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Etat islamique : les leçons à tirer de 36 ans de diabolisation et de guerre tiède avant un accord entre l’Iran et l’Occident
©Reuters

Chacun cherche son Satan

Pendant 36 ans, l'Iran a été considérée comme faisant partie de l'axe du mal par l'Occident, lequel était comparé à "Satan". Une logique sans fin que l'on retrouve dans le conflit contre l'EI où une solution militaire semble symptomatique de l'incapacité occidentale à voir de nouvelles solutions.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Atlantico : L’accord signé avec l’Iran marque le début de la fin d’une période longue de plus de 35 ans pendant laquelle le pays a été perçu comme appartenant à "l’axe du mal". La stratégie de l’Occident vis-à-vis de l’Iran a-t-elle été efficace ? L’Occident peut-il tirer les leçons ce rapport de force pour lutter avec plus d’efficience contre l’Etat islamique ?

Alexandre Del Valle : La stratégie de l’embargo a-t-elle été efficace ? Je n’en suis pas sûr, mais certains disent  que sans les pressions exercées sur le régime iranien, les négociations qui viennent d’aboutir n’auraient peut-être jamais eu lieu. L’embargo a rarement des résultats positifs, , certes, mais il est difficile de penser que les concessions du régime ne sont pas étrangères à tout cela.

La stratégie de l’embargo n’a pas été toujours forcément efficace, mais pouvait-on faire autrement pendant un certain nombre d’années une fois que ce régime totalitaire décida de partir en croisade contre l’Occident, Israël, les Etats-Unis en soutenant notamment le terrorisme au Proche-Orient, en France, en Palestine-Liban-Israël, et même en Argentine, etc ? Une fois que le régime a été mis en place et qu’il est devenu extrêmement radical vis-à-vis des Etats-Unis (Washington avait pourtant empêché le Shah d’intervenir contre Khomeini) il a été très difficile de véritablement coopérer, même si les lois de la diplomatie commencent de discuter ou avoir des contacts avec tout le monde, y compris le diable une fois qu’il est en place. Mais il est clair que la coopération suppose deux partenaires, or si hier l’Iran khomeyniste refusait objectivement tout vrai dialogue, jusqu’à l’arrivée de l’apparemment modéré Khatami, en 1997, aujourd’hui, après le règne radical de Ahmadinéjad, et depuis que le Guide Suprême est plus vieux et qu’il sent son pays acculé à négocier un accord pour survivre, les choses sont différentes. Un accord est donc possible avec la République islamique chiite parce que les deux parties le souhaitent, parce que le régime est polymorphe et comprend une tendance presque modérée et parce que les dirigeants iraniens n’ont guère d’autres choix ainsi que nous mêmes dans un contexte de lutte contre l’ennemi commun islamiste jihadiste sunnite.

>>> Lire Aussi - L’Etat islamique a-t-il d’ores et déjà gagné ?

Rétrospectivement on peut dire que les hommes politiques occidentaux et le Shah d’Iran ont manqué de vision dans le passé, car s’ils avaient vraiment voulu empêcher l’arrivée au pouvoir de ce régime totalitaire, il aurait été très facile de rendre impossible le retour de Khomeini à Téhéran, de l’empêcher de quitter Paris, ou même de laisser le Shah réprimer la Révolution ou l'armée du Shah mettre hors d’état de nuire Khomeini lorsque son avion atterrit à Téhéran en provenance de son exil parisien. Mais le Shah, malade, et les Etats-Unis ne voulurent pas éliminer Khomeini et donc tuer dans l’œuf le monstre totalitaire...  De pressions furent exercées sur un Shah malade et qui ne voulait pas de guerre civile. Les conséquences de ces pressions sont connues de tous désormais. Mais elles ont été terribles. Il aurait fallu voir bien plus à long terme.

Par ailleurs, l’Iran et l’Occident considèrent l’Etat Islamique comme l’ennemi principal (même si ce n’est pas toujours évident). Le contexte est donc favorable à l’accord. Dans un tout autre contexte, les négociations auraient probablement été encore beaucoup plus compliquées. La situation en Syrie et en Irak a énormément compté dans cette affaire. Aussi, il est clair que si l’on veut avoir des résultats concrets face à l’EI et vis-à-vis du régime de Damas comme au Proche Orient, où l’Iran a un fort pouvoir de nuisance, il faut passer par Téhéran. Le rôle de l’Iran est central car sans son aide économique, ses conseillers et ses soldats, le régime de Bachar el-Assad tomberait en quinze jours.

La leçon a retiré de la mise en place du régime iranien est qu’il faut tuer le problème dans l’œuf. On ne doit pas attendre qu’un régime totalitaire s’installe. Une fois en place on finit par discuter avec lui. La diplomatie est réaliste et parle avec tout le monde in fine, amis et ennemis. Si l’EI continue à s’étendre et devient un vrai Etat nation avec une légitimité locale, alors on sera obligé de trouver des canaux de communication voir des accords. J’en veux pour preuve l’exemple de l’Union soviétique qui a passé plus de temps à dialoguer et à négocier qu’à combattre les capitalistes sur le terrain. N’attendons pas que cet Etat Islamiste soit fermement ancré comme nous l’avons fait pour les régimes soviétiques ou iraniens.

Malheureusement les dirigeants occidentaux sont de plus en plus dans l’immédiateté et n’ont aucune vision de long terme. Cela est dû à ce qu’on peut appeler la "démocratie médiatisée". Seul le court terme, voire l’immédiat, sont considérés alors que seul le long terme permet pour prévenir ce type de danger et de le prévenir avec les mesures nécessaires. 

Une victoire contre l’Etat Islamiste sur le seul plan militaire semble compliquée. Quelles solutions peuvent être engagées afin d’enrayer la machine de guerre et politique de l’Etat islamique ? Jouer sur les dissensions religieuses et tribales peut-il être bénéfique ?

Alexandre Del Valle : Une victoire militaire sur l’EI n’est pas forcément difficile. Le nombre de combattants islamistes est de 30 000 hommes, ce n’est rien. Imaginez 600 000 fantassins turcs, les armées occidentales, celles éventuellement de la Russie, de l’Iran et des autres pays de la région, la victoire sur l’EI ne fait aucun doute...

 Mais vaincre l’Etat islamique est une question politique et non pas militaire. Pourquoi Daesh arrive-t-elle à gagner du terrain malgré les bombardements ? C’est parce qu’il bénéficie d’une vraie assise auprès de nombreuses populations sunnites et des tribus sunnites enracinées, notamment en Syrie et en Irak. On leur a fait croire que face à "l’ennemi chiite", les djihadistes salafistes sont la seule solution. Dans ces conditions, vaincre militairement Daesh ne suffira pas. Comme bien souvent, le plus difficile sera de gagner la paix, bref, aucune guerre victorieuse n’est utile sans solution politique et portes de sorties pour chaque partie. Les guerres récentes occidentales d’Afghanistan, d’Irak et de Libye l’ont démontré... 

La Russie soutient depuis de nombreuses années l’Iran sur la scène internationale. Un rapprochement avec Moscou est-il souhaitable pour combattre l’EI ? Comment pourrait-il s’effectuer ? Et avec quels résultats ? Faudrait-il renouer avec Bachar el Asad pour changer le rapport de force ?

Alexandre Del Valle : En stratégie il existe un principe très connu : la désignation de l’ennemi et sa hiérarchisation (s’il y en a plusieurs). L’Etat Islamiste est-il considéré comme l’ennemi fondamental ? Si oui, il est évident qu’il ne faut plus isoler le régime syrien. Si l’on considère que le régime syrien et l’EI sont des ennemis à mettre sur le même plan, c’est une erreur stratégique. Il est presque toujours impossible ou inefficace de combattre deux ennemis de poids en même temps. L’histoire l’a montré. On a ainsi préféré soutenir l’Union soviétique pour contrer l’Allemagne nazie.

Il faut donc se réconcilier avec l’Iran et coopérer avec la Syrie sur le plan anti-terroriste et militaire face à Daech. Le processus est d'ailleurs en cours. Il faut dialoguer (sans forcément se réconcilier) avec le régime syrien afin d’éviter une inefficacité coupable et une progression continue des jihadistes de l’EI ou d’autres groupes salafistes. Aujourd’hui, la hiérarchisation de l’ennemi n’est hélas pas d'actualité et on aide des jihadistes qui n’appartiennent pas à l’EI contre Asad, comme le Jaich al Fatah ou autres. Les alliés turcs et les pays du Golfe arment Jaich el Fatah ("l’armée de la conquête") dans lequel se glisse et se masque mal Al Qaeda en Syrie.... Cette politique est complètement folle. L’ennemi principal est le jihadisme salafiste dans sa globalité et pas seulement Daech. Cela englobe l’EI, Al Qaeda et tous les mouvements salafistes qui appellent à un califat mondial et à l’établissement de la charià comme seul système de gouvernement. Cette erreur fondamentale de lecture permet à l’Etat Islamique de se renforcer.

L’Occident n’a-t-il pas tendance à se laisser aveugler par une grille de lecture trop simple et ethnocentrée ? Le nationalisme iranien n’a-t-il pas été à l’époque trop peu compris comme l’est aujourd’hui l’intérêt de certaines populations à voir une domination de l’EI en Irak et en Syrie ?

Alexandre Del Valle : Il est certain que Khomeini n’aurait pas pu séduire à la fois les nationalistes, les communistes, les tiers-mondistes et les anti-occidentaux si nous n’avions pas commis des erreurs plus tôt, notamment à partir du renversement de Mossadeqh. A l’époque du Shah et de Mossadegh (renversé en 1953), les Occidentaux n’ont pas du tout compris les nationalistes iraniens. C’était une époque où l’on voulait des royalties extrêmement élevées pour la rente du pétrole et où on n’acceptait pas ni l’indépendance véritable de l’Iran et d’autres pays de la région ni même des accords pétroliers et gaziers plus équitables, comme c’est le cas aujourd’hui. Les nationalistes iraniens ont été humiliés dans le passé, et cela les a poussé dans les bras de Khomeini. Ce fanatique psychopathe qui n’était même pas un dignitaire de haut rang chiite et qui a dénaturé le chiisme et plongé l’Iran 50 ans en arrière n’aurait pas pu asseoir son pouvoir si les nationalistes et les gauchistes humiliés par les Anglosaxons ne s’étaient pas jetés dans ses bras. Ils seront d’ailleurs liquidés par lui en guise de reconnaissance...

Dans notre monde multipolaire, il faut cesser d’humilier les nations qui ne nous agressent pas, qui ne nuisent pas à nos intérêts. Face à un nationalisme quel qu’il soit (russe, arable, latino-américain, etc, Il ne faut jamais agir de façon trop "arrogante. Humilier des nations non-occidentales sous prétexte quelles ne partagent pas nos postulats mais qui ne nous ont pas agressé est stupide et contre productif. Il faut cesser de vouloir exporter nos valeurs universalistes chez les autres qui n’en veulent pas ou plus ou en défendent des opposées – d’autant plus que nous le faisons avec une certaine hypocrisie puisque le droitdelhomlmisme masque souvent des desseins géopolitiques hégémoniques ou de domination économique.... Ainsi, on pourra éviter bon nombre de tensions. Comprendre que mouvements se nourrissent d’humiliations passées est essentiel.

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