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Etats-Unis : Trump face à l’insurrection
©Sarah Silbiger / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Mort de George Floyd

Les manifestations et les émeutes qui ont suivi la mort de George Floyd ont largement débordé la question raciale et les brutalités policières. Elles constituent une insurrection organisée contre Donald Trump.

Gérald Olivier

Gérald Olivier

Gérald Olivier est journaliste et  partage sa vie entre la France et les États-Unis. Titulaire d’un Master of Arts en Histoire américaine de l’Université de Californie, il a été le correspondant du groupe Valmonde sur la côte ouest dans les années 1990, avant de rentrer en France pour occuper le poste de rédacteur en chef au mensuel Le Spectacle du Monde. Il est aujourd'hui consultant en communications et médias et se consacre à son blog « France-Amérique »

Il est aussi chercheur associé à  l'IPSE, Institut Prospective et Sécurité en Europe.

Il est l'auteur de "Mitt Romney ou le renouveau du mythe américain", paru chez Picollec on Octobre 2012 et "Cover Up, l'Amérique, le Clan Biden et l'Etat profond" aux éditions Konfident.

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Alors que le calme revient dans les rues des métropoles américaines, désormais patrouillées par des soldats de la Garde Nationale, il devient clair que les violences des derniers jours ne peuvent être réduites à des simples émeutes raciales comme le pays a pu en connaître. Les Etats-Unis ne viennent pas de vivre une flambée de violence communautaire. Le pays vient d’être confronté à une insurrection populaire.

Le mouvement est parti de la mort de George Floyd. Mais celle-ci ne fut qu’un prétexte.  Très vite les protestations sont sorties de ce cadre et la violence s’est propagée à travers le territoire américain en prenant une ampleur sans précédent. La mort de George Floyd n’avait pas grand-chose à voir avec les pillages observés à New York, Atlanta, Nashville, Los Angeles et ailleurs, six jours plus tard, pas plus qu’avec les actes de vandalisme perpétrées la même nuit à Washington D.C., la capitale américaine.  Dans ces actes de haine et d’anarchie se mêlaient la colère sauvage de certains Américains contre le système en général et le président Trump en particulier, et les actions ciblées de groupes radicaux motivés par une idéologie anti-capitaliste et libertaire, et cherchant à abattre la civilisation américaine par le chaos. Ensemble ces deux forces ont tenté de renverser le pouvoir. Ces journées et surtout ces nuits ont constitué l’insurrection la plus étendue et la plus menaçante aux Etats-Unis depuis 1968, quand la démocratie américaine avait été ébranlée par la conjonction de trois mouvements : une révolte estudiantine, l’opposition à la guerre du Vietnam,  et la radicalisation de la communauté noire.

Les émeutes raciales, ou ethniques, sont un phénomène ancien et récurrent de l’histoire américaine. Au XIXe siècle les batailles rangées contre des communautés irlandaises, italiennes, catholiques, juives, chinoises ou autres étaient fréquentes. Toutes les décennies depuis l’abolition de l’esclavage et l’émancipation des esclaves (1865) ont connu des incidents de violence collective impliquant la minorité noire. La plupart du temps, les Noirs n’étaient pas les instigateurs de ces émeutes, mais les victimes.  Parce qu’ils concurrençaient les derniers immigrants, les plus pauvres, sur le marché du travail, et parce que le racisme, qui s’appelait alors « préjugé de race », était profondément ancré dans les mentalités.

Après la Seconde Guerre Mondiale, la déségrégation forcée dans le Sud, couplée aux revendications de la communauté noire pour la reconnaissance de leurs droits civiques – à savoir que les droits des citoyens noirs américains ne soient plus seulement des mots écrits dans la Constitution mais deviennent des réalités concrètes dans la vie quotidienne - engendra deux décennies de fortes tensions avec des éruptions de violence régulières. Les années 1960 virent les ghettos s’embraser chaque été en 1965, 1966, 1967, et 1968 après l’assassinat de Martin Luther King, faisant à chaque fois des dizaines, voire des centaines de tués.

Ces émeutes étaient véritablement des émeutes raciales. Elles mettaient face à face une communauté homogène, les Noirs (flanqués de quelques étudiants et intellectuels blancs, mais très minoritaires) face à la police ou face à la majorité blanche. Elles se déroulaient dans un contexte politique, économique et social, particulier avec des aspirations réelles – le « I have a Dream » de Martin Luther King – et des revendications concrètes – la fin de la ségrégation dans les transports, de la discrimination à l’embauche, ou au logement, etc. Elles exprimaient la colère d’une communauté face à la lenteur, ou au refus, des changements politiques.

Par leur ampleur les émeutes des derniers jours rappellent les émeutes raciales des années 1965-1968. Jamais en plus de cinquante les Etats-Unis n’avaient connu pareille destruction.  Toutefois elles en diffèrent par leur nature et par leurs objectifs. Cela se voit dans le déroulé des événements. Les choses se sont passées en deux temps.

Premier temps : la diffusion de la vidéo de l’arrestation de George Floyd. Les images d’un policier blanc un genou sur le cou d’un homme noir, menotté, à plat ventre et qui se plaint de ne pouvoir respirer, allant même jusqu’à gémir « vous êtes en train de me tuer »,  provoquent une colère généralisée, au sein de la communauté noire et bien au-delà. Toute l’Amérique est choquée par ce qu’elle voit. Le président Trump en tête, qui se dit révolté par les images. Il appelle la famille Floyd au téléphone pour leur dire son dégoût devant de tels actes et leur présenter ses condoléances personnelles et celles de la nation. Le monde politique dans son ensemble est également sous le choc. De même que les forces de police des différentes métropoles qui ne se reconnaissent pas dans le geste de leur collègue.

Aussi quand les Noirs de Minneapolis descendent dans la rue pour crier leur colère, tout le monde trouve cela justifier. Sur instruction du maire de Minneapolis les forces de l’ordre restent en retrait. Il faut laisser la colère s’exprimer, ne pas l’attiser par une présence policière hostile, puisque l’incident qui vient de tout déclencher est une brutalité policière. Mais la colère ne retombe pas. Au contraire. Elle s’amplifie et se nourrit d’elle-même. Quelques voitures sont brûlées des magasins incendiés. Le lendemain soir quand des manifestants se dirigent vers le commissariat du quartier, le maire donne l’ordre de l’évacuer. Mauvaise décision sans doute. Les manifestants envahissent les lieus et saccagent tout, puis mettent le feu au bâtiment.  La manifestation vient de basculer. C’est le début des émeutes. Cela va durer toute la nuit et les nuits suivantes.

Le lendemain le gouverneur de l’Etat du Minnesota essaye ramener la sérénité. Il appelle au calme, au sens civique, souligne que les commerces dévastés appartiennent à des membres des minorités, des noirs, des hispaniques, des coréens, etc. Mais il est trop tard. Les émeutiers ont compris quelque chose de fondamental. Vues les circonstances- le meurtre d’un noir par un policier blanc – la police est en position de faiblesse et c’est le moment d’en profiter.

C’est alors que commence le deuxième temps des émeutes. Nous sommes vendredi, quatre jours après la mort de George Floyd.  Les professionnels de la contestation urbaine se sont mobilisés. Deux organisations vont être particulièrement actives, Black Lives Matter et les Antifas.

Black Lives Matter (BLM, dont le nom signifie “les vies de Noirs comptent ») est une organisation internationale pour la promotion des droits humains et la protection des minorités, ethniques ou sexuelles. BLM fut fondé en 2013 par trois femmes noires:  Alicia Garza, Opal Tometi et Patrisse Cullors. Le mouvement revendique une lutte internationale contre « la suprématie blanche » et prône une société alternative, anti-capitaliste.  et non patriarcale.

Le mouvement « Antifa » (pour « anti-fasciste ») est une mouvance internationale d’extrême gauche qui affirme lutter contre les suprémacistes blancs et toutes les tendances « fascisantes » au sein de la société. Ses membres s’habillent tout de noir, avec casques et foulards pour ne pas être reconnus, d’où leur surnom de « black bloc ». Ils abordent les manifestations publiques comme des opportunités de guerilla urbaine. L’organisation n’a ni chef, ni structure, mais peut mobiliser ses membres par les réseaux sociaux, y compris par des communications cryptées. Ses membres maitrisent à la fois les tactiques de guerilla, les techniques de combat individuel, les technologies de l’information, et les principes de la désinformation. La destruction de la civilisation capitaliste et de ses symboles est sa raison d’être, la violence et la terreur, son mode opératoire.

Vendredi, c’est aussi le début du week-end. En ces temps de confinement (pour cause de pandémie de coronavirus), beaucoup de jeunes urbains sont encore plus désœuvrés et plus sur les nerfs que d’habitude. Ils vont aller se défouler, passer leur colère, et se refaire une garde-robe à l’œil, au passage. Confiants qu’ils ne craignent pas grand-chose d’une police qui a reçu l’ordre de laisser faire.

Le chaos peut commencer.

Le gouverneur du Minnesota, qui la veille déclarait comprendre les manifestants, affirme à présent que «de mauvais acteurs » se sont glissés parmi les protestataires. De fait les images des différentes émeutes dans le pays présentent tantôt des adolescents en T-Shirts ou capuches affairés à briser des vitrines à coup de skateboard et tantôt des individus casqués, vêtus de noirs, et armés de marteaux qui ciblent les véhicules de police pour en tabasser les occupants et les incendier.

Le garde des sceaux (Attorney General) William Barr intervient pour dénoncer la présence des « antifas » parmi les manifestants. Il souligne que passer les limites d’un Etat, pour aller semer la destruction dans un autre est un crime fédéral. Signifiant que les personnes dans cette situation s’exposent à des sanctions plus sévères.

A Los Angeles, ville tentaculaire s’il en est, les émeutiers se déplacent sur des dizaines de kilomètres, loin des quartiers populaires jusqu’à West Hollywood ou Beverly Hills, pour aller dévaliser les boutiques de luxe de la fameuse Rodeo Drive.

Quand les émeutiers ne s’en prennent pas aux commerces, ils attaquent les bâtiments publics et ceux qui les protègent. A Saint Louis un policier noir de 38 ans est tué, sous l’œil des caméras ! Quatre autres sont blessés par balles. A Las Vegas un autre policier reçoit une balle, en pleine tête. A Oakland, en Californie, deux policiers noirs postés devant le palais de justice, sont visés par balle, l’un meurt, l’autre est hospitalisé.

A New York les pillages se prolongent jusqu’à lundi. Le grand magasin Macy’s de la 34e rue est pris d’assaut. Une enseigne Rolex est dévalisée par des dizaines d’individus cagoulés. Une boutique Nike est mise à sac. Des femmes sont agressées. Officiellement il n’y pas eu de plaintes pour viols, mais la situation tourne à l’anarchie. La police est absente ou passive. Par endroit quelques manifestants, souvent Noirs, tentent de raisonner les casseurs et d’arrêter les pillages. En vain… Le gouverneur de l’Etat, Andrew Cuomo, un Démocrate, souligne que les voyous qui ont envahi les rues de la ville « ne peuvent masquer la  nature de leurs actes en se drapant dans une indignation vertueuse justifiée par le meurtre de George Floyd. » Il s’en prend au maire Bill De Blasio, Démocrate aussi, pour ne pas avoir mobilisé suffisamment de forces de police, alors que la ville dispose de 38 000 agents. Comment aurait-il pu le faire ? Sa propre fille, âgée de 25 ans, avait été arrêtée la veille parmi les émeutiers. A l’annonce de son arrestation De Blasio avait affirmé : « je suis fier d’elle ».

Quand les élites et représentants de l’autorité prennent le parti des émeutiers, on n’a plus à faire à une simple manifestation mais bien à une insurrection généralisée.

A travers le pays, célébrités et intellectuels se relaient sur les antennes pour trouver des excuses aux manifestants. Certains mettent en place un fond de soutiens pour payer la caution des casseurs arrêtés. George Floyd est oublié. Pour tous, le responsable du désordre s’appelle Donald Trump, c’est lui qu’il faut virer.

On retrouve le même discours dans la bouche de journalistes qui s’emploient à jeter de l’huile sur le feu. CNN prend le parti des casseurs. Ses reporters dénoncent « la dictature » Trump, et soutiennent « ceux qui se battent pour leurs droits ».

Mais de quels droits s’agit-il ? La foule déchainée ne présente aucune revendication. Son seul but est de détruire et de renverser le pouvoir. A Washington les manifestants mettent le feu à l’église épiscopale Saint John, un des monuments historiques de la ville, située juste à côté de la Maison Blanche. On l’appelle « l’église des présidents », car depuis sa construction en 1812, tous, ou presque, y ont prié. Au contraire de la Maison Blanche elle ne bénéficiait d’aucune protection particulière. A travers sa destruction c’est bien le pouvoir exécutif qui est visé.

Le président Donald Trump s’est exprimé plusieurs fois pour condamner les violences. Il demande aux gouverneurs d’utiliser tous les moyens à leur disposition pour rétablir l’ordre, et si nécessaire de déployer la Garde Nationale, ainsi qu’ils ont l’autorité pour le faire afin de ramener le calme. Et s’ils ne le font pas, c’est lui-même qui s’en chargera ainsi que la loi l’y autorise. Mettant cette menace à exécution il déploie les patrouilles des Douanes et Frontières (Customs and Border Patrol) dans les rues de la capitale, Washington D.C. Ses agents sont sous l’autorité du Département de la Sécurité Intérieure, et sont près de quarante mille à travers le pays.

Cette affirmation d’autorité a permis de ramener un calme relatif. Pour combien de temps ?

La personne de Donald Trump dérange toujours autant. Président depuis janvier 2017 et pour encore huit mois au moins, il est toujours détesté par la bourgeoisie socio-libérale, par une partie de la jeunesse, et par les élites médiatiques et l’establishment Démocrate. Loin de laisser les institutions démocratiques américaines jouer leur rôle, les plus radicaux de ces opposants ont pris prétexte de la mort de George Floyd, pour tenter de le renverser. Après la tentative de coup d’Etat institutionnel qu’a constitué l’enquête sur une « collusion avec la Russie », après la mascarade politique que fut la procédure de destitution menée contre lui, après le désastre économique infligé par le confinement en réponse à la pandémie de coronavirus, les « anti-Trumps » ont tenté de le faire tomber par la plus vieille des méthodes, une insurrection populaire.

Il ne faut pas s’y tromper. Il existe bien un problème racial aux Etats-Unis. Il existe bien aussi des cas de brutalité policière. Mais les émeutes des derniers jours ne relevaient pas de ces problèmes et n’ont contribué  en rien à les résoudre.

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