Et voici comment l'urine pourrait devenir un nouveau carburant et générer de l'énergie propre pour toute la planète<!-- --> | Atlantico.fr
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©Wikipedia / Klever

Pas si sale

Des chercheurs de l'université de Bath ont développé une pile à combustible miniature capable de générer de l'électricité à partir de l'urine, créant un moyen abordable, renouvelable et neutre en carbone de générer de l'énergie. Un outil qui, si il est fiable et bien développé, pourrait aider à apporter de l'électricité à des populations pauvres.

Jean  Martin

Jean Martin

Jean Martin travaille sur l'impact des nouvelles technologies sur la société.

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Atlantico : Selon les travaux de l'université de Bath, l'urine pourrait être utilisée comme combustible au moyen d'une pile à combustion microbienne, capable de générer, pour l'instant, assez d'énergie pour alimenter un téléphone portable. Pouvez-vous expliquez un peu plus en détail en quoi consiste ce procédé technologique ?

Jean Martin : Les piles à combustibles libèrent de l'énergie, sous forme d'électrons, par oxydation d'un matériau (le réducteur, ou combustible, typiquement de l'hydrogène), qui libère ses électrons vers un autre matériau (l'oxydant). Cette réaction chimique peut être accélérée par la présence d'une membrane contenant un accélérateur, un catalyseur, entre les deux electrodes. Le catalyseur est un point de blocage fréquent, car souvent fabriqué à partir de platine ou d'alliages complexes.

Le combustible est un autre point bloquant, car la manipulation d'hydrogène peut être dangereuse. Dans l'approche de l'université de Bath, le catalyseur est fabriqué à partir de matériaux organiques, bon marché, et l'urine sert de combustible. La réaction est biologique. Sur le papier, leur solution permet donc de lever deux verrous importants des piles à combustible, le prix du catalyseur, et la sécurité du combustible, le tout dans un microformat.

Trouvez-vous ce projet viable à long terme et surtout intéressant écologiquement parlant ?

Si on parle de viable à long terme, il faut définir la fiabilité de l'outil. Le fonctionnement semble pour l'instant validé en laboratoire seulement, la première étape serait donc de tester en conditions réelles, en intégrant la technologie dans un produit courant, et en vérifiant sa pérennité dans un environnement non protégé. Avant cela il est difficile d'évaluer sa viabilité opérationnelle. La fréquence de rechargement n'est pas très bien indiquée par exemple. Une autre question sur la viabilité se situe dans le champ économique. Un composant qui vide les équipements électroniques doit s'intégrer à un écosystème de conception et production de très grande échelle, réparti sur l'ensemble de la planète. Le soutien d'un industriel clef dans ce secteur apporterait plus de crédibilité sur ce point.

Sur le plan écologique, a priori le procédé et son fonctionnement ne paraissent pas présenter de coûts écologique forts, et seraient plus durables que des batteries à base de matériaux extraits de mines, mais il faudrait pouvoir observer l'ensemble de la chaîne de vie du produit et du combustible, de la production au recyclage, pour se prononcer sur l'impact total.

On ne peut pas non plus négliger la nature du combustible, de l'urine, dont la composition peut varier d'une part, et qui peut poser des barrières sociales sur le plan hygiénique d'autre part (odeurs bactériennes). L'utilisation d'urine suggère donc une phase de normalisation à la fois sociale, et technique. Elle doit être acceptée en terme d'usage car elle représente un tabou dans certains pays et surtout on peut se demander si les industriels sont prêt à associer leur marque à ce procédé.

Connaissant le prix de production qui est bas, estimé entre 1 et 2 livres, pensez-vous qu'un tel dispositif puisse se démocratiser suffisamment pour aider les populations pauvres et isolées à avoir accès à l'électricité ?

On peut d'emblée se demander pourquoi ce type de produit ne serait pas adapté aux marchés développés, ce que l'article n'indique pas. La publication de ces chercheurs suggère en revanche que cette invention pourrait être intégrée dans des téléphones mobiles à destination des marchés émergents. Or, même les foyers pauvres ont des besoins en électricité qui vont au delà du téléphone. L'éclairage, à titre d'illustration, est une fonction primordiale, qui permet aux enfants de faire leurs devoirs, aux parents de cuisiner ou de travailler plus tardivement, de déceler la présence d'animaux nuisibles etc. Les solutions qui se commercialisent avec succès (des centaines de milliers d'exemplaires) sont des chargeurs solaires robustes et peu coûteux, qui permettent d'éclairer, et d'alimenter les téléphones.

La pile à combustible miniature qui serait intégrée dans un téléphone ne remplirait pas ces deux fonctions, et ferait par conséquent double emploi avec un chargeur solaire, en particulier dans les pays du Sud, qui bénéficient d'un taux d'ensoleillement important. Et là encore pour que cette technologie puisse devenir accessible au plus grand nombre, il faut qu'un producteur de téléphones (chinois en particulier) considère l'opportunité de l'intégrer. Les téléphones adaptés aux marchés émergents sont non seulement très peu couteux, mais aussi robustes. ils résistent assez bien à la poussière, aux chocs… Le remplacement d'un composant éprouvé par un composant innovant dans ce type de contexte présente un risque.

Vous observerez d'ailleurs que la plupart des innovations technologiques jusqu'à présent ont d'abord été adressées à une population de "early adopters" dans les marchés développés, prête à payer un surcoût pour l'innovation, et à essuyer les plâtres le cas échéant. Le prix et le risque d'une technologie non éprouvée sont peut être trop importants pour des foyers pauvres.

Quelles autres perspectives ce projet pourrait-il ouvrir ?

Il est toujours heureux que de nouvelles possibilités apparaissent, et on peut considérer - si la fiabilité est démontrée hors labo- l'exploitation de ces piles pour des usages au-delà du téléphone. Les résultats publiés semblent indiquer qu'il est possible d'agréger ces micro-piles, sans perte d'énergie, ce qui permet d'envisager des applications plus consommatrices d'énergie qu'un téléphone. Cela pourrait servir à améliorer les conditions de sanitaires en intérieur, pour alimenter des pompes, des filtres, des brosses, ou des aérateurs. Plus généralement, on pourrait imaginer aujourd'hui des applications là où le solaire n'est pas une option.

Propos recueillis par Thomas Gorriz

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