États-Unis : vers la mère de toutes les batailles de Mid Terms <!-- --> | Atlantico.fr
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Joe Biden pourrait faire perdre beaucoup au Parti démocrate après les mid-terms.
Joe Biden pourrait faire perdre beaucoup au Parti démocrate après les mid-terms.
©Mark Makela / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Mid-terms

Les mid-terms approchent et revêtent une importance capitale.

Gérald Olivier

Gérald Olivier

Gérald Olivier est journaliste et  partage sa vie entre la France et les États-Unis. Titulaire d’un Master of Arts en Histoire américaine de l’Université de Californie, il a été le correspondant du groupe Valmonde sur la côte ouest dans les années 1990, avant de rentrer en France pour occuper le poste de rédacteur en chef au mensuel Le Spectacle du Monde. Il est aujourd'hui consultant en communications et médias et se consacre à son blog « France-Amérique »

Il est aussi chercheur associé à  l'IPSE, Institut Prospective et Sécurité en Europe.

Il est l'auteur de "Mitt Romney ou le renouveau du mythe américain", paru chez Picollec on Octobre 2012 et "Cover Up, l'Amérique, le Clan Biden et l'Etat profond" aux éditions Konfident.

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William Thay et Emeric Guisset

William Thay et Emeric Guisset

William Thay est président du Millénaire, think tank gaulliste spécialisé en politiques publiques. 

Emeric Guisset est secrétaire général adjoint du Millénaire. Il participe au débat public pour rendre les politiques publiques plus efficaces et résoudre la crise que traverse les démocraties occidentales.

Centralien, il est spécialiste des questions énergétiques et analyse la vie politique dans le cadre de ses activités d’analyste politique.

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Atlantico : Les mid-terms approchent, dans quelle mesure revêtent-elles, cette année, une importance particulière ?

Gérald Olivier : Les sondages et la presse américaine annoncent une victoire des Républicains. Les mid terms sont des élections de mi-mandat qui concernent le renouvellement du Congrès au niveau fédéral, l’ensemble des sièges de la Chambre, et le renouvellement d’un tiers des sièges du Sénat. La Chambre, qui a actuellement une majorité Démocrate très étroite à 222 sièges contre 213 pour les Républicains, devrait basculer en faveur des Républicains avec  235 à 245 sièges en leur faveur et un peu moins de 200 pour les Démocrates.

Le Sénat pourrait basculer aussi en faveur des Républicains. Il y a actuellement une égalité parfaite de 50 sièges chacun. Le vote de la vice-présidente Kamala Harris favorise le camp Démocrate. Elle est détentrice du vote décisif. Il suffit d’un siège aux Républicains pour avoir une majorité. Selon les estimations, ils devraient en avoir 51 ou 52. L’incertitude demeure car les élections au Sénat sont les plus indécises. 

Les élections de mi-mandat concernent aussi un certain nombre de postes de gouverneurs. Plus d’une trentaine d’Etats vont voter pour leur gouverneur.  Des surprises majeures sont attendues. Un Républicain pourrait être élu à New York, alors que l’Etat de New York est une terre Démocrate. La campagne est très serrée. La candidate Démocrate Kathy Hochul n’a pas réussi à convaincre.

Les élections de mi-mandat sont aussi des élections locales via le renouvellement des Assemblées d’Etats qui gèrent la politique de chacun des Etats. Les élections locales peuvent concerner d’autres aspects également comme le choix du shérif, la commission scolaire ou le poste de procureur général.  

Au niveau local, les positions les plus conservatrices devraient être mises en avant. Traditionnellement, il s’agit d’un secteur politique qui avait été délaissé par Les Républicains alors que les Démocrates avaient compris l’influence qu’ils pouvaient avoir. Ils avaient réussi à placer des militants progressistes au sein de ces commissions. Au vu du travail fait par ces commissions, notamment les commissions scolaires, une rébellion des citoyens de base s’est installée depuis quelques années, notamment du côté Républicain et conservateur, et qui ont décidé de se présenter à ces commissions. Ils vont voter pour éviter d’y retrouver des individus qui mènent des politiques qui leur déplaisent considérablement.

A tous les niveaux, du niveau fédéral jusqu’au niveau local, on s’attend à ce que la cause conservatrice soit favorisée par le scrutin. 

William Thay et Emeric Guisset : Les mid-terms de 2022 ont une importance particulière : d’un monde en crise, du contexte national marqué par un pays de plus en plus fracturé et également en raison des conséquences de ces midterms.

Le contexte international voit un tournant pour les États-Unis depuis la Chute du Mur de Berlin entrainant la fin de l’histoire de Francis Fukuyama. Ainsi, les États-Unis ont vu leur position hégémonique contestée sur les différents théâtres d’opération. Cela s’est démontrée avec le retrait d’Afghanistan marquant la perte d’influence des Américains dans le Moyen-Orient depuis la Seconde Guerre du Golfe, le refus de Barack Obama de bombarder la Syrie de Bachar Al-Assad, et le fiasco du retrait d’Afghanistan. De même, leur position européenne s’est certes renforcée depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, mais l’enjeu même du conflit est la volonté de Vladimir Poutine de porter un coup à l’Otan. Cela aurait été inimaginable il y a quelques années. Enfin, leur objectif stratégique depuis le pivot entamé par Barack Obama, est l’Indopacifique et la concurrence avec la Chine.

Ainsi les midterms peuvent avoir une important sur la politique étrangère américaine. Si un consensus est désormais partagé dans l’opinion et dans la classe politique américaine sur la menace chinoise, la méthode employée pour y faire face continue à faire débat. Joe Biden et les Démocrates sont actuellement plutôt sur une stratégie de bloc en réactivant le clivage démocratie – autocratie et en s’impliquant en Ukraine et à Taïwan. De l’autre côté, les Républicains, et Donald Trump en tête, dénoncent une attitude qui conduirait le monde dans une troisième guerre mondiale et préfèrent défendre le leadership américain à travers la notion de « America First ». La question essentielle pour eux, au-delà de la définition des objectifs à savoir limiter l’influence de Vladimir Poutine et conserver le leadership mondial face à la Chine, est celle de la stratégie et des moyens. Comment parler et affronter Vladimir Poutine pour stopper la guerre en Ukraine ? Est-ce que Joe Biden pourra maintenir son soutien à l’Ukraine avec un Congrès républicain ? Quelle stratégie pour maintenir le leadership américain face à Xi Jinping ?

Sur le plan national, nous voyons l’émergence de plusieurs enjeux : relance économique, crise avec l’inflation, sociétal avec l’avortement, et démocratique. Sur la relance économique, Joe Biden a lancé un grand plan d’investissement composé devant permettre la transition énergétique et le renouvellement des infrastructures. Seulement, ce plan pourra-t-il se maintenir sous cette forme avec un Congrès sous le contrôle des Républicains ? Ou ces derniers ne vont-ils pas réorienter la politique économique en faveur d’autres secteurs ou d’autres priorités ? Sur la crise de l’inflation, un Congrès républicain pourrait modifier et influer la position de la Réserve fédérale sur sa politique monétaire et emporter des conséquences nationales et mondiales.

Cette année a également été marquée par le changement de jurisprudence de la Cour Suprême sur l’avortement. Un Congrès Républicain viendra confirmer et conforter la position des juges suprêmes américains ancrant pendant plusieurs décennies une Cour Suprême conservatrice sur les questions de sociétés et avec une interprétation rigoriste de la Constitution. De plus, ces midterms sont les premières élections nationales qui se déroulent depuis l’épisode du capitole. En deux ans, la situation de la démocratie américaine ne s’est guère améliorée. Elle reste encore profondément divisée sur les événements de la dernière présidentielle puisque plus de la moitié des sympathisants Républicains estiment encore aujourd’hui que Donald Trump s’est fait voler sa victoire.

Dans un monde en crise, un changement de politique de la première puissance mondiale aura nécessairement des conséquences au niveau mondial. De plus, il faut ajouter que les Démocrates et les Républicains étaient habitués par le passé à adopter des accords dit bipartisan. La polarité entre les deux camps réduit cette possibilité, d’autant qu’elle encourage à une course à la radicalité des deux partis. Ainsi, il y a plus de chance que les positions entre les démocrates et les républicains s’éloignent qu’elles ne se rapprochent, surtout avec l’élection présidentielle 2024 à l’horizon. Il faut également ajouter que les États-Unis ont une conception stricte de la séparation des pouvoirs. C’est-à-dire que le Congrès possède presque exclusivement le monopole du pouvoir législatif américain, et que le président sera limité dans ses fonctions. Ainsi, le vainqueur des élections de mi-mandat aura la main sur l’adoption des lois de la première puissance mondiale.

Le Financial Times a estimé que ces mid-terms seraient la mère de toutes les élections de mid terms. Dans quelle mesure cela va-t-il être le cas ?

Gérald Olivier : Les élections de mid terms sont toujours importantes. Elles constituent une première sanction pour l’administration en place. Le président est élu depuis deux ans et ce scrutin s’apparente à un référendum sur sa politique. Les Etats-Unis traversent actuellement une période de crise qui est grave au niveau de l’inflation, de la criminalité, de l’éducation, de l’énergie, de l’immigration clandestine ou bien encore la crise des opiacés. Les Etats-Unis sont dans un moment extrêmement difficile. Il est possible que le vote sanction soit d’une ampleur relativement importante cette année et qu’un certain nombre de gens soient surpris. L’Amérique est extrêmement polarisée et l’est de plus en plus. Le président Joe Biden n’a rien arrangé sur ce sujet. Il a trahi la principale de ses promesses. En 2020, grâce à son expérience, il devait mettre un terme aux divisions importées par Donald Trump et réconcilier l’Amérique avec elle-même. Ce n’est absolument pas ce qu’il a fait.  Dans un récent discours cette semaine, il a dénoncé les positions de la quasi-totalité de l’électorat Républicain ou de n’importe qui soutenant Donald Trump. Dire que l’opposition politique s’apparente à des « terroristes » ne constitue pas un programme et n’est pas une manière de gérer une démocratie. Il y a une polarisation intense du débat aux Etats-Unis. Il y a la crainte d’un certain nombre de débordements. La gauche américaine contrôle la rue et n’hésite pas à avoir recours à une forme de violence populaire lorsque les résultats leur déplaisent. Si le raz-de-marée Républicain était trop important, des mouvements radicaux pourraient descendre dans la rue et semer le chaos et on blâmerait à nouveau les Républicains. La tension est palpable aux Etats-Unis. Elle est alimentée par le scrutin lui-même et par le mode de dépouillement. L’élection présidentielle américaine, il y a deux ans, a été l’une des plus contestées dans l’histoire des Etats-Unis avec des cas d’irrégularités qui ont été notés. Un certain nombre d’électeurs vont regarder le dépouillement, le temps qui s’écoulera entre le scrutin et l’annonce du résultat. Ce résultat va-t-il évoluer entre la nuit des élections et une semaine plus tard, après avoir comptabilisé les bulletins venus par correspondance ? Il y a actuellement une véritable défiance d’une partie de l’électorat à l’égard du système. Le déroulement même du scrutin va être suivi de très près et va créer des tensions supplémentaires.    

William Thay et Emeric Guisset : Le Financial Times estime cela en raison des événements de la dernière élection présidentielle en 2020. Il l’argumente via plusieurs points. Tout d’abord, le système politique américain est fragile dans la mesure où presque la moitié du pays pense que l’élection a été volée à Donald Trump. Cela ne permet pas d’engendrer la confiance des citoyens à l’égard de leur système politique et du système de démocratie représentative. Ainsi, sans confiance, peut-on avoir une démocratie viable ? Cette situation est renforcée par le jeu politique des deux partis qui ont tendance à surjouer leur différence de positionnement pour pouvoir se démarquer et séduire les électeurs qui sont appelés aux urnes tous les deux ans (entre l’élection présidentielle et les élections de mi-mandat). Ensuite, il y a l’affaire concernant la contestation des résultats qui était souhaitée par les partisans de Donald Trump. Cela reposait sur un refus de certifier les résultats par les États fédérés, ce qui rappelle la guerre civile américaine avec une rébellion des États contre l’État fédéral. Enfin, il y a le climat insurrectionnel aux États-Unis, avec l’attaque du Capitol du 6 janvier 2021 et l’attaque du mari de Nancy Pelosi.

De plus, le système politique américain actuel est en train d’atteindre ses limites. L’esprit des midterms s’est modifié pour passer d’une logique de Check and Balance à une volonté de concentration. Nous avons une modification du rôle donné aux midterms : initialement vu comme un moyen d’appliquer une séparation stricte des pouvoirs avec des calendriers électoraux différents entre l’élection présidentielle et les élections de mi-mandat, elles sont devenues centrées sur la personnalité du président. L’élection présidentielle est bien sûr accompagnée par des élections à la Chambre des représentants et un tiers du Sénat, permettant au président nouvellement élu d’avoir un élan politique pour mener sa politique. Toutefois, l’élection de mi-mandat devait permettre un check and balance afin de produire un équilibre entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Seulement, les élections sont maintenant utilisées pour renforcer ou démolir le pouvoir du président américain. Ce dernier va chercher à mettre le Congrès sous sa coupe en soutenant ses partisans et ses fidèles lors des primaires de son parti pour n’avoir que des législateurs qui lui sont fidèles. Le cas le plus illustratif est l’exemple de Donald Trump, qui a progressivement nettoyé le parti Républicain de ses opposants. De plus, le président va aussi chercher à assoir sa domination sur le pouvoir judiciaire en nommant des juges à la Cour Suprême mais également dans les Cours fédérales. Ainsi, nous passons progressivement à un système qui ressemble à celui de la France, avec une volonté de concentration de tous les pouvoirs. De la même manière, le parti opposé au président qui contrôlerait la Chambre, cherche davantage à démolir le président sur le plan politique plutôt que de porter son propre agenda législatif en termes de politiques publiques. Ainsi, les Républicains ont passé leur temps à attaquer frontalement Obama, comme les Démocrates l’ont fait avec Donald Trump. En conséquence, les midterms ne sont plus perçues comme la possibilité de modifier la politique des États-Unis, mais d’empêcher l’action du président en place.

A quel point le résultat de ces midterms va-t-il être déterminant, non seulement à court terme mais aussi à plus long terme pour l'avenir des partis démocrates et républicains mais aussi pour l'avenir du pays ?

William Thay et Emeric Guisset : Si nous nous plaçons dans le scénario qui est le plus probable à ce stade, c’est-à-dire une perte de contrôle des deux chambres par les Démocrates les conséquences à court terme pour Joe Biden est la perte de la maîtrise de l’agenda législatif et la mise en place d’une forme de cohabitation avec les Républicains. Joe Biden perdrait son capital politique et le parti Démocrate sortirait affaibli de ses élections. En parallèle, Donald Trump, principal artisan du succès Républicain, verrait son emprise sur le parti renforcé.

A plus long terme, l’avenir des partis Démocrates et Républicains dépend de l’ampleur des résultats des midterms.

Dans le scenario d’une large victoire des Républicains, les Démocrates seraient alors quasiment sûrs de perdre la prochaine élection présidentielle. Nous assisterions alors à une crise profonde au sein du parti Démocrate et à une bataille pour le leadership entre l’aile centriste (Obama, Biden, Pelosi) et l’aile gauche (Ocasio-Cortez, Sanders, Warren). Cette bataille pour le leadership créerait une grande incertitude sur le choix du candidat démocrate pour 2024, Joe Biden pourrait ne pas se représentait. A l’inverse du côté Républicain, ce scénario confirmerait de façon durable la trumpisation du parti et placerait Donald Trump comme probable candidat du parti Républicain et favori de la prochaine élection présidentielle.

Dans un scénario beaucoup plus serré, voire où le parti Démocrate conserverait le contrôle du Sénat, le doute changerait de camp. Joe Biden serait renforcé dans sa position et certainement en capacité de se représenter en 2024. Il serait une fois encore le meilleur rempart à Donald Trump et à un parti Républicain trumpiste. La mutation du parti Démocrate en faveur de sa ligne la plus radical serait encore une fois retardée. A l’inverse côté Républicains, un doute pourrait naitre sur la capacité de Donald Trump à faire gagner les Républicains en 2024 alors que l’anti-trumpisme est toujours aussi fort chez les Démocrates. Sans forcément remettre en cause la ligne politique, la question de l’incarnation pourrait se poser lors des primaires Républicaines pour choisir un autre candidat. Ceci pourrait conduire le parti Républicain dans un situation difficile, en devant s’accommoder de l’ombre imposante de Donald Trump sans qu’il ne soit pour autant en première ligne.

Enfin, pour l’avenir du pays, au-delà du changement de pouvoir législatif et de l’orientation des politiques publiques qui seront menées, c’est sa capacité à préserver le système démocratique qui sera scruté. Assisterons-nous à une contestation massive des résultats le soir des élections ou le pays parviendra-t ’il à tourner la page des événements du Capitol ? Dans le cas d’un scénario très serré pour le contrôle du Sénat, où tout se jouerait lors d’une élection spéciale en Géorgie le 6 décembre, les heurts pourront-ils être évités ? A contrario, dans le cas d’une très large victoire des Républicains, les Démocrates accepteront-ils leur sort ou auront-ils une attitude amplifiant la fracturation de la société américaine ?

Après les polémiques de l'élection de 2020, ces élections vont-elles être un test pour le système tout entier ?

William Thay et Emeric Guisset : Le système politique américain a fait preuve d’une incroyable résistance depuis son adoption par les pères fondateurs et l’indépendance des États-Unis. Le pays a su affronter, une révolte des États fédérés du Sud conduisant à une guerre civile, l’assassinat d’un président, deux guerres mondiales, une guerre froide, le passage au statut de première puissance mondiale, etc. Pour autant, le cœur institutionnel n’a pas varié depuis plus de 200 ans, alors qu’entre temps, la France a connu : l’Ancien Régime, la Révolution, la Terreur, le Consulat, l’Empire, la Restauration, la Monarchie de Juillet, la 2nd République, le Second Empire, la IIIème République, le régime de Vichy, la IVème République et enfin la Vème République. Cela montre la résilience du système politique américain et la force du check and balance qui a permis de faire face aux différentes crises. Seulement, cette conception s’arrête lorsque les acteurs politiques ne jouent plus le jeu des institutions pour adopter une stratégie différente.

Hormis en cas de contestations majeures du scrutin, nous ne croyons pas que les élections de mi-mandats vont être un test pour tout le système en entier pour plusieurs raisons. Tout d’abord, cette élection est un prélude pour la véritable bataille à savoir l’élection présidentielle de 2024. Il est ainsi probable que nous assistions davantage à un jeu politique des acteurs pour gagner des points en vue des prochaines échéances électorales. Ensuite, la multitude des scrutins ne peut pas conduire à un scénario similaire à l’élection présidentielle de 2020. Il est ainsi peu probable qu’une seule élection conduise à faire pencher la balance du cours des événements. Enfin, si la démocratie américaine est en crise, le système tient toujours. Malgré les événements du Capitole, Joe Biden a été intronisé comme président comme le prévoyait la procédure. De plus, on peut ajouter que la participation lors de la dernière élection présidentielle a été la plus élevée. 

À ce titre, il faudrait s’interroger, est-ce que le régime institutionnel américain risque de changer profondément ? Ou allons-nous plutôt assister à un changement des pratiques et des coutumes ? Plusieurs interrogations se posent à long terme comme la relation entre l’État fédéral et les États fédérés qui peuvent se mettre en révolte d’une manière ou d’une autre, ou plutôt dans une contestation vis-à-vis de Washington. Le maintien d’un concept de Check and Balance entre les trois pouvoirs dans la mesure où nous approchons de plus en plus à une collusion entre les trois pouvoirs et son éventuelle maitrise par un seul parti. La possibilité de façon démocratique pour les États-Unis d’avoir une succession d’élections tous les deux ans. Ainsi, les présidents n’ont pas le temps de mener une politique sans subir un vote sanction au bout de deux ans et perdre une grande partie de leur marge de manœuvre. De plus, les partis sont de plus en plus polarisés et nous avons moins d’accords dits bipartisans. Dans cette situation, qui est en capacité d’assurer la politique à long terme des États-Unis, ce que l’on appelle l’État profond ? Cette hypothèse pourrait renforcer la crise démocratique des États-Unis sans pour autant que l’on voit une possibilité d’un changement de système ou de régime institutionnel. 

Plus que les résultats à la chambre des représentants et au Sénat, faut-il scruter ce qui va se jouer aux élections locales et aux postes de gouverneurs ?

William Thay et Emeric Guisset : En plus des résultats de la Chambre des Représentants et au Sénat, les Américains vont élire dans 36 États leur Gouverneur via des élections locales dont les résultats devront aussi être scrutés avec attention. Si à très court terme la bascule d’un État d’un gouverneur Républicain à un gouverneur Démocrate (ou inversement) ne modifie pas de façon importante l’exercice de pouvoir américain, sur le long terme une bascule de certains État pourraient avoir des conséquences importantes.

Les élections locales « Legislature States » qui permettent de définir la composition du pouvoir législatif d’un État seront aussi très importante. Ce sont via ces élections qui définissent les législatures de chaque État que devient possible la modification de la législation d’un État. Dans un contexte où la question du droit à l’avortement n’est plus un droit constitutionnel et a été reléguée à la discrétion de chaque État, les élections locales auront encore plus d’importance que les fois précédentes.

En effet, ces élections locales auront un faible impact sur la fin du mandat de Joe Biden (contrairement aux élections à la Chambre et au Sénat) mais sont déterminantes en prévision de l’élection présidentielle de 2024. Il faut ainsi rappeler que c’est bien au niveau des gouverneurs que s’exerce le contrôle du déroulement des élections nationales dans chaque État. Dans les faits les gouverneurs jouent un rôle prépondérant dans l’organisation des élections, la définition des règles électorales et le découpage des circonscriptions. C’est donc à l’échelon des gouverneurs que sera décidé la possibilité ou non d’avoir recours au vote par correspondance en 2024, l’obligation de transmettre ou non une pièce d’identité et l’ensemble des détails opérationnels de l’élection.

Alors que le comportement des électeurs Démocrates et Républicains est sensiblement différent vis-à-vis de l’utilisation du vote par correspondance, la modification des règles électorales dans un État peut avantager au choix l’un des deux camps. Dans un contexte où la précédente élection présidentielle a été très disputée, le moindre changement de gouverneur aujourd’hui peut déjà avoir des conséquences importantes pour la présidentielle de 2024.

En particulier, ce sont les élections locales qui ont lieux dans les potentiels swings states qu’il faudra suivre de près. Le cas du Wisconsin devra être observé puisque dans cet État clé de l’élection présidentiel de 2020 le gouverneur élu pourrait être Républicain alors que le sortant est Démocrate. Une situation similaire pourrait être observée dans le Nevada et l’Arizona, puis dans une moindre mesure dans l’Oregon, le Minnesota et le Michigan.

Un basculement d’un certain nombre de gouverneurs et de localités particulières pourraient-elles avoir une influence sur la politique américaine ?

Gérald Olivier : En histoire politique américaine, les historiens parlent régulièrement d’un réalignement. Cette situation intervient lorsqu’un électorat a basculé dans un sens de manière sociologique, économique ou culturelle et qu’une nouvelle coalition d’intérêts se soit forgée et qui soutienne de manière durable une certaine forme de gouvernement.

En 2008, beaucoup d’observateurs estimaient qu’il y avait une génération Obama qui allait garantir au parti Démocrate le contrôle des institutions pour une à deux générations à venir. Cela ne s’est pas du tout passé ainsi. Après les mandats d’Obama, Hillary Clinton a perdu face à Donald Trump. On constate aujourd’hui que la coalition Obama, la « rainbow coalition », articulée autour des jeunes, des femmes, des Noirs et des Hispaniques est en train de se déliter.

Un progrès notable du vote Républicain a été enregistré chez les Hispaniques (au-delà d’un vote sur trois). Auparavant, ils votaient majoritairement pour les Démocrates.  

Le monopole qu’avaient les Démocrates auprès des Noirs (90% de la communauté noire vote Démocrate). Pour ces élections de novembre 2022, ce chiffre devrait être en-dessous de 80%.

Nous assistons donc à un début de réalignement. Le vote des femmes évolue aussi. Les femmes votaient majoritairement pour le parti Démocrate. La question de l’avortement est une question qui a été mise en avant par les Démocrates mais il n’y a pas que cette question qui intéresse les femmes. L’autre enjeu qui a un fort impact sur l’électorat féminin est celui de la criminalité, la petite et moyenne criminalité au quotidien comme le fait de ne pas se faire voler son sac à main dans les transports en commun, ne pas risquer de se faire violer lorsque l’on rentre chez soi après 20 heures. Dans un certain nombre de villes américaines, c’est malheureusement ce qui est en train de se passer. 

Les femmes sont les principaux acheteurs de petits pistolets de défense. Les femmes se mettent aujourd’hui à acheter des armes à feu pour se défendre en cas d’agression. Comme les Démocrates ont largement ignoré cette question de l’explosion de la criminalité au quotidien, ils risquent d’en payer le prix dans les urnes. 

Les Démocrates se sont appuyés sur l’idée que les Républicains attaquaient l’avortement et qu’en défendant l’avortement ils allaient récupérer le vote féminin. Mais ce n’est pas le cas. La question de l’avortement n’est pas la seule question qui intéresse les femmes américaines aujourd’hui. 

Ce contexte et ces élections de mi-mandat pourraient-ils donc être la préfiguration d’une tendance de long terme sur le plan électoral ?

Gérald Olivier : Il faudra scruter attentivement les résultats et la manière dont le scrutin va se dérouler, notamment pour le dépouillement, notamment en Pennsylvanie par rapport à la situation en 2020.

Il faudra étudier le succès des candidats Républicains soutenus par Donald Trump, une forme d’élection dans l’élection.  

Donald Trump songe déjà à  se représenter en 2024. Si les candidats qu’il a soutenus et qui ont été désignés aux primaires étaient amenés à remporter très largement les scrutins auxquels ils sont présents, la force considérable du mouvement Make America Great Again sera à nouveau démontrée. 

Les Républicains vont étudier cela de très près. A partir des résultats, des arbitrages seront menés notamment vis-à-vis de la candidature de Donald Trump en 2024. Ron DeSantis (gouverneur de Floride), de Ted Cruz (gouverneur du Texas) ou de Rob Portman dans l’Ohio pourraient défier Trump pour la domination du parti pour 2024 et mettre un terme aux ambitions de l’ancien locataire de la Maison Blanche.

L’une des leçons du scrutin sera la force de Donald Trump au sein du parti Républicain. Pour l’instant, la nomination pour 2024 est entre ses mains. Si les résultats soutenus par Donald Trump ne font pas des résultats satisfaisants, des membres et des cadres du parti Républicain mettront un terme au projet de candidature de Donald Trump.

2024 est la dernière chance pour Donald Trump. S’il obtient la nomination du parti Républicain, cela sera sa troisième candidature à l’élection présidentielle. En cas d’élection, cela sera son deuxième mandat et il n’y en aura pas derrière. En cas de défaite, il ne reviendra pas en 2028 car il aura déjà eu sa deuxième chance et il sera très âgé. Les Républicains sont conscients de ces enjeux et de ce contexte pour Donald Trump. Soit ils lui donneront cette chance ou ils estimeront qu’il n’est pas capable de gagner et ils trouveront un autre candidat. 

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