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Évasion fiscale et inégalités : petits éléments venus des Pays-Bas
©Flickr / Images_of_Money

Alors que le géant de l’énergie annonce des bénéfices record et le possible retour d’une ristourne sur les prix du carburant, l’Etat a vu ses caisses se remplir plus que prévu en 2022.

Simon Rabaté

Simon Rabaté

Chercheur à l'Ined (Paris) et au Centraal Planbureau (CPB, La Haye)

 

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Pour votre étude, vous avez utilisé des ensembles de données couvrant plus de 29 000 fraudeurs fiscaux aux Pays-Bas. D'où proviennent ces données ?

Nous avons utilisé plusieurs sources de données fournissant des informations sur les fraudeurs fiscaux. Nous avons eu accès à ces jeux de données par le biais de l'administration néerlandaise. Voici les différentes sources que nous avons utilisées : 

-Données d'amnistie : participants au programme d'amnistie néerlandais entre 2002 et 2018. Les participants ont bénéficié d'une amende réduite (voire nulle) pour leur évasion fiscale passée s'ils la déclarent à l'administration fiscale.

-Demande d'informations suisses : l'administration fiscale néerlandaise a demandé des informations sur les ménages ayant une résidence néerlandaise à quatre banques suisses (UBS, Credit Suisse, Julius Bär et BNP Paribas).

-Banques étrangères : l'administration fiscale a reçu de plusieurs administrations fiscales étrangères des informations sur les citoyens néerlandais ayant des comptes bancaires en Belgique, au Luxembourg, en Autriche et en Suisse, couvrant les années 2003-2015.

-Cartes de débit-crédit : " L'administration fiscale a reçu des données sur toutes les transactions effectuées avec des cartes de paiement étrangères aux Pays-Bas entre 2009 et 2011. Ces transactions ont été utilisées pour identifier les citoyens néerlandais qui utilisent des cartes de paiement étrangères pour consommer leur fortune cachée à l'étranger

-HSBC : en septembre 2010, l'administration fiscale a lancé le "Projet Paris" après avoir reçu la "liste Lagarde". Cette liste contient des informations sur les titulaires de comptes auprès de la succursale genevoise de HSBC. Notre échantillon ne comprend que les titulaires de comptes directs.

D'après l'observation des données, qui sont les fraudeurs fiscaux aux Pays-Bas ? Y-a-t-il des surprises dans la répartition ?

Nous constatons que l'évasion fiscale est concentrée au sommet de la distribution des richesses, mais dans une moindre mesure que ce qui avait été précédemment constaté dans la littérature. Les 0,01 % les plus riches, que nous appelons les " super riches ", possèdent 7 % de la richesse déclarée dans le cadre de l'amnistie néerlandaise, contre environ 50 % dans Alstadsæter et al. (2019) et Londoño-Vélez et Ávila-Mahecha (2021b). Aux Pays-Bas, les 0,01 % du haut de l'échelle éludent environ 8 % de leur obligation fiscale réelle, soit moins que les 25 % constatés en Scandinavie (Alstadsæter et al., 2019). Au contraire, nous constatons une évasion substantielle parmi les "simplement riches" (P90-P99,9), qui possèdent environ 67 % de la richesse amnistiée.

Quelles sont vos hypothèses pour cette répartition de l'évasion fiscale ?

Nous explorons les mécanismes potentiels expliquant la répartition particulière de l'évasion fiscale aux Pays-Bas. Nous nous gardons bien de faire des affirmations causales et nous ne prenons pas position sur l'importance relative de ces mécanismes étant donné la nature descriptive de cette partie de l'analyse. Nous montrons tout d'abord qu'une part importante de l'évasion fiscale des "simples riches" peut être attribuée aux possibilités d'évasion transfrontalière en Allemagne et en Belgique. Nous explorons ensuite trois explications pour la part relativement faible de la richesse offshore détenue par les "super riches" : (i) les ménages les plus riches peuvent s'engager dans une forme plus sophistiquée d'évasion fiscale qui échappe à la fois à l'amnistie et aux autres efforts de l'administration fiscale, (ii) l'incitation à l'évasion pourrait être faible en raison d'un taux d'imposition effectif bas au sommet de la distribution des richesses aux Pays-Bas, (iii) les ménages riches qui détestent particulièrement payer des impôts peuvent avoir migré vers des pays à faible fiscalité dans le passé. 

Nous ne pouvons pas décomposer correctement l'importance relative de ces différents canaux, mais nous montrons qu'ils jouent tous un rôle dans l'explication du modèle d'évasion que nous observons.

Vous écrivez que, prises ensemble, ces explications suggèrent que la répartition de l'évasion fiscale dépend fortement du contexte géographique et institutionnel d'un pays ? Comment cela se passe-t-il ?

 Les différents canaux mentionnés ci-dessus sont liés aux caractéristiques des pays en termes (i) de situation géographique (les pays environnants sont des options plus faciles pour l'évasion ou la migration et (ii) de contexte institutionnel, puisque le système fiscal néerlandais (ainsi que celui des pays voisins) est susceptible d'avoir un impact sur le comportement d'évasion.

Quelles sont les implications politiques de votre découverte ?

 Les implications politiques sont mitigées. D'une part, nous montrons que le contexte institutionnel, en particulier le système fiscal, a un impact sur l'évasion fiscale. Cela suggère que des systèmes fiscaux plus alignés et plus coordonnés en Europe pourraient contribuer à réduire l'évasion. D'autre part, nos résultats suggèrent que les actions de mise en conformité actuelles, qui sont finalement la source de nos données, laissent les ménages les plus riches des Pays-Bas relativement peu affectés. Ce qui pourrait suggérer que des actions supplémentaires et plus fortes seront nécessaires pour limiter l'évasion au sommet de la distribution des richesses.

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