État islamique au Khorasan : le groupe extrémiste afghan dont les talibans ont au moins autant de raisons de se méfier que les Occidentaux<!-- --> | Atlantico.fr
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Des volontaires et du personnel médical devant un hôpital après un attentat devant l'aéroport de Kaboul, le 26 août 2021, en Afghanistan.
Des volontaires et du personnel médical devant un hôpital après un attentat devant l'aéroport de Kaboul, le 26 août 2021, en Afghanistan.
©Wakil KOHSAR / AFP

ISIS-K

La branche afghane de l'État islamique a revendiqué l'attaque-suicide perpétrée à l'aéroport de Kaboul, qui a fait au moins 85 morts et plusieurs centaines de blessés. Le groupe terroriste entend bien profiter de la transition du pouvoir en Afghanistan pour retrouver sa puissance face aux talibans.

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy est enseignant en géopolitique à l'Université Catholique de Lille, à l'Institut Supérieur de gestion de Paris, à l'école des Hautes Études Internationales et Politiques. Il est également président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). 

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Atlantico : Qu'est-ce qu'on sait vraiment du groupe que l'on soupçonne d'être responsables de l'attentat de Kaboul, à savoir ISIS-K, la filiale de l'Etat islamique en Afghanistan ?

Emmanuel Dupuy : L'Etat islamique Province de Khorasan (du nom qui historiquement regroupe l’Afghanistan, l’Iran, le Pakistan et l’Asie Centrale) c’est un groupe qui est né de la scission des talibans à partir de début 2015. Ce mouvement a prêté allégeance à Daesh très tôt. Il est composé de talibans afghans, pakistanais, de la branche pakistanaise des talibans (TTP, Tehrik-e-Taliban Pakistan) dont le chef Noor Wali Mehsud a prêté allégeance il y a quelques jours aux talibans afghans. Ce mouvement a tenté un ancrage dans plusieurs provinces d'Afghanistan (au Nord- Est de Kaboul, à Nagra et Kunar). Cette organisation fait concurrence aux talibans. Le nombre de talibans varie entre 65 000 et 80 000, eux sont moins nombreux, on estime leur nombre de 500 à 2 000. Ils ont prêté allégeance à l'Etat islamique, et donc ils se retrouvent en concurrence, mais bien souvent en opposition. Leurs motivations ne sont pas les mêmes. L’IS-KP est majoritairement composé de Tadjiks, avec peu de Pachtounes comme le sont les talibans. On leur connaît une stratégie ciblant en particulier la minorité Hazara,  de confession chiite, ce qui justifie que l'Etat islamique considère les talibans comme des apostats. Les talibans sont, selon cette configuration, considérés comme pas assez actifs au plan international. Les talibans restent caractérisés par un djihad national eu égard à leur volonté territoire dans leur reconquête territoriale de l'Afghanistan suite à leur défaite de 2001.

L’Etat islamique Khorasan a en majorité ciblé des lieux publics : des hôpitaux, des  mosquées, des centres commerciaux, des lieux de cute (on se rappelle du dernier attentat ayant visé une maternité chiite du quartier de Kaboul en mai 2020).

Quel sens pouvons-nous donner à l'attentat de l'aéroport de Kaboul pour la reprise de pouvoir des talibans en Afghanistan ?

Ces attentats visent évidemment la communauté internationale et le dispositif mis en place par les États-Unis et ses alliés, notamment les pays membres de l'OTAN qui eux ont participé à ce gigantesque pont aérien depuis le 15 août dernier, où  plus  de100 000 personnes ont été évacuées jusqu'à présent, dont 70 000 Américains et les Afghans ayant travaillé avec eux et 3 000 Français et les ressortissants afghans ayant travaillé pour eux. Malgré ces chiffres impressionnants, il reste des Occidentaux piégés dans Kaboul. On estime leur nombre à près d’un millier. Ces attentats servent à montrer à la communauté internationale que les Américains, en 20 ans, ont perdu leur guerre contre le terrorisme. Il y aura donc encore des attentats ainsi que des combats entre les talibans et l’Etat islamique Khorasan. Il faut avoir à l'esprit que ces attentats ayant ciblé Abbey Gate et l’hôtel Baron a fait plus de 170 victimes dont au moins 13 Américains aura ou a un effet certain de sidération. C'est précisément l'accord du 29 février 2020, scellé entre les talibans et les autorités américaines qui est ciblé. Car c’est précisément ce que les Américains redoutaient et avaient négocié avec les talibans. Aucun soldat américain supplémentaire ne devait perdre la vie. 2 448 Américains ont perdu la vie depuis vingt ans en Afghanistan.

13 sont morts, Or la dernière fois où autant d’Amércians sont morts d’une seule fois remonte à aout 2011 quand un hélicoptère américain s'est écrasé suite à un tir de missile taliban occasionnant la perte de trente soldats américains.La dernière fois qu’un soldat américain a perdu la vie remonte précisément à l’arrêt des hostilités des talibans contre les forces américaines, en février 2020.

Maintenant, le défi sécuritaire est un enjeu de de taille pour les talibans qui sont désormais aux commandes de l’Etat afghan. Ce sera d’autant plus vrai le 1er septembre prochain après que les derniers soldats américains auront quitté le territoire afghan.

Les talibans ont également échoué à anticiper et à déjouer cet attentant au même titre que la communauté internationale. 28 talibans sont morts lors des deux attaques ayant ciblé l’aéroport de Kaboul.

Ces deux attaques confirment que l’Etat islamique se rappelle au bon souvenir des talibans en leur rappelant que ces derniers ne sont pas les seuls à avoir chassé les Occidentaux d’Afghanistan mais bien la menace terroriste résiduelle.

Nous observons déjà des rivalités fortes entre l’Etat islamique et les talibans, nous pouvons nous attendre à des affrontements de taille dans un pays déjà instable ?

Bien sûr, il y en a eu par le passé, lorsque l'Etat islamique a pris l'ascendant sur les talibans dans certaines provinces Punar et Nangarhar. L'Etat islamique est en grande partie composé de talibans déçus du manque d’offensive contre les forces occidentales, notamment après les négociations avec les Américains.

Ces combats risquent d'arriver rapidement, Joe Biden lui-même a avoué lors de son discours d’il y a quelques jours que la meilleure arme contre Daesh était « peut être » les talibans, donnant l'impression qu'il se conforterait à l'idée d’une forme de sous-traitance de la lutte contre Daesh aux talibans. Le président américain et le général Kenneth McKenzie, le chef de l’US Central Command, en charge de l’Afghanistan, étaient assez fermes en disant qu'ils allaient les "chasser" et "retrouver les auteurs de cet attentat". Une frappe américaine aurait frappé un des chefs de l’Etat islamique ce samedi démontrant une forme d’acceptation de la part des talibans d’une opération de représailles promise par les Américains.

Par contre les Américains auront du mal à procéder à de telles frappes dans Kaboul (vidée d’Occidentaux à partir du 1er septembre) en sachant que les talibans ont interdit aux Américains d’agir sur leur territoire au-delà du 31 août.

Le double attentat du jeudi a un double impact.  C'est une humiliation supplémentaire vis-à-vis de la communauté internationale qui se retrouve défaite et encore plus affaiblie par la dimension chaotique du départ des Occidentaux qui n'a pas été suffisamment anticipée. La position du président Biden va être compliquée face à sa propre majorité et ses alliés. En effet Il avait promis de ramener tous les soldats américains vivants, or, il se trouve désormais  à devoir justifier la mort de treize, et sans doute plus. Le deuxième impact conforte l’idée selon laquelle les Américains auraient négocié avec les talibans une forme de transition pour ne pas dire reddition ayant amené à la chute spectaculaire du gouvernement d’Ashraf Ghani.

L'ISIS-K ayant plus vocation au djihad international, cela représente-t-il une menace pour la communauté internationale et l'Occident ?

L'Etat islamique en Afghanistan vise les minorités ethniques ainsi que les Occidentaux. C’est aussi une menace perçue comme  particulièrement dangereuse par les voisins de l’Afghanistan, notamment l’Iran eu égard aux attentats ayant visé les  5 à 6 millions de chiites durant les cinq dernières années. D'ailleurs, c'est probablement l'une des raisons pour laquelle le nouveau président Ebrahim Raïssi a lui aussi appelé comme le président chinois (Xi Jinping), russe (Vladimir Poutine), turc (Recep Tayyip Erdogan) ainsi que le Premier ministre pakistanais (Imran Khan) à une reconnaissance rapide du nouveau régime installé à Kaboul. Il s’agit pour ces puissances orientales d’établir un contact non pas seulement par préoccupation pour les talibans mais considérant le fait que l’Etat islamique puisse passer la frontière orientale vers l’Iran ou septentrionale vers l’Ouzbékistan, le Tadjikistan, le Turkménistan, voire la Chine pour exporter leur djihad. Ce qui était, du reste, un des sujets de préoccupation centrale pour l’Iran, soucieux de la menace que faisait peser l’Etat islamique présent en Irak et en Syrie sur son propre territoire. C’est un des sujets à l’ordre du jour de la réunion de ce samedi à Bagdad, à l’initiative du Premier ministre irakien Moustafa al-Kazimi, à laquelle le président Emmanuel Macron a assisté aux côtés des ministres des affaires étrangères iranien et saoudien.

Dès 2014, l’Iran avait verrouillé sa frontière avec l’Irak et demandé aux forces kurdes autonomes de les aider à empêcher toute infiltration de Daesh sur son territoire. Ce qui confirme que la première menace que constitue l’IS-KP est régionale. Le nouveau président iranien discutait encore il y a quelques semaines avec les talibans pour que les groupes armée tels que le MOI (mouvement islamique de l’Ouzbékistan), le MITO (mouvement islamique du Turkestan oriental) appartenant à la mouvance des talibans mais qui ont leur propre agenda soit  « contrôlés ». Il s’agit pour ces derniers d’instaurer le même type de califat dans l’ensemble de l’Asie centrale avec comme assise l’Ouzbékistan, pivot des 5 pays de l'Asie centrale. Au même titre que Daesh avait voulu le faire entre le nord-ouest de la Syrie et le nord-ouest de l’Irak. C'est donc aussi un sujet de préoccupation pour les talibans d’empêcher leur propre troupe d’amener un djihad international qui les affaiblirait dans leur quête de reconnaissance régionale.

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