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"Si les Anglais sortent de l'UE, l’Europe sera vouée à sombrer dans les poubelles de l’Histoire"
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Crisis

Les conservateurs eurosceptiques anglais n'ont pas hésité récemment à surfer sur la crise de la zone euro pour exiger une sortie pure et simple de leur pays de l’Union Européenne. Une éventualité peu probable mais qui illustre la crise que travers actuellement le continent.

Philippe  Moreau Defarges Bruno Bernard

Philippe Moreau Defarges Bruno Bernard

Philippe Moreau Defarges est chercheur à l'Institut français des relations internationales (IFRI) et professeur à l'Institut d'études politiques de Paris.

Spécialiste des questions internationales et de géopolitique, il est l'auteur de très nombreux livres dont Introduction à la géopolitique (Points, 2009) ou 25 Questions décisives : la guerre et la paix (Armand Colin, 2009).

Bruno Bernard est ancien conseiller politique à l'Ambassade de Grande-Bretagne à Paris, et consultant politique indépendant.

 

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Atlantico : Certains conservateurs eurosceptiques anglais parlent d'une sortie pure et simple de leur pays de l'Union européenne, du fait de la crise que connait actuellement le continent. Une telle menace peut-elle devenir réalité ?

Philippe Moreau Defarges : L’euroscepticisme britannique n’est pas un phénomène nouveau. Margaret Thatcher nous a habitué à pareil comportement, même si elle mettait pas mal d’eau dans son vin lorsqu’elle était Premier ministre. Il y a donc un courant eurosceptique extrêmement fort et le parti conservateur britannique en fait majoritairement partie. Pour eux, l’idée à défendre est que les Britanniques peuvent s’en sortir seuls, et que le véritable lien se fait avec les Etats-Unis.

Il est vrai que la crise actuelle de l’UE, plus les difficultés financières des Britanniques, sont des épiphénomènes qui ne peuvent que stimuler ce courant eurosceptique. Libre à eux de croire qu’ils s’en sortiraient mieux en-dehors de l’UE, qu’ils ne seraient pas pénalisés ni encombrés par les Etats du vieux continent, qui sont socialistes, interventionnistes et dirigistes, alors qu’outre-manche on est libéral et ouvert sur le monde.


Les traités de l’UE permettent-ils cette sortie ?

Les traités de l’UE n’ont longtemps rien dit en la matière. Les pays entraient dans les communautés européennes pour toujours. Il y avait une porte d’entrée, mais pas de porte de sortie. Mais avec le traité de Lisbonne, il y a une évolution profonde, puisqu’une clause autorise un ou des Etats à se retirer de l’UE.

Pourquoi une telle clause ? L’UE peut se résumer à une construction démocratique, et si demain l’un des peuples européens faisait savoir qu’il n’a plus envie d’appartenir à l’UE, comment le lui refuser ? Donc, en termes juridiques et politiques, si les Britanniques veulent quitter l’UE, ils le peuvent.

Dans quel contexte, et selon quel arbitrage politique cette sortie pourrait-elle se concrétiser ?

Cette sortie n’a pratiquement aucune chance d’intervenir, d’après deux facteurs que ne peuvent oublier les responsables gouvernementaux.

Le premier facteur : les Britanniques sont collés à l’Europe, ils sont européens et ne peuvent se rattacher à un autre continent. Aucun dirigeant politique ne peut ignorer la géographie.

Le deuxième facteur : ce sont les multiples liens financiers et économiques qu’ils ont tissés avec l’UE. La prospérité des Britanniques est liée à l’UE. Aujourd’hui, le Royaume-Uni ne fait plus ses échanges avec le « grand large » (Australie, Afrique du Sud, etc.), mais avec l’UE. Comment quitter un ensemble auquel on est tellement rattaché ?

Pourtant la construction européenne montre des Britanniques, et notamment des Anglais, très atlantistes ?

Il n’y a pas d’incompatibilité entre Atlantiste et Européen. De nombreux Etats de l’UE sont d’ailleurs atlantistes. La France elle-même est membre de l’Alliance atlantique. Rien n’interdit d’être à la fois atlantiste et européen. La différence des Britanniques réside davantage dans une conception très particulière de la construction européenne.

Le départ des Britanniques est un thème récurrent depuis leur entrée en 1973. Mais que feraient-ils seuls ? Ils ne peuvent pas être rattachés aux Etats-Unis, et se retrouver coincés entre les Américains et les Européens. Ce serait là un choix très hasardeux, qu’ils paieraient très clairement. Aucun Premier ministre britannique ne pourra soutenir un retrait de l’UE. Quelques soient ses convictions.

Quelles seraient les conséquences économiques, financières et commerciales pour les Britanniques d'une sortie de l’UE ?

Les conséquences seraient désastreuses. Ils veulent aujourd’hui défendre les privilèges de la City, puisqu’ils redoutent les réglementations européennes. Si demain, ils quittent l’UE, il est clair que les pays européens seront encore plus durs à l’égard de la City qu’ils ne le sont aujourd’hui.

La Grande Bretagne n’est pas homogène, elle est faite de plusieurs pays qui ne souhaitent pas sortir de l’Union Européenne, qui invoquent leur appartenance à l’UE pour se dégager de leur appartenance au Royaume-Uni. Je pense en particulier aux indépendantistes écossais qui veulent quitter le Royaume-Uni.

Si certains Britanniques - comme les anglais - veulent quitter l’UE, ils seront morcelés. Il sera donc difficile pour les conservateurs eurosceptiques d’imposer un discours qui est finalement irrecevable. Enfin, les Britanniques vendent beaucoup de produits manufacturés à l’UE, du thé, des automobiles, etc. Les conséquences commerciales et économiques seraient donc un coup terrible pour l’outre manche, notamment sur le plan des taxations commerciales.

Et pour l’Europe ?

Ce serait un coup terrible pour l’UE, le signe d’une décomposition, d’un morcellement qui irait à l’encontre de la construction européenne. Si jamais le départ des Britanniques, et même des Anglais se produit, l’Europe est finie, elle sera vouée à sombrer dans les poubelles de l’Histoire. Le reste du monde - et notamment les pays émergents - méprisera l’Europe, en avançant un argument simple : les Européens n’ont cessé de se faire la guerre depuis des années, ils ont fait le choix de vivre ensemble, et désormais cassent cela, quelle bande d’imbéciles !

La Grande Bretagne fait plus de la moitié de ses échanges avec l’UE. La City de Londres est la place qu’utilisent les entreprises européennes pour leurs opérations de fusion acquisition. Les retombées pour l’Europe seraient donc lourdes à porter.

Peut-on imaginer un effet de contagion aux autres pays européens, aux nouveaux entrants en particulier ?

Certainement, notamment du côté des pays eurosceptiques. Tout est possible. Il est dans tous les cas une certitude, l’Europe serait finie.

Et les conséquences pour la monnaie unique ?

Il est clair que le départ des Britanniques de l’UE, et même plus simplement de l’Angleterre, serait une mauvaise nouvelle pour l’Euro. Malgré tout, les gouvernants britanniques, et notamment M. Cameron, savent très bien que de la santé de l’euro dépend également la santé financière et économique britannique : la City de Londres en tire un profit immense.

De plus, cela montrerait qu’un pays avec une grande place financière européenne ne fait pas confiance à l’Euro. Ce serait donc un mauvais signal en direction des marchés, qui affaiblirait encore plus la monnaie unique.

L’euroscepticisme rampant et grimpant des partis extrémistes prend de l’ampleur dans différents pays européens. Il constitue d’ailleurs en France l'un des piliers des thèses du Front National. Est-ce la crise actuelle qui attise ces montée d’euroscepticisme ?

C’est un phénomène d’actualité certes, mais c’est également quelque chose de récurrent. L’Europe sert régulièrement de bouc émissaire, il n’y a pas raison que cela change en temps de crise.

Les gouvernements européens sont aussi responsables. Ils n’ont pas fait énormément pour encourager tout à chacun à apprécier l’Europe, à l’aimer. Reste que ces phénomènes populistes sont extrêmement inquiétants…

Comment peut-on imaginer l’avenir de l’Europe dans ce contexte politique ?

J’espère qu’il ne sera pas trop sombre. Mais s’il est difficilement imaginable que l’euroscepticisme en sorte vainqueur, sa cote de popularité n’est pas prête de baisser. Pour exemple, les Français qui prennent conscience que pour soutenir la Grèce, il va falloir mettre la main au portefeuille…   

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