Etienne de Montety : La douceur de survivre<!-- --> | Atlantico.fr
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Le livre d'Etienne de Montety, « La douceur », est à découvrir aux éditions Stock.
Le livre d'Etienne de Montety, « La douceur », est à découvrir aux éditions Stock.
©DR / Patrice Normand

Atlantico Litterati

Etienne de Montety publie « La douceur » (Stock), une subtile métaphore de l’admiration de l’auteur pour le principe féminin. Et une déclaration d’amour aux surprises de la vie.

Annick Geille

Annick Geille

Annick GEILLE est écrivain, critique littéraire et journaliste. Auteure de onze romans, dont "Un amour de Sagan" -publié jusqu’en Chine- autofiction qui relate  sa vie entre Françoise Sagan et  Bernard Frank, elle publia un essai sur  les métamorphoses des hommes après  le féminisme : « Le Nouvel Homme » (Lattès). Sélectionnée Goncourt et distinguée par le prix du Premier Roman pour « Portrait d’un amour coupable » (Grasset), elle obtint ensuite le "Prix Alfred Née" de l'Académie française pour « Une femme amoureuse » (Grasset/Le Livre de Poche).

Elle fonda et dirigea  vingt années durant divers hebdomadaires et mensuels pour le groupe « Hachette- Filipacchi- Media » - tels le mensuel Playboy-France, l’hebdomadaire Pariscope  et «  F Magazine, »- mensuel féministe racheté au groupe Servan-Schreiber, qu’Annick Geille reformula et dirigea cinq ans, aux côtés  de Robert Doisneau, qui réalisait toutes les photos. Après avoir travaillé trois ans au Figaro- Littéraire aux côtés d’Angelo Rinaldi, de l’Académie Française, elle dirigea "La Sélection des meilleurs livres de la période" pour le « Magazine des Livres », qui devint  Le Salon Littéraire en ligne-, tout en rédigeant chaque mois une critique littéraire pour le mensuel -papier "Service Littéraire".

Annick Geille  remet  depuis quelques années à Atlantico -premier quotidien en ligne de France-une chronique vouée à  la littérature et à ceux qui la font : «  Litterati ».

Voir la bio »

« Amateur de beau, de lumières éclatantes et de littérature » : tel se définit le narrateur  d’Etienne de Montety dans son roman « La douceur » (Stock) ; une  subtile  métaphore de l’admiration de l’auteur pour  le principe féminin. Et une déclaration d’amour  aux surprises de la vie. La rose, c’est  la plus la plus admirée des fleurs ; celle qui possède,  mieux que toutes les autres, cette splendeur du vivant,  exaltant sa beauté déchirante en sa fragilité ( cf. Baudelaire).

Etienne de Montety -que nous avons vu, dans son précédent roman, peindre à la minute près l’atroce préparation de la mise à mort d’un vieux prêtre par des terroristes, a voulu ici, par contraste, dire son admiration pour cette force vitale qu’incarne le principe féminin.La résilience version féminin- singulier. Ses personnages sont pour la plupart des femmes. La rédactrice en chef, tellement vraie, qui veut partout du « story-telling » ; la reporter allemande, Barbara, un peu « brut de décoffrage » mais séduisante par cette franchise que les hommes (plus méfiants)- n’ont pas. Et le personnage central de Montety, l’ancienne déportée- May-une grande dame âgée, sorte de reine, rose rare, à préserver,d’une noblesse à la mesure de son passé de survivante : le personnage central de La douceur, ce roman pudique et éperdu. (cf.May de Caux, ancienne déportée de Ravensbrück,accepte de seconfier à un journaliste français ( « il ya quelque chose de moi en lui », nous confie Etienne de Montety, Grand Prix du Roman de l’Académie Française 2020pour « La Grande Épreuve »-Stock). Son personnage, journalistedans la presse magazine, a deux visages : celui d’un « litterati » d’une urbanité accomplie, amateur de vieux bordeaux et de bibliothèques bien garnies, et celui de l’ex enfant des dortoirs glacés, ce garçonnet aux joues froides, interne tellement discret que son père oubliait - jadis et naguère- d’aller le chercher en fin de semaine. Une douleur cachée qui s’accordera à celle, indicible, incommunicable, historique, de May, l’ancienne déportée. La mort rôde entre les massifs colorés, « mignonne allons voir si la rose » etc. On jurerait un roman anglais. Ce qui plait au journaliste français, esthète embarqué en ce voyage de presse d’une fausse frivolité, c’est la noblesse et la force qu’incarne la survivante, l’ancienne déportée ; quant à Barbara-allemande et journaliste comme le narrateur, elle voudrait entendre l’ancienne déportée, entendre pour comprendre afin de pouvoir faire savoir l’horreur deRavensbrück. Il s’agit de la parution d’un livre. Ce roman aura pour titre « La douceur ». La vie. Le livre que nous lisons. Tout ce que nous vivons d’un peu fort finit entre les pages. « Aimons en connaissance de cause », conclut Etienne de Montety. On applaudit.

Annick GEILLE

Repères

Ecrivain -journaliste et directeur du Figaro Littéraire, Etienne de Montety a publié de nombreux romans dont « La route du salut » /Gallimard (prix des deux Magots 2013 )« L'Amant noir »/Gallimard(  prix Freustié 2017)La Grande Epreuve/Stock ( Grand prix du roman de l’Académie française 2020), entre autres lauriers.

Extraits de « La douceur »

« Au fond, mon seul port d’attache fut le pensionnat où mes parents m’avaient inscrit. Une grande maison de briques rouges, nichée dans le Vexin, où j’ai passé́ dix ans. Le dortoir, l’armoire métallique dans laquelle je rangeais mes vêtements, mes livres et mes objets familiers, les prêtres qui assuraient les cours, furent les points fixes de mon enfance. À chaque rentrée, je savais que je les retrouverais, invariablement. Ce fut ma seule certitude durant ces années. »( « La douceur »/Etienne de Montety/Stock)

« Des Journées de la rose ? Bah, ce sera toujours mieux qu’un Salon de la voyance. Et plus original qu’une exposition de voitures anciennes... Et puis c’est à l’autre bout du monde... Constantia, une ville exceptionnelle, si l’on en croit les guides... Cette seule perspective suffit à mon bonheur ».

« Valérie Brochard l’a compris. Cette petite femme pimpante est depuis dix ans la rédactrice en chef du magazine où je travaille. Elle assume parfaitement l’esprit de son journal : « Je veux que tu donnes du rêve au lecteur », me serine-t-elle quand elle trouve excessive ma propension à̀ disserter sur l’histoire d’un pays.

May a prononcé́ un mot qui m’a surpris. La douceur. Elle l’a presque murmuré, sur un ton mélancolique très perceptible. Oui, il y a bien quelque chose de triste en elle : des séquelles de son passé ? Elle peut être aimable, assurer à la perfection son rôle de présidente, son beau visage est traversé par des accès de gravité. La beauté́ de cette femme vient de ce qu’elle paraît inconsolable.

– Au fait, d’où̀ vous vient cette passion des roses ?

– Oh, elle est très ancienne. Je vis en France, entourée de roses, dans une grande maison où habitaient déjà mes parents. Mais je...

– Dans quelle région ?

Toujours le ton direct de Barbara.

(cf.Barbara est la journaliste allemande, amie du narrateurNDLR).

May se raidit :

– Écoutez,je crois qu’il y a un malentendu. Ma vie n’a aucune importance. Ce qui compte, c’est ce qui nous réunit cette semaine. Regardez ces fleurs, elles sont les reines de notre Convention. On ne s’en lasse pas, elles changent tout le temps. Tenez, celle-ci, elle n’est pas du jour, le bord de ses pétales est d’une couleur déjà passée, il est plus pâle que le cœur, qui est encore vif, et...

Mon reportage a paru, illustré par deux doubles pages, avec photo pleine page des Royal Botanic Gardens et leurs allées de roses, où se pressent les visiteurs, et avec le récit de celle qui a reçu le Hall of Fame, la plus belle rose du monde distinguée à Constantia : pendant la Convention, nous n’avons cessé de croiser le jury penché sur les massifs. Le titre fut décerné́ à « Miss Diana ». Soit une grande fleur exubérante, couleur abricot tirant sur le jaune vif, sur un rosier buissonnant. Elle avait déjà été repérée à Bagatelle, à Tel-Aviv et à Madrid. L’obtenteur est un Argentin, il s’appelle Jorge Romero. Je l’ai interrogé sur l’origine du joli nom de sa rose. J’imaginais déjà̀ sa réponse : un hommage à la princesse de Galles. Pas du tout, sa création est dédiée à sa fille, Diana Romero y Quantin, qu’il adore. J’ai opiné poliment de la tête. C’est moins spectaculaire, évidemment...

Je raconte ma découverte de cette internationale des amateurs de roses, j’en ai tant rencontré et interrogé durant mon séjour. J’ai repris des phrases de May de Caux, et j’ai aussi interviewé Olivia Newton-John, venue visiter les jardins. L’actrice était en tournée dans le pays où elle a grandi, et a reçu un accueil triomphal en arrivant aux Royal Botanic Gardens. Je la revois à côté de May dans les allées. « Antipodes », le mot s’imposait pour résumer la situation. Deux mondes. Olivia Newton-John souriait, présentait son visage aux photographes, contrastant avec la réserve de la présidente. J’avoue que j’avais un peu oublié son nom et sa notoriété́. Mais Valérie Brochard fut ravie : « Elle met du peps dans ton sujet. »

Le carton d’invitation précisait : long evening dress and black tie. Le dernier soir de la Rose Australia était organisée une grande réception. Nous nous sommes retrouvés au milieu des représentants de toutes les fédérations du monde, en tenue de soirée. J’ai rejoint les journalistes du groupe, nous avons porté un toast à notre séjour et à «Miss Diana», l’héroïne de la semaine. Les plaisanteries fusaient, une complicité était née entre nous. J’observais chacun, sur son trente et un. Barbara était très en beauté : elle portait une robe bustier rouge sous un spencer. J’avais trinqué avec elle en cherchant à plonger dans ses yeux. Elle ne s’était pas dérobée.

. May de Caux en robe longue de soie, une étole bleue sur les épaules, allait d’un groupe à l’autre, souriante. Nous nous étions reparlé. L’incident de l’avant-veille n’existait plus. Je la suivais du regard, et Robert le remarqua.

– Nous avons de la chance d’avoir une telle femme à notre tête... Elle nous représente à merveille. C’est important dans nos relations avec les villes organisatrices et les États...

– Elle fait une ambassadrice parfaite,renchérit Barbara. Mais quel dommage qu’elle ne se mette pas davantage en avant.

– Le vedettariat n’est pas son genre...

– C’est pourtant important aujourd’hui pour promouvoir une cause, ou pour une initiative... Avec sa stature et sa personnalité, le monde de la rose y gagnerait en notoriété, c’est sûr...

Mon interlocuteur lui prit le bras :

– Évidemment... Mais vous ne le savez sûrement pas... May a une histoire personnelle douloureuse: c’est une ancienne déportée. Parler d’elle, c’est revenir à ce passé. Surtout n’en faites pas état dans vos articles. Puis-je vous faire confiance ?

J’échangeai un regard avec Barbara. Confier à un journaliste des informations qu’il n’a pas le droit de publier, c’est lui faire subir le supplice de Tantale.

May est une ancienne de Ravensbrück, voyez-vous. Mais le sujet est pour ainsi dire tabou à la Fédération. Elle ne l’évoque jamais. Depuis que je suis au bureau, il n’en a été question qu’une seule fois : lors d’une convention – qui devait se tenir en Allemagne. Elle venait d’être élue présidente, et on apprit à cette occasion son passé de déportée, qui rendait délicate l’organisation de notre événement. Tout ce qui touchait à ce pays lui était douloureux. Alors les membres de la Gesellschaft Deutscher Rosenfreunde se démenèrent. Je me rappelle qu’ils sollicitèrent un pasteur, lui-même ancien déporté à Dachau. Il fut l’un des guides de May, et finalement tout se déroula au mieux. Je vous dis ça simplement pour expliquer son attitude.

Je comprenais mieux. Parler était au-dessus de ses forces. Peut-être qu’elle avait peur, en ouvrant la porte à ses souvenirs, d’être submergée.

– Le temps a peut-être passé...

– Peut-être... C’est à elle d’en juger...

Le seul sujet qui m’importait vraiment durant cette belle soirée était de profiter de Barbara. La reverrais-je en Europe? À Berlin ou à Paris puisqu’elle aimait tant cette ville, indissociable de ses années d’étudiante ? Je la regardai, qui conversait maintenant avec un groupe voisin ; elle mimait, imitait, amusait son auditoire. Andrew Wegener, d’ordinaire imperturbable, s’esclaffait. Je raffolais de sa compagnie, elle était si joyeuse et démonstrative. Peut-être parviendrais-je à lui apprendre à ne plus écrire dans l’air pour dire « entre guillemets » ou demander la note dans un café. Au fond, je ne savais rien d’elle. Vivait-elle seule ? Sa gaieté virevoltante formait aussi un tourbillon qui empêchait de lire en elle. Comment imaginer une autre Barbara? Était-elle parfois découragée, triste? Amoureuse, tendre ? »

Copyright Etienne de Montety « La douceur » ( Stock) / 270 pages / 20 euros 50 / Toutes librairies et « La Boutique ».

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