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Etude sur les conditions de travail : pourquoi la pénibilité a changé de camp
©www.flickr.com/photos/adrian_s/11386276

La chair est faible, l'esprit aussi

L'étude Sumer (Surveillance médicale des expositions des salariés aux risques professionnels) 2017 sur les conditions de travail montre qu'à des problèmes de pénibilité physique se sont substitués des problèmes de stress et de risques psychosociaux.

Xavier  Camby

Xavier Camby

Xavier Camby est l’auteur de 48 clés pour un management durable - Bien-être et performance, publié aux éditions Yves Briend Ed. Il dirige à Genève la société Essentiel Management qui intervient en Belgique, en France, au Québec et en Suisse. Il anime également le site Essentiel Management .

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Atlantico : L'étude Sumer sur les conditions de travail montre qu'à des problèmes de pénibilité physique se sont substitués des problèmes de stress et de risques psychosociaux. Qu'est-ce qui explique cette grande transformation ?

Xavier Camby : Il est bien évident que depuis 70 ans la pénibilité physique du travail n'a cessé de diminuer, voire même de disparaître complètement de notre monde occidental. Grâce à la mécanisation, aux systèmes experts, à la robotisation, et bientôt à "l'intelligence" très justement nommée "artificielle". On ne peut que s'en réjouir et s'en féliciter. Il s'agit pourtant de la simple conséquence de la première des aptitudes de l'intelligence humaine (voire du monde du vivant, selon Antonio Damasio dans son dernier ouvrage publié en 2017  "l'ordre étrange des choses"). Nous sommes structurés, biologiquement et psychiquement selon un principe d'élégance : le moins d'énergie consommée pour le meilleur résultat possible. Celui qui a inventé la roue était fatigué de porter, celui qui le premier à saisi l'énergie éolienne était lassé de ramer... Il en est de même pour toutes les inventions humaines utiles (donc pérennes). En biologie ou en médecine, on parle d'homéostasie.

Il n'est pas possible actuellement, à ma connaissance, d'établir une corrélation réelle entre la disparition de la pénibilité physique et l'envahissement exponentiel de la souffrance psychique au travail. On croirait une pandémie. Non virale mais terriblement contagieuse ! Certains prétendent que la souffrance physique d'autrefois cachait la psychique. Peut-être mais il n'existe aucune preuve de cette hypothèse.

Plus vraisemblablement, on ne peut manquer d'observer que la souffrance psychique accompagne la "normalisation*, la standardisation et la déshumanisation des rapports humains au sein de nos organisations. Je ne caricature pas : le salarié lambda sait être devenu une variable d'ajustement économique, jetable dès que l'équipe dirigeante a fait de mauvais choix ou mal appréhendé l'évolution des marché. Il n'y est pour rien, mais sa vie toute entière en est précarisée, ainsi que celle de sa famille. Le conflit, généralement admis comme bénéfique en entreprise (c'est un déni de réalité), siphonne l'énergie individuelle et collective, dans des tragédie à la "Verdun". L'irrespect de la personnalité individuelle, saucissonné de définition de fonction, de lettre de mission, de process, de reporting et d'objectifs à court terme... est encore une source non marginale de détresse.

Il semble bien que ce qu'on enseigne dans les MBA, l'instrumentalsation de l'homme par l'homme, soit un échec définitif, et combien dolosif !

Comment les salariés peuvent se protéger vis à vis de ces nouveaux problèmes ?

Ces problèmes ne sont pas si nouveaux. Ils apparaissent dans les années 70 aux USA. Et depuis, le management rationnel ne cesse de s'étendre dans le même temps qu'il démontre sa délétère et terrible toxicité ! Les salariés qui ont été pressurés par ce "système", puis finalement jetés en dehors, exsangues, sombrent ou changent de vie. Ils quittent les rêves frelatés d'inhumaine performance des Business School et deviennent patrons de bar sur une île bretonne, boulangers en Provence, hôteliers en Alsace... Et apprennent enfin à vivre heureux, sans stress, pression idiote à court terme, dans un relationnel bienveillant et courtois, où le conflit est malséant autant que nauséabond.

Mais plus intéressant encore est l'émergence -mondiale- d'une nouvelle sorte de salariés. Experts, bien formés, travailleurs, inventif et courageux. On parle vainement de générations, essayant de réduire encore une fois la réalité en catégories simplistes autant qu'étroites. En fait ce sont des comportements sains. Simples et sans compromissions. Si je ne suis pas heureux au travail, si je ne peux pas apprendre et ne développer, si ma contribution n'est pas reconnue (on ne parle pas ici d'argent), si les relations humaines sont pourries, et bien je m'en vais contribuer ailleurs. Et autrement. En fait, tout se passe comme si le salariés du futurs refusaient catégoriquement -mais sans éclat inutile ni conflit épuisant- la moindre maltraitance émotionnelle !

Ils partent, créer ailleurs un monde meilleur, seuls ou avec d'autres, laissant les parangons des méthodes surannées s'étioler et s'étrangler avec leurs propres principes toxiques.

C'est l'origine de ce phénomène de création d'entreprises nouvelles, a-normative et anticonformiste et innovante, qu'on appelle start-up. Ou encore de cette mondiale effervescence, créatrice de nouvelles formes de travail, dé-hiérarchisées...

Comment les entreprises peuvent-elles intégrer ces résultats dans leur mode de management ?

Vous posez là LA bonne question ! Enfermées dans les dogmatismes des croyances instrumentalistes et obsolètes (comme par exemple les objectifs individuels), beaucoup d'organisations s'épuisent, voire s'éreintent à reproduire sans cesse l'illogisme d'apparence rationnel de leurs prétendues "méthodes". Albert Einstein l'a déclaré avec sa pertinence habituelle : " le mode de penser qui à créer un problème n'est pas celui qui permettra d'en trouver la solution".

Ce changement de paradigme, définitif et sans doute universel, semble bien dur à avaler par les tenants du conservatisme et de la pyramide hiérarchique. Les différentes "craties" (sociocratie, hadocratie, holacratie...) semblent bien incapables de proposer un modèle pérenne et efficace pour que cesse la souffrance psychique du travail salarié.

Une forme de management, inventée au siècle dernier par Robert K. Greenleaf (seul théoricien du leadership ayant réellement une expérience probante de la gouvernance comme du management opérationnel semble la plus prometteuse et la plus efficiente pour libérer les énergies au sein de nos organisations, sans casse humaine : il s'agit du SERVANT LEADERSHIP !

Imaginez nos surdoués, nos forts en thèmes des universités, accepter  de se mettre au service de leurs collaborateurs, plus les faire croître et leur donner des permissions d'oser et d'entreprendre !

Là est la vraie révolution qui s'invente chaque jour, tranquillement, discrètement, mais invinciblement, sous nos yeux !

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