Etats-Unis : Joe Biden s’est-il trumpisé ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Donald Trump regarde une vidéo du président Joe Biden lors d'un rassemblement pour le sénateur Marco Rubio, le 6 novembre 2022 à Miami.
Donald Trump regarde une vidéo du président Joe Biden lors d'un rassemblement pour le sénateur Marco Rubio, le 6 novembre 2022 à Miami.
©JOE RAEDLE GETTY IMAGES AMÉRIQUE DU NORD Getty Images via AFP

Bonnes feuilles

Anne Toulouse publie « L'art de trumper Ou comment la politique de Donald Trump a contaminé le monde » aux éditions du Rocher. La politique est descendue de son piédestal. Trump a imposé Twitter comme un véhicule sans filtre mettant la parole présidentielle au même niveau que la logorrhée qui se déverse sur les réseaux sociaux. Extrait 1/2.

Anne Toulouse

Anne Toulouse

Anne Toulouse est une journaliste franco-américaine. Auteur de deux livres sur Donald Trump, elle « l'étudie » depuis huit ans, et partage actuellement son temps entre Arlington, en Virginie, et Paris. Son dernier livre s'intitule L'art de "trumper" : ou comment la politique de Donald Trump a contaminé le monde (Ed. du Rocher, 2024). Elle a également publié un essai sur le wokisme en 2022 aux éditions du Rocher.

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Il est très probable que sans Donald Trump, Joe Biden n’aurait pas eu un premier mandat, sans parler de songer à doubler la mise. Ses précédentes tentatives ne lui donnaient pas beaucoup d’espoir. En 1987, il avait dû se retirer prématurément de la campagne après la révélation qu’il avait plagié, dans l’un de ses discours, le leader travailliste britannique Neil Kinnock. En 2008, il a jeté l’éponge après avoir recueilli moins d’1% des voix lors de la première épreuve, les caucus de l’Iowa. C’est là que sa carrière a pris un nouvel essor lorsque Barack Obama l’a choisi comme vice-président, sans doute parce qu’étant si différents, ils se complétaient. En 2020, le début des primaires a été humiliant pour lui, jusqu’à ce que l’on s’aperçoive qu’en vieux connaisseur de la politique, il avait misé sur la Caroline du Sud, où un puissant réseau, appuyé sur la communauté noire, lui a permis de disperser ses concurrents et d’apparaître comme le seul dénominateur commun d’un parti qui n’était fédéré que par sa volonté d’éliminer Trump. Joe Biden était le grand-père tranquille, qui rassurait le pays, face à un autre grand-père qui s’agitait à la Maison Blanche. Lors de leur premier débat, on a pu constater que les papys avaient de la résistance. Joe Biden a interrompu une tirade trumpienne d’un «  Shut up man! » (« Ferme-la, mec ! »).

Le trait que les deux hommes ont en commun est la truthful hyperbole, que Joe Biden pratiquait avant que Donald Trump ne popularise un concept qui a, finalement, été banalisé d’un mandat à l’autre. Les rapports de Biden avec la vérité sont un mystère, d’autant que la plupart du temps, on ne comprend pas l’intérêt de ses mensonges. Pourquoi a-t-il prétendu, en visitant une usine de poids lourds, avoir conduit l’un de ces mythiques camions à 18 roues? Il a raconté que sa femme s’était trouvée dans une maison réduite en cendres par un incendie, alors que madame Biden avait en réalité appelé les pompiers pour un petit départ de feu dans la cuisine. Il a ressuscité cette anecdote, de manière malencontreuse, en visitant Maui où une centaine de personnes ont péri dans l’incendie qui a ravagé l’île en 2023. L’employé des chemins de fer avec lequel il prétendait avoir eu une conversation pleine d’enseignements lors d’un voyage vers sa résidence du Delaware n’était plus de ce monde depuis plusieurs années. L’un de ses contes les plus élaborés concerne un épisode qui se serait déroulé lors de l’une de ses visites en Afghanistan: on lui aurait demandé de décorer sur le champ de bataille un soldat qui avait plongé dans un ravin pour remonter le corps d’un camarade et qui aurait refusé la médaille en disant qu’elle devrait aller au défunt. Le Washington Post s’est amusé à démonter cette anecdote, racontée à plusieurs reprises avec un grand luxe de détail, ponctuée de « It’s God’s Truth » (« C’est la vérité du Bon Dieu »).

Le quotidien n’a trouvé qu’un seul fait approchant: Joe Biden avait bien décoré un soldat en Afghanistan, mais sur une base militaire et pour avoir essayé vainement de tirer un camarade d’un Humvee en feu, le récipiendaire n’ayant pas suggéré que sa médaille aille à quelqu’un d’autre.

Il y a ainsi de multiples anecdotes où le Président se prend à sa propre logorrhée, mais parfois, ses fantasmes ont une arrière-pensée, comme lorsqu’il mélange, ou feint de mélanger, le coût de ses programmes. Alors qu’en 2020 il cherche l’appui d’une grande figure de la lutte pour les droits civiques, le représentant noir de Caroline du Sud Jim Clyburn, Joe Biden aime évoquer une scène qui se serait déroulée alors qu’il faisait partie d’une délégation parlementaire américaine en Afrique du Sud, pendant l’apartheid. Il raconte, par exemple, lors d’une réunion électorale en Caroline du Sud: « J’ai eu le grand honneur d’être arrêté, avec notre ambassadeur auprès des Nations unies, dans les rues de Soweto, alors que nous essayions de rencontrer Nelson Mandela. » Pendant un autre discours de campagne à Las Vegas, il ajoute quelques embellissements: « Quand plus tard j’ai rencontré Nelson Mandela, il m’a pris dans ses bras et m’a dit: “Je veux vous remercier”, j’ai répondu: “Pourquoi voulez-vous me remercier? ” — “Parce que vous avez été arrêté à cause de moi!” » Nelson Mandela avait-il lu un récit de l’épisode, ou bien la seconde partie de l’anecdote sort-elle, elle aussi, de l’imagination de Joe Biden? En tout cas, ceux qui l’accompagnaient dans ce voyage –  dont l’ambassadeur qu’il cite, Andrew Young  – démentent cette pseudo-arrestation, et la campagne Biden elle-même a convenu, avec embarras, que le candidat avait confondu avec un autre incident. Joe Biden avait été approché par la police, qui voulait le faire sortir de l’aéroport par la porte réservée aux Blancs alors qu’il voulait emprunter celle par laquelle passaient les membres de la délégation noire. Cela en dit long sur ce qu’était l’Afrique du Sud, mais n’a rien à voir avec sa version des faits.

L’une des signatures du Washington Post est Glenn Kessler, un fact checker, qui a la lourde tâche de traquer les mensonges des politiciens (et politiciennes bien sûr!). Il leur décerne des « pinocchios », par référence au personnage dont le nez s’allonge chaque fois qu’il ment. Pour l’anecdote précédente, Joe Biden a remporté quatre pinocchios. Il a obtenu le même score pour les récits, détaillés et répétés, de ses voyages en Chine aux côtés du président Xi Jinping, ce qui lui aurait permis, se vante-t-il, d’être le chef d’État au monde qui le connaît le mieux. Il affirme que lorsqu’il était vice-président, ils ont sillonné le pays ensemble sur 17000 miles, soit près de 30000 kilomètres. Le fact checker n’a relevé que des rencontres occasionnelles entre les deux hommes et pense que l’on ne peut approcher le kilométrage annoncé par Joe Biden qu’en additionnant la distance qu’il parcourait en avion pour ses allers-retours en Chine. En novembre 2022, le Washington Post s’est lassé de compter et a promu le Président au grade ultime de la catégorie: « Pinocchio sans fin ». Pour recevoir cette distinction générique, il faut avoir proféré « des affirmations fausses ou trompeuses, et les avoir répétées si souvent que cela devient une forme de propagande ». Cette division d’élite avait été créée pour Donald Trump. On peut d’ailleurs se demander si les quatre années passées à entendre Donald Trump dire tout et n’importe quoi n’ont pas mithridatisé l’opinion et une partie de la presse, assurant une certaine indulgence à Joe Biden. En d’autres circonstances, ses affabulations, pour ne pas dire ses mensonges, qui pouvaient passer pour une bizarrerie tant que Joe Biden était sénateur, seraient devenues un problème chez celui qui occupe la magistrature suprême.

On peut en dire autant des interrogations sur sa famille. Le fait que les enfants Trump aient été omniprésents à la Maison Blanche, en aient tiré des bénéfices et soient mêlés aux affaires douteuses de leur père, peut-il servir de contrepoids aux histoires sulfureuses qui suivent Hunter Biden? Le Président défend férocement son seul fils survivant, qui reste collé à lui comme une moule à son rocher, y compris pendant les voyages officiels. On ne sait toujours pas sur quels talents il a été engagé par la compagnie de gaz ukrainienne Burisma lorsque son père était vice-président, ni pour quel motif il l’accompagnait en Chine, où il lui a présenté ses contacts en affaires – l’un d’eux lui a par ailleurs offert un diamant d’une valeur de 80 000 dollars. Tout cela est peut-être contenu dans ce que la presse conservatrice a surnommé « l’ordinateur infernal ». Peu avant la campagne de 2020, Hunter a oublié de récupérer et de payer des travaux sur un ordinateur portable devenu ainsi la propriété du réparateur : ce dernier en aurait tiré et fait circuler des e-mails présentant un tableau inquiétant des affaires du fils du Président avec l’Ukraine et la Chine, et des images compromettantes sur sa vie privée. La campagne Biden a mis ces révélations sur le compte d’une désinformation orchestrée par la Russie, sans jamais en apporter la moindre preuve. Le fils du Président a été inculpé de fraude fiscale portant sur un million et demi de dollars de revenus annuels. Il avait dans un premier temps négocié un accord avec la justice, attribué par certains à un talent qu’il a ainsi résumé: « Mon nom vaut de l’or. » On pourrait écrire un livre sur les rapports d’Hunter Biden avec l’alcool, la drogue, les femmes, les montages financiers audacieux et sa dépendance à son père, s’il ne l’avait déjà écrit, ou du moins signé, lui-même.

Les commentateurs ont aussi souvent associé à Joe Biden un autre caractère trumpien: bravado. Lorsque, après l’annonce qu’il briguait un nouveau mandat, une journaliste lui a demandé ce qu’il répondrait aux 70% d’électeurs qui pensaient qu’il ne devrait pas se représenter en raison de son âge, il a répondu par un « Watch me! » (« Vous allez voir! ») plein de défi. Joe Biden a la réputation de ne pas être visité par le doute et de couper court aux objections. Il ne les apprécie pas davantage lorsqu’elles émanent des journalistes. Il a traité à portée de micro le correspondant à la Maison Blanche de Fox News de « Stupid son of a bitch » (« imbécile de fils de p*** »). Il a dit à une journaliste de CNN qu’elle ferait mieux de changer de profession et interrompu un journaliste d’Associated Press avec un « Ça va, mec, lâchez-moi. »

Extrait du livre de Anne Toulouse, « L'art de trumper Ou comment la politique de Donald Trump a contaminé le monde », publié aux éditions du Rocher

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