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Et soudain, Philippe Séguin s'exprima sur le traité de Maastricht
©JOEL ROBINE / AFP

Bonnes feuilles

David Desgouilles publie "Leurs guerres perdues" (éditions du Rocher). Héros de cette fresque, trois militants nés au début des années 70. David Desgouilles raconte les meetings, les élections et les trahisons. Chirac, Sarkozy, Séguin, Pasqua, Chevènement ou Marine Le Pen, ils sont tous là. Ce roman choral et générationnel restitue les bouleversements et lignes de fractures idéologiques de ces trente dernières années. Extrait 1/2.

David Desgouilles

David Desgouilles

David Desgouilles est chroniqueur pour Causeur.fr, au Figaro Vox et auteur de l'ouvrage Le Bruit de la douche aux éditions Michalon (2015).

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Dans sa petite chambre de surveillante d’internat, Sandrine Deprayssac entendit quelques filles remonter dans l’escalier. Elle allait en conclure que le match Bastia-OM n’était guère passionnant. Mais lorsqu’elle les croisa dans le couloir, elle apprit la catastrophe. Une tribune provisoire, construite à la hâte pour l’événement, s’était écroulée sur elle-même, emportant avec elle des centaines de spectateurs. Elle en apprit rapidement le détail en allumant son radio-réveil. Lors d’un énième flash de France Info, une autre nouvelle tomba : Philippe Séguin allait prendre la parole à l’Assemblée nationale. Il avait déposé une exception d’irrecevabilité dans le cadre de la révision constitutionnelle préalable à la ratification du traité de Maastricht. « Prononcez “Massetrique”. Comme une masse et une trique », s’amusait Chevènement. Les partisans prononçaient le « ch ». Déjà sur la prononciation, les protagonistes du débat s’opposaient ! 

Séguin, ce soir-là, parla. Longtemps. Très longtemps. Plus de trois heures. Un discours d’une qualité exceptionnelle. Le droit, l’histoire de France y étaient convoqués. Et en fil rouge, son amour pour cette nation millénaire, lui, l’enfant de Tunis. Cette flèche portée dès le début du discours : « 1992, c’est l’anti-1789. » Cette souveraineté qui ne se limite, ne se divise ni ne se partage. Et cette citation empruntée à Chateaubriand pour conclure : « Si l’Europe coalisée voulait m’imposer la charte, j’irais vivre à Constantinople. » 101 députés votèrent l’exception d’irrecevabilité, dont la moitié des députés RPR, l’essentiel des troupes communistes représentées par l’homme du nord Georges Hage, mais surtout quelques membres du groupe socialiste, dont Jean-Pierre Chevènement qui félicita ensuite son collègue, devant les caméras dans la salle des Quatre Colonnes, « pour son discours républicain ». 

Séguin voulait tellement le prononcer, ce grand discours. Depuis sa tribune publiée dans Le Figaro l’automne précédent, il avait continué la bataille sur le plan médiatique, notamment en suscitant avec Marie-France Garaud un livre collectif pour expliquer tenants et aboutissants du futur traité. Un certain Henri Guaino, qui lui avait été présenté par le député pasquaïen Franck Borotra, l’avait rejoint. Des heures à écrire, à raturer, à reprendre. Et au final ce texte, que l’éditeur Grasset s’empressa de publier dans les jours qui suivirent. Ce texte dont Sandrine ne pouvait s’imaginer que, vingt-cinq ans plus tard, il constituerait encore une référence, si ce n’était la référence, pour des milliers de militants se battant pour la souveraineté de leur pays. 

Pourtant, après cette fameuse nuit du 4 au 5 mai, ce discours apparaissait surtout comme un baroud d’honneur. Une prise de date pour l’avenir. Car de référendum, il n’était pas question. D’ailleurs, dans son « Discours pour la France », Séguin l’expliquait fort bien. Il aurait fallu consulter le peuple dès la révision constitutionnelle : davantage que la ratification, c’était bien l’arrachement de la souveraineté nationale à la Constitution, au texte fondamental de la Nation, qui était en cause. « 101, comme les dalmatiens », allait plaisanter la presse du lendemain. « 101 qui refusèrent de brader la souveraineté de la France, c’est quand même vingt et un de plus que ceux qui avaient refusé de mettre fin à la République en mai 1940 », avait lancé Sandrine à quelques camarades étudiants le lendemain à la cafétéria de la fac toulousaine où elle préparait sa licence d’histoire. Versait-elle alors, avec la fougue de ses vingt printemps, dans l’outrance ? Peut-être, peut-être pas. Certes nous n’étions pas occupés par une armée étrangère, mais il ne s’agissait que de la souveraineté et donc de la liberté du pays. Les camarades d’amphi de Sandrine n’avaient pas goûté la référence historique. Si cela les choquait, tant mieux, pensait-elle. C’est que la flèche n’était pas si mal ajustée.

*

Nicolas Simonetti lisait et relisait le compte rendu du débat parlementaire. Ce Séguin lui plaisait. Quelle pédagogie ! Quel grand moment politique ! Et cette poignée de mains entre Séguin et Jean-Pierre. Fondatrice. Nicolas n’en doutait pas. Il avait davantage en commun avec le député des Vosges qu’avec Delors, Rocard, et donc aussi son frère Sébastien et tous ses copains. Il fallait absolument jeter des ponts sur l’autre rive. Et rassembler tous les Républicains. La gauche, la droite, quelle importance désormais ? Les vrais clivages étaient ailleurs.

*

Philippe Séguin n’appréciait pas particulièrement les dîners parisiens. Mais ce soir-là, il avait accepté d’assister à une réception donnée en l’honneur de Margaret Thatcher à l’ambassade de Grande-Bretagne. On avait abordé le référendum se tenant au Danemark sur le traité de Maastricht. Séguin était pessimiste. Il n’était pas question d’une telle consultation en France. Mais si le Non l’emportait au Danemark, François Mitterrand pourrait-il se défiler ? Ne pourrait-on pas l’en accuser, et le mettre au défi de soumettre ce texte, qu’il disait lui-même essentiel, aux suffrages du peuple ? Cependant, les derniers sondages venus du Royaume du Danemark penchaient pour le Oui. 

La Dame de fer avait remarqué le pessimisme du député des Vosges. En partant, elle lui glissa à l’oreille : « Trust in the Vikings » (Faites confiance aux Vikings). Dans les heures qui suivirent, on apprit que 50,7 % des Danois refusèrent de ratifier le traité de Maastricht. Formellement, le traité était mort-né puisque son texte réclamait lui-même que tous les pays l’aient ratifié pour qu’il entre en vigueur. Mais ces arguties juridiques n’étaient pas l’essentiel. François Mitterrand ne vit pas d’autre solution que de soumettre la ratification au peuple français. Philippe Séguin aurait sa campagne référendaire. La Dame de fer avait vu juste.

Extrait du livre de David Desgouilles, "Leurs guerres perdues", publié aux éditions du Rocher

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