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Etats-Unis ou Chine, zone euro ou Tunisie, Liban, Turquie : d’où viendra la prochaine crise mondiale ?
©Reuters

Et quand ?

Allons-nous payer les excès des grands, Etats-Unis d’abord, ou les faiblesses des petits ?

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Quand, comment et d’où viendra cette prochaine crise mondiale ? Elle pourra naître des excès des grands, dont on nous avertit sans cesse, à moins que ce ne soit des fragilités des petits, dont on nous parle moins. Sachant bien sûr que si les « grands » souffrent, les « petits » plongent. Sans oublier que si les faibles sont menacés, c’est qu’ils ont plus de problèmes que les grands. Sans oublier surtout que ce sont aujourd’hui les excès passés des grands, trop de dette puis trop d’interventions pour faire baisser leurs taux (quantitative easing), qui leur permettent aujourd’hui de continuer à s’endetter pas cher, donc d’alimenter les petits ! Quel jeu ! Qui sifflera la fin de la partie ? Qui perdra plus à ce billard à cinq bandes ?

Les excès des grands ? C’est toujours trop de dette, mais cette fois c’est plus facile et moins cher que jamais ! « L’ancienne dette » vient surtout de la crise américaine des subprimes. C’étaient des crédits au logement structurés pour ne pas être chers et permettre l’accession à la propriété, donc à la dette, à des populations fragiles. « Normalement », sans ces arrangements sophistiqués, elles n'auraient pu y prétendre. « La nouvelle dette » vient de ce qui est fait pour atténuer les excès de l’ancienne ! Au début, dans les années 2000, il s’agissait de soutenir la croissance américaine en logeant des ménages très fragiles. En même temps, en zone euro, il s’agissait de faire profiter Espagne, Portugal et Grèce de la baisse des taux permise par l’union européenne. Ces taux plus bas permettraient de loger des ménages fragiles (comme toujours), et à leurs pays de rattraper le peloton. Ces taux plus bas, grâce à d’ « habiles » structurations de crédits aux États-Unis ou à « l’effet euro » en Europe du sud permettent de construire plus pour loger plus, en endettant plus. Tout va bien au début, comme toujours. La croissance est forte, le logement va, les prix des maisons montent, tout le monde se sent plus riche. Puis la machine s’emballe : plus de crédits sont faits à des ménages plus fragiles d’un côté, trop de logements sont produits de l’autre. Les impayés montent, avec ses maisons vidées ou vides, banques et assureurs enregistrent des pertes croissantes, l’inquiétude gagne, vient la récession. Les banques centrales baissent alors leurs taux courts au plus bas, puis font baisser les taux longs en achetant des obligations, publiques et privées. Tous les taux baissent, ce qui amortit la crise et doit permettre la remontée.

Mais la baisse des taux longs fait certes repartir la machine et l’emploi aux États-Unis, mais pas l’inflation, pas beaucoup repartir la machine et l’emploi en zone euro. Que se passe-t-il ? Les raisons abondent et aboutissent à la même thérapie : plus de crédit moins cher ! Aux États-Unis, même si les derniers chiffres de croissance sont toujours bons, 3,1% en rythme annuel au premier trimestre, l’inquiétude sur le futur augmente, avec ce taux d’inflation qui ne parvient pas à passer la barre des 2%. La révolution technologique qui détruit les emplois peu ou moyennement qualifiés et pèse sur les conditions d’embauche, plus les tensions géopolitiques qui modèrent les projets d’investissement, jouent partout. Aux États-Unis, sous influence trumpienne (?), la banque centrale s’inquiète plus d’un ralentissement éventuel que d’une inflation qui ne vient pas. Elle va baisser ses taux, voire reprendre ses achats de bons du trésor, au moment même où explose le déficit budgétaire. Même chose en zone euro, où la confiance des entrepreneurs s’érode, la croissance patine (1,6% en rythme annuel) et l’inflation est « en retard » (1,2%). Jerome Powell, patron de la Fed prévient qu’il se prépare à baisser ses taux. Mario Draghi, à la BCE, fera de même (avec des mesures d’aides aux banques), puisque la politique monétaire prend plus de temps que prévu à montrer ses résultats. Donc partout plus de crédit moins cher !

Et le Liban, et la Tunisie, pour parler d’amis voisins ?Le Liban, c’est plus de 50 milliards de dollars de PIB, une dette publique à 152% du PIB et des problèmes politiques qui paraissent inextricables. C’est 6 millions d’habitants, 1% de croissance seulement, 3,5% d’inflation et 6,2% de chômage officiel, avec un coefficient d’occupation des hôtels 4 et 5 étoiles à 74% début 2019 (contraste !). C’est entre 1 et 2 millions de réfugiés, des problèmes d’organisation politique et administrative permanents, un déficit public qui dépasse 11% du PIB (avec un déficit primaire de 1,1% du PIB), une dette publique dont le service représente 31% des dépenses publiques et 49% des recettes. Avec ces chiffres, on comprend que ce sera difficile : les Libanais sont au courant. En banque, plus de 70% des dépôts sont en dollars, dollars qui rapportent 5,7% ! Et les derniers chiffres montrent même une baisse de  1,7 milliard de dollars au cours des quatre premiers mois de 2019, contre +1,9 sur la même période l’an dernier

La Tunisie, c’est 11 millions d’habitants, 40 milliards de dollars de PIB, une dette publique de 69% du PIB et 800 000 réfugiés environ, majoritairement syriens. Le déficit public y est de 4,6%, la croissance de 1,1% et le taux de chômage officiel de 15,3%. Selon une enquête du Pew Research Center sur 2018, publiée en mai 2019, 70% des Tunisiens ne sont pas satisfaits de leur démocratie, le cinquième rang de l’enquête, après Mexique (85%), Grèce (84%), Brésil (83%) et … Espagne (82%). 24% envisagent de quitter leur pays (contre 8% des Mexicains et 7% des grecs), 70% s’y préparent. La situation économique de la Tunisie est fragile, sa situation sociale et politique plus encore. C’est de Tunisie qu’est né le « printemps arabe », avec actuellement un climat alourdi par deux attentats et l’hospitalisation du Président Essebi (92 ans). Ceci se passe à quelques mois des élections législatives prévues le 6 octobre et présidentielle le 10 novembre, dans un pays à 200 partis où peut arriver une victoire du parti islamiste Enharda, qui a actuellement le plus de membres à l’Assemblée (68 sur 217).

Tunisie et Liban, deux pays fragiles et proches de l’Europe, sans être les seuls. Peut-on les laisser sans soutien et se soucier ensuite des conséquences migratoires de leurs difficultés ? Bien sûr, personne ne sait quand peut y survenir une crise mais, assez étrangement, les centres de recherche internationaux regardent ailleurs. Ils avertissent des risques majeurs, mais sont bien plus prudents pour classer, par ordre d’imminence, les risques moindres à l’échelle mondiale, pas à celle du pays qui en pâtirait et de ses voisins s’entend. Agences de rating, centres géopolitiques, banques, assureurs, gestionnaires, banques centrales, ministères d’affaires étrangères et les trésors, comme les instances internationales (FMI, BRI : Banque des Règlements Internationaux) font de même. 

Nous mesurons les grandes lignes de fracture de notre « sphère financière » et nous en inquiétons, mais pas celles des plus proches. Nous ne suivons pas ce qui se passe chez le voisin de l’autre côté de la mer. Parce qu’il est plus petit ?

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