Européennes : le funeste aveuglement du Monde (et des demi anti fascistes)<!-- --> | Atlantico.fr
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Jérôme Fenoglio, directeur du Monde, a publié un éditorial à l'occasion des élections européennes : "Face au péril de l’extrême droite, un funeste aveuglement".
Jérôme Fenoglio, directeur du Monde, a publié un éditorial à l'occasion des élections européennes : "Face au péril de l’extrême droite, un funeste aveuglement".
©PHILIPPE LOPEZ / AFP

Poison démocratique

Jérôme Fenoglio, le directeur du Monde, déplore que "des listes nationalistes, xénophobes et racistes captent les opinions de ses Etats membres sans que ne soit plus prise la mesure des risques que leurs idées font courir" dans le cadre des élections européennes.

Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou est l'un des fondateurs d'Atlantico dont il est aussi le directeur de la publication. Il a notamment travaillé à LCI, pour TF1 et fait de la production télévisuelle.

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Dans un éditorial publié à la veille des élections européennes, Jérôme Fenoglio, directeur du Monde, nous explique que l’Europe se serait enfermée dans « un aveuglement funeste face au péril de l’extrême-droite ».  

Tout ça malgré 80 ans d’anti-fascisme, malgré les alertes incessantes contre les vents mauvais ou le retour des heures les plus sombres de notre histoire… 

Alors oui, il existe un vrai danger d’extrême droite en Europe, en Allemagne notamment ou -plus marginalement- en France. Certains mouvements identitaires font effectivement l’objet de surveillance étroite pour la menace politique et terroriste qu’ils représentent. 

Mais non, il n’y a pas de rationalité à confondre populisme (critiquable en soi par ailleurs), droites nationales et extrême-droite (si l’extrême-droite se définit comme un projet de remise en cause de la démocratie, du parlementarisme, de l’ordre républicain et de la dignité des personnes). Pas de rationalité à feindre de croire que le souverainisme, la volonté de contrôler les flux migratoires ou les discours euro-critiques seraient nécessairement constitutifs d’un projet politique d’extrême-droite. Les débats doivent avoir lieu à la loyale, pas en disqualifiant par principe ses adversaires politiques sur le terrain de la (pseudo) morale. 

Oui, il serait dommage de déconstruire à coups de replis nationaux une Europe qui nous a beaucoup apporté, y compris -et même beaucoup- par son ouverture au monde et par le libre-échange. Au regard de notre productivité, de notre innovation comme de notre niveau de croissance, le pouvoir d’achat des Français aurait stagné depuis 30 ans s’il n’y avait pas eu le commerce international et le droit européen de la concurrence. 

Mais non, il n’y a pas un seul destin possible, une seule vision politique « convenable » pour l’Europe. L’Europe a aussi porté son lot d’échecs et d’erreurs stratégiques, la crise énergétique ou la crise agricole que nous traversons sont là nous le rappeler au quotidien. Les discours critiques ne sont pas tous des discours visant à tuer l’Europe. Le malaise démocratique que nous traversons ne serait sans doute pas ce qu’il est si les promoteurs du « cercle de la raison » et les détenteurs d’un monopole auto revendiqué de la compétence avaient perdu moins de temps à discréditer leurs adversaires ou leurs critiques et investi plus d’énergie à regarder la réalité en face. La remarque vaut pour ces fact checkers et autres décodeurs qui si souvent ne font que projeter leur prisme idéologique sur le réel. On se souvient notamment de tous ceux qui a travers la presse française, avaient expliqué que Donald Trump, alors président, se trompait lourdement en pointant la dépendance énergétique dans laquelle l’Allemagne s’était enfermée vis-à-vis de la Russie. La suite nous a montré la qualité de leur fact checking…

Pire sans doute, psalmodier des réquisitoires sur le danger de l’extrême-droite sans évoquer celui de l’extrême-gauche ni celui de l’islamisme relève de l’imposture intellectuelle.

Rien dans l’éditorial de M. Fenoglio n’évoque la dérive fascisante d’une partie des Insoumis qui appliquent pourtant exactement les mêmes stratégies que celles décrites par Stefan Zweig dans Le Monde d’hier, son dernier livre, dans lequel il évoque la montée des fascismes dans les années 30. Rien sur le complotisme, le doute jeté sur la régularité des élections, la décrédibilisation de la police comme institution républicaine, les menaces vis à vis des opposants, les simulacres d’exécution, l’antisémitisme. Tout au plus, l’évocation d’une erreur de stratégie électorale (ne parler que de Gaza et pas du reste).

Rien sur le pourrissement démocratique que constituent les appels à la désobéissance civile menés par des partis censés être républicains. Rien sur la violence comme méthode politique revendiquée par des militants certains de la justesse de leur cause (se souvient-il de Sainte-Soline ?).

Jérôme Fenoglio n’a sans doute jamais dû prendre la peine de lire Le management de la sauvagerie, ce Manuel du parfait djihadiste qui décrit la stratégie pour établir un Califat en Occident et détaille l’intérêt de la multiplication des attaques au couteau.

Pas pris la peine non plus de lire le théoricien syrien du djihad « décentralisé », Abou Moussab al-Souri, qui préconisait en 2014 de s’attaquer d’abord à l’Europe et tout particulièrement à la France parce qu’il y voit «le ventre mou de l’Occident» : « lorsque l’ennemi n’est plus assuré de son bon droit, a perdu la fierté de ce qu’il est et le bien fondé des principes qui sont les siens, la guerre sera gagnée tôt ou tard. La guerre ne se mène pas seulement par les armes mais aussi, et cela est tout aussi important, par les idées et la volonté de vaincre. »

Probablement considère-t-il que s’en alarmer est raciste et islamophobe tout comme il serait raciste de souhaiter contrôler les flux migratoires et de s’en donner les moyens politiques et légaux. 

M. Fenoglio n’a jamais dû regarder non plus ces cartes électorales qui montrent que la carte du vote Trump se superpose à la carte du nombre de morts par opioïdes aux États-Unis, qui elle-même se superpose à la carte des Comtés dépourvus de soins palliatifs que les entreprises pharmaceutiques vendeuses d’opioïdes ont ciblé en priorité. Les électeurs dont les choix le désolent ne sont pas tous des brutes épaisses incapables d’apprécier ce qui fait leur vie et leurs difficultés et voués à subir en silence le mépris de ceux qui pensent être tout…

Probablement n’a-t-il pas regardé non plus les enquêtes de victimation sur la réalité de la remontée de la violence en France depuis une dizaine d’années après une longue décrue.

Le problème n’est pas que le danger de l’extrême droite soit mésestimé en Europe mais que les esprits comme ceux de M. Fenoglio aient fini par pousser des dizaines de millions d’électeurs vers des partis populistes et/ou d’extrême-droite à travers le continent faute d’être entendus par leurs élites, par les partis plus classiques ou à force d’avoir restreint le champ de la souveraineté populaire jusqu’à asphyxier la démocratie au nom de sa défense. Comme aux Etats-Unis du reste

Qui a affaibli les droites républicaines classiques en les muselant par l’intimidation idéologique tant elles étaient accusées de fascisme à la moindre évocation des échecs de l’intégration ou si elles revendiquaient plus de fermeté régalienne ?

Qui a affaibli les gauches républicaines en suggérant si souvent que l’attachement à la laïcité n’était que le faux-nez d’une supposée islamophobie (concept chéri par les islamistes pour réintroduire un crime de blasphème en établissant une confusion entre racisme envers les personnes et légitime droit à la critique d’un système de pensée) ?

L’aveuglement des élites « bien pensantes » est un poison démocratique.

Et les larmes versées sur l’extrême droite souvent des larmes de crocodiles de petits bourgeois en quêtes de sensations narcissiques fortes en jouant au résistant face à des dangers -en France en tous cas- relativement virtuels. Personne ne jetera Jérôme Fenoglio en prison pour des écrits. Personne ne viendra faire une attaque à la Kalashnikov dans les locaux du Monde à cause de sa dénonciation de l’extrême-droite. Ni lui ni ses journalistes ne devront vivre sous protection policière pour les mêmes raisons.

L’Europe est plus que jamais utile et nécessaire écrit M. Fenoglio. On peut le rejoindre là-dessus. L’Europe doit savoir faire front face aux assauts des régimes autoritaires déjà engagés dans une guerre hybride. Faire face au projet islamiste qui la voit comme un ventre mou. Savoir entendre les avertissements du ministre des Affaires étrangères émirati qui avait prédit qu’il y aurait un jour plus d’islamistes et de djihadistes en Europe que dans les pays musulmans et qui considère aujourd’hui que ce jour est arrivé.

L’Europe peut, doit nous aider à préserver le trésor de la démocratie libérale. À préserver un héritage de libertés et d’émancipation des individus. À briser ce sentiment d’impuissance de l’action publique que les interdépendances politiques, économiques ou géopolitiques ont suscité. Face à la Big Tech ou à l’IA, les Etats ne sont plus que des acteurs parmi d’autres. Une forme de retour à un féodalisme que nous avions oublié.

L’Europe doit aussi être capable de comprendre que l’héritage de 1945 finira par voler en éclat si les juridictions et blocs de constitutionnalité patiemment construits pour nous protéger de possibles emportements démocratiques finissent par étrangler le droit des peuples à décider de leur destin. Sachons accepter l’idée que remettre en cause l’état du droit n’équivaut en rien à une remise en cause de l’Etat de droit. L’ultra-juridisme est un danger tout aussi redoutable que le mépris du droit.

Mais l’Europe ne fera pas tout ça en fermant grand les yeux sur ceux qui s’en prennent frontalement à ce modèle.  

Ni en fermant les yeux sur la redoutable convergence entre une partie de la gauche radicale, l’extrême gauche et l’islamisme. Elle est pourtant documentée, notamment dans l’infiltration du mouvement pro Gaza dans les universités occidentales. La main et l’argent de l’Iran y ont aussi été détectés par différents services de renseignement. Jean-Luc Mélenchon posait encore récemment en photo avec Samy Debbah, président fondateur du CCIF dans un meeting LFI à Garges les Gonesse le 2 juin. Un Comité contre l’islamophobie en France dissous par le ministère de l’intérieur et dont le Conseil d’Etat avait alors noté à l’appui de la décision du gouvernement qu’il « tient depuis plusieurs années des propos sans nuance visant à accréditer l’idée que les autorités publiques françaises mèneraient, notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, un combat contre la religion musulmane et ses pratiquants et que, plus généralement, la France serait un pays hostile aux musulmans ». Ajoutant que le CCIF entretenait « des liens étroits avec des tenants d’un islamisme radical invitant à se soustraire à certaines lois de la République ».  

L’histoire même du Monde devrait pourtant inciter à un certain recul. A-t-on oublié que Jean Lacouture avait salué dans les colonnes du quotidien l’entrée des Khmers rouges dans Phnom Penh en 1975, accompagné de Jacques Decornoy qui dirigeait alors le desk Asie et de Patrice de Beer correspondant au Cambodge ? Oublié les errements de sa couverture des débuts de la République islamique en Iran ? 

L’aveuglement funeste de l’Europe existe donc bien mais il est loin de se limiter à celui que dénonce le directeur du Monde. Il est celui de l’hémiplégie dans la perception des menaces.

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