Européennes : le débat d'un champ politique français sens dessus dessous depuis la guerre en Ukraine<!-- --> | Atlantico.fr
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Le débat opposait les huit formations qui s'affronteront lors de l'élection.
Le débat opposait les huit formations qui s'affronteront lors de l'élection.
©Capture d'écran Dailymotion/ Public Sénat

Débat tendu

Public Sénat organisait, jeudi 14 mars 2024, le premier débat en vue des élections européennes à venir.

Gabriel Robin

Gabriel Robin

Gabriel Robin est journaliste et essayiste ("Le Non Du Peuple", éditions du Cerf 2019).

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Atlantico : Public Sénat organisait, jeudi 14 mars 2024, le premier débat en vue des élections européennes à venir. Celui-ci opposait les huit formations qui s'affronteront lors de l'élection. Que dire, à l'issue de ce débat, des thèmes abordés ? A-t-on parlé plus d'Europe que de national ou est-ce l'inverse ?

Gabriel Robin : LCP Public Sénat est un média de bonne tenue. Les questions « polémiques » de politique politicienne ont donc été avec bonheur éludées lors de ce débat. Effectivement, les grands enjeux des élections européennes ont été abordés et non les questions de politique intérieure, bien que les deux soient souvent particulièrement liées. Ainsi des questions agricoles qui relèvent tant des orientations européennes que de l’inflation normative française, laquelle va souvent au-devant des attentes déjà importantes des instances continentales. Evidemment les sujets principaux que sont l’immigration, l’écologie ou encore la Guerre d’Ukraine ont fait l’objet des développements les plus longs, sans toutefois opposer simplement les candidats de gauche à ceux du centre puisqu’ils ont dévoilé des alliances transversales et des divergences indépendantes des camps idéologiques traditionnels. Ainsi, un Raphaël Glucksmann était, comme attendu plus proche de François-Xavier Bellamy sur les questions géostratégiques qu’il ne l’était de ses condisciples de la gauche communiste Manon Aubry et Léon Deffontaines, prompts à désigner les « va t en guerre ». Quant à Thierry Mariani, au tropisme bien connu plus favorable à la Russie, il a servi de paratonnerre et concentré les attaques sur sa personne et ses choix en la matière. Notons aussi que pour la première fois depuis longtemps, aucun intervenant ne s’est ouvertement déclaré souverainiste et encore moins en faveur d’un « frexit ». En revanche, le débat a omis de préciser correctement à quels groupes participent ou entendent participer les différents partis. Ce sont pourtant eux qui déterminent une bonne part de l’influence française au Parlement européen. Si Bellamy ou Marion Maréchal ne représentent pas ici des partis aujourd’hui en mesure de concourir avec une chance de l’emporter à une élection présidentielle, leurs groupes européens respectifs seront puissants et influents (respectivement le PPE et ECR) alors que celui du Rassemblement National s’annonce – sur le papier du moins – moins important. Idem à gauche, Raphaël Glucksmann est dans un groupe social-démocrate puissant quand Manon Aubry appartient à une extrême-gauche bien plus marginalisée.

Qui sont, selon vous, les grands gagnants et les grands perdants de ce débat ? Quels auront été les moments et les échanges les plus marquants ?

Il semble aujourd’hui difficile de déterminer qui sont les gagnants et perdants d’un tel exercice. De manière générale, ces grands débats ne déplacent que peu de voix, a fortiori sur une chaîne peu regardée. Le seul débat qui a une incidence réelle est celui de l’entre deux tours de l’élection présidentielle. Les autres ne « rapportent » des voix que mis bout à bout. Ils peuvent néanmoins en faire perdre à un candidat qui se ridiculiserait ou commettrait un grave impair. Sur la forme, Raphaël Glucksmann et Thierry Mariani ont tiré leur épingle du jeu en ayant des positions fortes et tranchées sur la question géopolitique. Si elle n’est pas traditionnellement un moteur de vote pour les Français, le contexte lui donne une nouvelle importance. Ils avaient aussi pour eux d’être un peu plus âgés que l’aréopage de très jeunes candidats qui les entouraient. Mais ce ne sont là, à ce stade, que des détails. On peut noter que La France insoumise a une concurrence rude et protéiforme à gauche capable d’empiéter sur son socle électoral, surtout dans une élection qui mobilise moins qu’une présidentielle. Il n’est pas exclu que la liste portée par Manon Aubry échoue sous les 5 points en juin.

Raphaël Glucksmann, Thierry Mariani et Marion Maréchal ont eu l'occasion d'échanger houleusement sur la question de l'immigration. Que retenir de leur passe d'arme ? Que dit-elle des clivages qui opposent les différentes visions de l'Europe ?

L’immigration et la Guerre d’Ukraine sont les deux enjeux majeurs de ce scrutin européen. Paradoxalement, personne ne les connecte alors que les ponts intellectuels sont évidents. Il s’agit dans les deux cas, pour l’Europe, de faire respecter sa souveraineté, ses frontières, ses limites. Ce sont des épreuves historiques qui engagent tout le continent et tout son projet politique : sommes-nous collectivement capables de défendre notre identité, tout simplement nos lois ? L’autre paradoxe est que ceux qui s’engagent à défendre nos frontières communes avec le plus de fermeté, et à raison, contre l’envahisseur russe de l’Ukraine, sont aussi malheureusement souvent les plus laxistes en matière migratoire. Pourtant, il faut faire les deux. Il en va de notre cohérence politique comme de notre prospérité future. L’Europe est une cible. Il n’y a évidemment pas de solution simple, mais l’heure tourne et les débats autour de la loi immigration en France ont montré qu’il était quasiment impossible de mettre en place une vraie politique filtrante et de fermeté. La collaboration européenne et le renforcement de Frontex sont des impératifs. De la même manière, il faut « réarmer » l’Europe pour continuer d’armer l’Ukraine. Nous sommes face au précipice.

Le président de la République a tenté de construire sa campagne sur la question de la défense de l'Ukraine. Au regard de ce débat, peut-on penser que cela va fonctionner ?

Ce ne sera pas l’enjeu unique de cette élection et ce serait rendre un mauvais service à cette cause de le faire croire. Reste que c’est une question cruciale. Sans l’instrumentaliser, elle demande un débat serein et un éclaircissement. Cette nouvelle ambiguïté stratégique macronienne a permis cela, dévoilant notamment des oppositions presque irréconciliables à gauche. Le temps nous dira si cela permettra à Renaissance de bien figurer en juin prochain. La tête de liste n’est pas flamboyante, madame Hayer ne dégageant ni un charisme particulier ni des convictions très nettes sur de nombreux sujets. Elle est probablement le principal handicap d’Emmanuel Macron pour bien figurer à cette élection et limiter la casse face à un Rassemblement National annoncé très haut dans les sondages. Le choix d’une campagne européenne plus à gauche que le discours auquel nous a habitués la majorité ces derniers mois, qui s’accompagne de différents sujets de société (avortement, euthanasie) est stratégiquement plutôt bien vu pour ce qui est l’équivalent d’un premier tour de présidentielle. Emmanuel Macron a dû juger qu’il n’avait pas grand-chose à prendre à droite et qu’il devait plutôt chasser sur les terres de Raphaël Glucksmann. Réponse en juin.

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