Européennes : haro sur le RN, ce « parti de l’étranger » selon Renaissance<!-- --> | Atlantico.fr
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La tête de liste de Renaissance au centre, Valérie Hayer, accompagnée de Yaël Braun-Pivet, François Bayrou et Gabriel Attal.
La tête de liste de Renaissance au centre, Valérie Hayer, accompagnée de Yaël Braun-Pivet, François Bayrou et Gabriel Attal.
©Sameer Al-Doumy / AFP

Obstination

Les attaques contre le RN ont été effectivement très vives et multiples : il est devenu le parti de l’étranger et son action européenne s’est révélée « fantomatique ».

Luc Rouban

Luc Rouban

Luc Rouban est directeur de recherches au CNRS et travaille au Cevipof depuis 1996 et à Sciences Po depuis 1987.

Il est l'auteur de La fonction publique en débat (Documentation française, 2014), Quel avenir pour la fonction publique ? (Documentation française, 2017), La démocratie représentative est-elle en crise ? (Documentation française, 2018) et Le paradoxe du macronisme (Les Presses de Sciences po, 2018) et La matière noire de la démocratie (Les Presses de Sciences Po, 2019), "Quel avenir pour les maires ?" à la Documentation française (2020). Il a publié en 2022 Les raisons de la défiance aux Presses de Sciences Po. Il a également publié en 2022 La vraie victoire du RN aux Presses de Sciences Po. En 2024, il a publié Les racines sociales de la violence politique aux éditions de l'Aube.

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Atlantico : Les principales figures politiques de la majorité étaient réunies ce samedi à Lille pour le lancement de la campagne des Européennes de la majorité présidentielle. Que faut-il retenir des discours de Valérie Hayer et de Gabriel Attal sur le projet européen de la majorité ? Leur vision de l’Europe était-elle claire ?

Luc Rouban : Les discours de Gérald Darmanin puis du Premier ministre Gabriel Attal et enfin de Valérie Hayer ont tous eu en commun de défendre l’Europe comme entité permettant et de défendre l’économie française et de rendre notre pays plus fort. En cela, rien que de très classique, l’Europe étant toujours présentée comme parfaitement unie et pouvant servir de caisse de résonance aux seuls intérêts français, ce qui est, évidemment, loin d’être le cas sur le terrain. Gérald Darmanin a même souligné « les effets miraculeux de l’Europe » dans les Hauts-de-France permettant de nouveaux investissements et de grandes infrastructures alors que la région était sortie sinistrée de l’effondrement des industries sidérurgiques et du textile.

Les trois discours ont surtout fait le bilan de l’Union européenne. Valérie Hayer a martelé la formule « on l’a fait » en déclinant toutes les mesures prises par l’Europe tout en multipliant les remerciements et les congratulations à tous ceux qui l’avaient accompagnée ou soutenue au Parlement de Strasbourg.

La vision de l’Europe était aussi très claire dans la mesure où il s’agissait, sur le plan international, d’affirmer une volonté d’union face à la Russie de Vladimir Poutine. Cela étant, on n’a pas entendu grand-chose ni sur le fonctionnement des institutions européennes ni sur les programmes qui devraient être considérés comme prioritaires ni sur l’adhésion future de l’Ukraine à l’Union européenne, ni sur les rapports entre l’Union et l’OTAN qui reste, peut-être heureusement, le seul cadre de décision militaire au niveau européen. Le programme est clairement passé derrière le seul objectif du meeting : faire du RN le seul adversaire et du vote aux européennes une date historique qui devra décider de la survie ou de la fin de l’Europe même si les Français ne sont pas les seuls à voter.

Que faut-il penser de la stratégie très offensive de Renaissance lors de ce meeting contre le RN et vis-à-vis de la Russie ? Le combat du macronisme contre le Rassemblement National de Jordan Bardella et la Russie de Vladimir Poutine ne vont-ils pas lasser ou faire fuir les électeurs ?

Les attaques contre le RN ont été effectivement très vives et multiples : il est devenu le parti de l’étranger et son action européenne s’est révélée « fantomatique ». Le but était de poursuivre la stratégie de fermeture du débat politique en France dans le choix entre le macronisme et le RN. Pas une fois, les autres listes, de droite ou de gauche, n’ont été évoquées. Gérald Darmanin a souligné que « le RN vit des problèmes et ne propose pas de solutions. S’il n’y a pas de problèmes, il n’y a plus de RN ». Gabriel Attal, quant à lui, a parlé des « rentiers de la peur », a fustigé « la litanie de trahisons » du RN et a lourdement insisté sur le risque d’une dislocation de l’Europe si jamais la liste de ce parti gagnait ces élections. Valérie Hayer a fait une comparaison historique avec 1938 : en bref, le RN est le parti de Poutine et peut recréer les conditions du chaos de 1940. Tous les intervenants ont accusé le RN de vouloir sortir la France de l’Union européenne en déguisant ses véritables intentions qui seraient de mener un Frexit. On remarque au passage que le thème de la « souveraineté », si présent dans les discours gouvernementaux, a soigneusement été évité.

En bref, le ton dramatique était là pour montrer que les élections de juin 2024 allaient être décisives, pour l’Europe peut-être, pour le destin du macronisme encore plus. Car le sujet était sans doute dans tous les esprits. On peut penser que derrière les multiples embrassades qui ont précédé les discours, chacun commençait à se positionner pour récupérer l’héritage du macronisme en 2027. D’ailleurs une grande partie du gouvernement était là, tout comme la présidente de l’Assemblée nationale, François Bayrou et Édouard Philippe. Il est vrai qu’un échec électoral lors des européennes rendrait la situation d’Emmanuel Macron encore plus délicate, ouvrant des perspectives nouvelles à tous les prétendant(e)s à l’Élysée, sans doute gagnés par quelque impatience. C’est pourquoi les leaders de Renaissance n’avaient guère le choix que de construire leur adversaire (le RN) et leur ennemi (Poutine) même si cela peut conduire les électeurs à regarder vers d’autres listes et à placer la France dans une situation internationale difficile où elle perd son rôle de médiateur historique pour parler au nom d’une Europe qui en est presque à déclarer la guerre à la Russie.

Le discours de Valérie Hayer n’était-il pas encore trop déconnecté ? Le fait de ne pas avoir abordé certains points essentiels comme l’immigration ne relève-t-il pas de la faute politique ?

Le discours de Valérie Hayer s’est inscrit dans les canons du macronisme : positionnement libéral sur le plan culturel, rappel de ses accomplissements, comme l’inscription de l’IVG dans la Constitution, et du fait qu’elle était une femme en évoquant au passage la figure de Simone Veil. Cela étant, ce positionnement extatique n’a pas permis de sortir d’une forme d’autosatisfaction pro-européenne. Les grands sujets de préoccupation des Français, comme l’immigration, la cohésion sociale, la vie au travail, n’ont pas été abordés. En ramenant sans cesse le RN à l’ancien FN, en le chargeant de nombreuses accusations de complicité avec la Russie, il devenait à la fois facile d’éviter les sujets qui fâchent et difficile de convaincre que l’Europe disposait des solutions à ces grands problèmes. On avait le sentiment d’un décalage permanent avec une réalité sociale autrement plus menaçante dans laquelle l’Europe reste sinon absente du moins impuissante : politique d’immigration toujours aussi confuse malgré quelques efforts de rationalisation, prise de pouvoir des narco-trafiquants à Marseille, laïcité en ruine, agriculteurs en colère, violences contre les élus et les fonctionnaires, déficit budgétaire et réduction des crédits publics.

Les tensions au sein de la majorité sont-elles dissipées avec ce grand meeting pour la campagne des européennes ? La prestation de Valérie Hayer va-t-elle susciter des doutes ou une inquiétude chez une partie de la majorité ?

Valérie Hayer a été choisie très tardivement car tous les leaders de la majorité ont fui la responsabilité de mener une liste qui, si elle devait connaître un échec cuisant (elle est actuellement, selon plusieurs sondages, à 10 points derrière la liste de Jordan Bardella), risquait de les griller pour la course à l’Élysée de 2027. Car la situation est claire désormais : il ne s’agit pas de débattre de quelle Europe on veut, il s’agit d’organiser un référendum pour ou contre Emmanuel Macron, lequel l’a si bien compris qu’il a vite revêtu ses habits de chef de guerre. En réalité, Valérie Hayer, qui n’a sans doute pas démérité au Parlement de Strasbourg et a eu à cœur de bien faire son travail, n’était pas là pour résoudre les problèmes internes à la majorité ou proposer des solutions personnelles qu’elle aurait pu imposer aux patrons de la majorité lesquels sont d’ailleurs tous intervenus avant elle. Par défaut, les tensions au sein de la majorité sont actuellement mises en sourdine car rien ne permet de penser que le quasi-succès des macronistes en 2019 pourra à nouveau se réaliser.

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