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Etat d’urgence et réforme de la Constitution : les parlementaires de gauche en colère peuvent-ils vraiment faire chuter Hollande au Congrès ?
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Bien au-delà des frondeurs, les parlementaires de gauche tirent la sonnette d'alarme sur le projet de loi visant à renforcer la lutte contre le terrorisme. Que peuvent-ils faire concrètement et jusqu'où peuvent-ils aller ?

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Jusqu'où les frondeurs peuvent-ils aller dans leur opposition à la loi de réforme constitutionnelle ? 

Christophe Bouillaud : Tout d’abord, il faut bien indiquer que les « frondeurs » tel que la presse les ont nommés avaient une divergence sur la politique économique et sociale du gouvernement Valls. Il n’est pas sûr que ce soient les mêmes personnes qui s’opposent à la réforme constitutionnelle sur la déchéance de nationalité, même si, d’après les déclarations connues à ce jour, il existe un large recoupement. De fait, l’opposition à la réforme constitutionnelle sur ce point précis semble bien plus large au sein du PS que celle à la politique économique et sociale. Les raisons sont différentes, elles peuvent être très personnelles, comme ce député qui a indiqué son opposition et  qui a rappelé que sa mère elle-même (une juive d’Alexandrie en Egypte) avait été un temps apatride avant de devenir française. On touche là à des questions d’histoire personnelle qui vont bien au-delà des oppositions classiques sur la politique économique et sociale. On touche aussi à des questions de valeurs, soi-disant peu importantes selon un ultra-pragmatique Manuel Valls, mais qui comptent pour beaucoup de gens.

De ce fait, on peut supposer que les opposants à ce texte – s’il reste en l’état - iront jusqu’au bout, en votant contre ou en s’abstenant, parce qu’il y va de leur propre image vis-à-vis d’eux-mêmes. On ne trahit pas sa mère, ou alors on est tout de même le pire des salauds. On veut bien être payé à faire le député ou le sénateur de gauche et voter une politique économique et sociale, renommé « socialisme de l’offre », que n’aurait pas renié la droite du début des années 2000, mais on aura quelques scrupules à voter une réforme constitutionnelle approuvée par le FN. A-t-on donc tant vécu que pour cette infamie ?

En quoi selon vous, une scission du PS est-elle inenvisageable?

Christophe Bouillaud : Les élus tentés par la scission ne sont pas encouragés par l’histoire des scissions du PS depuis 1981 : elles ont toutes échoué à constituer une force importante à gauche du PS. Le « Mouvement des citoyens » lancé par J. P. Chevènement dans les années 1990 est un souvenir. Le « Parti de gauche » de J. L. Mélenchon n’a jamais réussi dans les années 2010 à décoller. Il y a plusieurs raisons à cette débâcle systématique des scissionnistes du PS : d’une part, la direction du PS opère une traque impitoyable contre ses traîtres et fait tout pour leur faire perdre leurs postes électifs, en particulier dans le cadre des scrutins majoritaires  ; d’autre part, les électeurs les moins politisés de la gauche n’ont jamais été désireux de suivre le mouvement impulsé par les élites scissionnistes : le gros des votants de la gauche reste fidèle, quoi qu’il puisse arriver, à la marque PS – un peu comme les électeurs qui s’identifient comme démocrates aux Etats-Unis qui votent la « marque» quoiqu’il puisse arriver. Le contrôle de l’étiquette PS est donc électoralement décisif, et la plupart des élus, sauf ceux qui se sont bâti un fief sur leur seul nom (comme jadis Chevènement), sont incapables de survivre à la perte de cette étiquette. Il en résulte que l’immense majorité des élus locaux socialistes n’ont jamais voulu quitter le parti en cas de scission, car celui-ci (« l’étiquette ») est un élément essentiel de leur possible réélection.

En dehors de ces aspects de moyenne période, il faut considérer le fait qu’une scission du PS, accompagnée d’un réel conflit entre les deux ailes, signifierait pour les prochaines élections une déroute inédite de la gauche. Le poids de la droite et de l’extrême droite dans l’opinion est telle au vu des récentes européennes, départementales et régionales qu’une division du PS serait suicidaire, la direction actuelle joue d’ailleurs beaucoup sur cet argument, et elle n’a pas tort de le faire d’ailleurs.

Quelles seraient les conditions pour arriver à une scission du PS ?

Christophe Bouillaud : Pour les raisons que je viens d’énoncer, je ne crois pas beaucoup à une scission, même si, en fait, il existe en effet toute une diaspora d’élus socialistes depuis 2012. Le parti « Nouvelle Donne » mené par un ancien encarté au PS, Pierre Larrouturou, en est un exemple, mais il y aussi le groupe de la « Nouvelle Gauche socialiste » créé à l’automne 2015. Il y a aussi des élus qui partent discrètement et ne sont plus encartés nulle part (comme récemment la dernière élue socialiste au conseil départemental du nouveau département du Rhône). Cependant, ce sont toujours des seconds couteaux de l’aile gauche  du parti qui partent, et aucun de ces scissionnistes n’apporte en dot au nouveau parti un beau fief électoral, comme jadis le fit Chevènement avec Belfort pour le "Mouvement des citoyens".

Par contre, il faut noter, contrairement aux épisodes précédents de scission liés à un choix de politique économique ou à l’Europe, qu’une majorité de la périphérie, sinon la totalité, du PS est contre la réforme. Les organisations collatérales du PS ne suivent  en effet pas cet abandon de toute morale de gauche en matière de droit de la nationalité. On a ainsi entendu s’exprimer contre la réforme la Ligue des Droits de l’Homme (LDH), SOS Racisme, le Mouvement des Jeunes socialistes (MJS), la CFDT. On a entendu quelques vieilles barbes du socialisme des années 1980, revigorées, comme Pierre Joxe ou Paul Quilès, donner de la voix avec un allant de jeune homme. Les intellectuels de gauche, dont Valls moquait le silence il y a quelque temps, se sont réveillés et donnent l’assaut par vagues compactes contre ce qui leur apparait comme une vilénie. Je me demande si tous ces opposants, qui forment la périphérie du PS comme nœuds de relations sociales, ne vont pas se lancer à l’assaut du PS, plutôt que le quitter, ou bien s’ils ne  vont pas réussir à  faire comprendre à F. Hollande que, sans l’appui de tous ces réseaux qui lient le PS et le pays, sa réélection ne se fera pas. Je serais aussi très curieux de savoir ce qui peut se passer à l’intérieur de la franc-maçonnerie : en effet, je me demande comment ses membres les plus traditionnels peuvent réagir au fait qu’un parti, dont elle a été historiquement proche, va donner son aval à une réforme constitutionnelle qui, non seulement « fait le jeu du FN », mais qui est largement « ce que veut le FN ».

On remarquera aussi que toute une partie de la nomenklatura du PS semble bien être contre : la maire de Paris, la maire de Lille, et même un récent ancien Premier ministre, ancien maire de Nantes. L’affaire est donc très sérieuse pour le triumvirat exécutif Hollande/Valls/Cambadélis, et je comprends que l’actuel Premier secrétaire du PS souhaite qu’on arrête de parler de ce thème. Cependant, je le répète : une scission serait un suicide, et il faut aussi souligner que les scissionnistes n’ont pas de leader naturel à suivre. Le plus probable est donc que la contestation reste limitée aux personnes ayant un grave cas de conscience. Les comptes se régleront en effet plus facilement après 2017. 

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