusqu’à présent la législation.

De surcroît, outre l’application du droit français aux centrales d’achats, basées hors de France par les distributeurs (Il s’agit de lutter contre « l’évasion juridique »), ce texte prolonge, jusqu’en 2026, deux mesures de loi Égalim au profit des agriculteurs, qui expirent le 15 avril prochain : l’encadrement des promotions et le seuil de revente à perte à 10% des produits alimentaires.

A quel point la grande distribution est-elle impitoyable dans ces négociations ?

Dans un contexte de vive concurrence, les enseignes de distribution cherchent à se différencier en pratiquant les prix les plus bas possible. Pour ce faire, elles se doivent d’obtenir les prix les plus bas auprès de leurs fournisseurs. Cette guerre des prix entraîne des baisses de tarifs qui ne sont pas toujours en lien avec les cours des matières premières alimentaires, en général, et les charges, souvent volatiles, supportées par les producteurs. Ces négociations constituent l’élément déterminant des tarifs alimentaires. Or, aujourd’hui, avec la renaissance de l’inflation, les positions respectives des grandes marques alimentaires et des enseignes de distribution sont devenues encore plus radicales.

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Dans ce contexte, les distributeurs considèrent la proposition de loi comme un « scandale », jugeant les grandes multinationales alimentaires sont derrière ce texte, qu’ils estiment inflationniste. En effet, selon eux, la modification de la législation sera à la source d’une très forte hausse des prix - à deux chiffres - dont les conséquences impacteraient grandement le pouvoir d’achat des consommateurs français.

Agitant un « chiffon rouge », ils évoquent également le risque de ruptures d’approvisionnement de produits dans les rayons de leurs magasins dans la mesure où devant leur refus d’accepter des nouveaux tarifs, les fournisseurs pourraient cesser les livraisons au motif que la France ne représente environ 1 à 2% de leur bilan. En pratique, de telles situations seraient rares car toutes les parties prenantes seraient perdantes, en particulier les industriels pour qui un déréférencement est toujours difficile à gérer et qui doivent faire face à l’érosion continue de leurs marges en raison des tensions tarifaires avec les distributeurs.

Sans possibilité de préserver un minimum de marges dans le cadre des négociations avec la grande distribution, tout l’équilibre économique de toute la chaîne de production alimentaire risque d’être mis à mal.

Pour autant, du côté de la production, la question des petits producteurs ne masque-t-elle pas la très grande concentration de l’industrie agroalimentaire ? L’amalgame n’est-il pas trop souvent fait ? Quelle est la part des petits producteurs dans la production des biens que nous consommons vraiment ?

Le commerce accompagne depuis toujours les changements de la société. Les commerçants s’installent et prospèrent là où la population a besoin d’eux, pour vendre ce que les ménages demandent. Les mutations du commerce en France depuis 50 ans ont été ainsi la réponse à des changements spectaculaires de la société. Aujourd’hui, plus de la moitié de la population française est urbaine ou périurbaine.

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Face à cette situation, un mouvement de concentration a touché les grands distributeurs alimentaires qui ont vu leur nombre divisé par 5 en 20 ans. Ils demeurent malgré tout moins concentrés que leurs partenaires de la grande industrie. De l’autre côté, le secteur agroalimentaire est très divers : il comprend 16 000 entreprises dont 98% de TPE-PME (Près de 80% sont des microentreprises - moins de 10 salariés -) et près de 300 entreprises (ETI et grandes entreprises) qui réalisent environ 85% du chiffre d’affaires.

Aujourd’hui, les produits vendus sous marque de distributeur (MDD) ont connu une forte évolution depuis les années 1980. Ils sont désormais présents dans la quasi-totalité des rayons de grande surface (Leur part de marché avoisine les 30%). et les petites et moyennes entreprises sont particulièrement concernées par la production de ces marchandises.

L’industrie agroalimentaire est donc située « entre le marteau et l’enclume » en ne pouvant plus négocier les prix avec les agriculteurs, du fait de l’application des deux lois Égalim, alors qu’elle est toujours soumise au même pouvoir de négociation de l’acheteur.

Éviter l’asphyxie des petits producteurs sans faire flamber l’inflation et en évitant de déséquilibrer le rapport de force est-il possible, si oui, comment ?

Il conviendrait aujourd’hui de trouver un équilibre dans les relations commerciales entre industriels de l’agroalimentaire et les enseignes de la grande distribution, tenant compte des intérêts de chacune des parties c’est-à-dire notamment de leurs marges respectives dans un horizon de moyen terme et non de court terme. Au lieu d’une situation de confrontation / imposition radicale de points de vue, il serait bien que les parties fassent un « pas vers l’autre » du fait du contexte inflationniste, en se partageant les effets de l’inflation… au risque d’accentuer les inégalités sociales alimentaires et de santé.

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